Sur les traces de l’œuvre d’Henry Brandt

Des étudiants de l’UNIL ont participé à la production d’un ouvrage et d’une exposition consacrés au réalisateur suisse.

Christophe Brandt (le fils d’Henry Brandt) dans La Course au bonheur, 1964. © Fonds Henry Brandt, Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel
Christophe Brandt (le fils d’Henry Brandt) dans La Course au bonheur, 1964. © Fonds Henry Brandt, Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel

Le réalisateur suisse aurait eu cent ans cette année. Un ouvrage et une exposition visible dès le 13 novembre à Neuchâtel lui sont consacrés. Des étudiants de l’UNIL y ont participé dans le cadre d’un séminaire de master.

Sur le siège arrière d’une voiture, un enfant coiffé d’une casquette nous fixe du regard, les yeux tristes. Cette image en noir et blanc, plan final d’un court métrage de moins de quatre minutes présenté à l’Exposition nationale suisse de Lausanne en 1964 (La Course au bonheur), aura marqué toute une génération de visiteurs. Signé Henry Brandt, cinéaste et photographe neuchâtelois décédé en 1998, le film remet en question la Suisse prospère et consumériste de son époque. Près de soixante ans après, le propos n’a rien perdu de son actualité.

Cette année, le réalisateur aurait fêté son centième anniversaire. Une vaste constellation d’événements sont organisés à cette occasion à travers la Suisse romande. Au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel (MahN), l’exposition phare « Henry Brandt : cinéaste et photographe » sera visible dès le 13 novembre, accompagnée par la publication ce mois-ci d’un ouvrage collectif éponyme de 352 pages édité chez Scheidegger & Spiess. Le but : mettre en lumière l’œuvre filmique et photographique conséquente qu’a laissé derrière lui cette figure majeure du cinéma helvétique des années 1950 à 1980.

Ces deux réalisations (l’exposition et le livre) sont le fruit de deux longues années de travaux menés, en collaboration avec diverses institutions (lire l’encadré plus bas), par le professeur Olivier Lugon et le maître d’enseignement et de recherche Pierre-Emmanuel Jaques. En 2019, ces deux enseignants à la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’UNIL ont offert à 13 étudiantes et étudiants la possibilité de participer à cette aventure dans le cadre d’un séminaire de master.

Nous avons rencontré deux d’entre eux : Loïc Salomé, 27 ans, et Gabrielle Duboux, 24 ans. Quelques semaines avant le vernissage, ils nous racontent leur expérience.

Durant leurs études, Gabrielle Duboux et Loïc Salomé ont fourni un travail clé pour la préparation de l’exposition et la publication de l’ouvrage Henry Brandt : cinéaste et photographe. © Félix Imhof / UNIL
Durant leurs études, Gabrielle Duboux et Loïc Salomé ont fourni un travail clé pour la préparation de l’exposition et la publication de l’ouvrage Henry Brandt : cinéaste et photographe. © Félix Imhof / UNIL

Comme la plupart des Suisses âgés de moins de trente ans, Loïc Salomé et Gabrielle Duboux n’avaient à la base jamais entendu parler du réalisateur neuchâtelois. En 2019, ces deux étudiants en histoire et esthétique du cinéma ont tout de même choisi de s’inscrire au séminaire « Henry Brandt : photographie, cinéma, télévision » car ce dernier leur donnait la possibilité de s’investir dans un projet qui sorte du cadre purement universitaire. Ils n’ont pas été déçus.

Loïc Salomé, aujourd’hui sur le point de terminer son master, raconte :

« La première chose que j’ai remarqué lorsque j’ai vu les documentaires d’Henry Brandt, c’est la sensibilité avec laquelle il dresse le portrait de ses sujets, qu’il s’agisse de peuplades lointaines ou de personnalités bien plus locales, comme un instituteur de La Brévine, dans le jura neuchâtelois. On sent qu’il y a chez lui une volonté d’être authentique, de montrer l’humanité, tant dans l’esthétique de l’image que dans l’écriture filmique. Pour moi, c’était vraiment une belle découverte ! »

Lors de ce séminaire, les participants et participantes avaient chacun pour mission d’écrire une notice présentant le synopsis et le contexte de production et de réception d’un film d’Henry Brandt qui leur avait été attribué. Un travail encore jamais effectué pour nombre de ses oeuvres. Ces textes sont aujourd’hui lisibles dans l’ouvrage Henry Brandt : cinéaste et photographe.

Un fonds d’archives légué par ses fils

Pour accomplir leur tâche, les historiens et historiennes en herbe ont eu notamment accès à un fonds d’archives récemment légué par Christophe et Jérôme Brandt – fils d’Henry Brandt – au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel. Ce fonds était à cette époque encore en cours de numérisation par l’Institut suisse pour la conservation de la photographie (ISCP) à Neuchâtel, centre national de compétences en matière de préservation des documents photographiques, aujourd’hui dissout en raison du départ à la retraite de son fondateur. Mais les jeunes universitaires ont eu l’opportunité de le visiter avant sa fermeture.

Gabrielle Duboux, qui vient de commencer une thèse de doctorat sur les réseaux pédagogiques et culturels entre les médecins et les firmes pharmaceutiques, se souvient :

« J’ai adoré cette visite. Le directeur de l’Institut, Christophe Brandt, n’est autre que le fameux garçon à la casquette sur l’image en noir et blanc. Il nous a montré l’ampleur du fonds : des boîtes remplies de négatifs, diapositives, planches-contacts, coupures de presse… Au total, 60’000 phototypes ont été numérisés pour ce projet. »

Le séminaire n’aura duré qu’un semestre mais, pour Gabrielle Duboux et Loïc Salomé, l’aventure ne s’arrête pas là.

Les enseignants Olivier Lugon, historien de la photographie et de la scénographie d’exposition, et Pierre-Emmanuel Jaques, historien du cinéma suisse, sont les co-directeurs de la publication et les commissaires de l’exposition. © Félix Imhof / UNIL
Les enseignants Olivier Lugon, historien de la photographie et de la scénographie d’exposition, et Pierre-Emmanuel Jaques, historien du cinéma suisse, sont les co-directeurs de la publication et les commissaires de l’exposition. © Félix Imhof / UNIL
Une mission clé

Engagés par la suite par le MahN comme stagiaires, les deux camarades ont poursuivi la rédaction de notices sous l’égide de leurs enseignants. Ils ont également écrit le livret d’un coffret DVD édité par la Cinémathèque suisse et dédié à Henry Brandt. Mais surtout, ils ont assuré une mission clé pour la préparation de l’exposition à venir au MahN : assurer la prospection documentaire, c’est-à-dire recenser, sur une base de données, tous les objets susceptibles d’être exposés et proposer une répartition par salle. Un travail de six mois durant lesquels les deux camarades se sont rendus aux Archives fédérales, à la RTS ou encore à la Cinémathèque suisse et ont rencontré de nombreuses personnes, notamment des membres de la famille ou d’anciens collaborateurs d’Henry Brandt.

Gabrielle Duboux commente :

« Cette base de données est centrale pour l’exposition ! Nous y avons entré 600 objets. Finalement, après sélection, seul 200 d’entre eux seront montrés. »

Voyant arriver la fin après 17 mois de labeur, les deux collaborateur et collaboratrice scientifiques se disent satisfaits d’avoir pu découvrir les métiers liés à l’édition d’un livre ainsi que la préparation d’une exposition. La jeune doctorante en histoire contemporaine poursuit :

« C’était une super expérience. Je pense que ce stage m’a façonnée, dans le sens où il a développé chez moi une sensibilité aux images, à la photographie. Ce qui est utile pour mon poste actuel d’assistante diplômée au Centre des sciences historiques de la culture de l’UNIL. »

Quant à Loïc Salomé, il se voit déjà travailler dans le milieu culturel, mais doit encore terminer son mémoire de master. Le sujet ? Une étude historique et génétique de la production du film Voyage chez les vivants (1970), qu’Henry Brandt a réalisé en rentrant de son tour du monde. Un long-métrage que ce désormais spécialiste présentera le 4 décembre à Lausanne, lors de sa projection à la Cinémathèque suisse.

Formule pédagogique fructueuse

Ce séminaire débouchant sur une exposition et une publication, ainsi que sur deux places de stages, n’est pas un cas unique. La formule a été proposée une seconde fois par le professeur Olivier Lugon dans le cadre d’un autre enseignement de master mené au printemps 2020 en partenariat avec Luc Debraine et le Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey sur le thème « Photographie et horlogerie ». Deux étudiants, Abel Zuchuat et Djamila Zünd, ont là aussi pu prolonger leur travail dans le cadre d’un stage. Une exposition et un livre sont en préparation pour janvier 2022.

« Ces projets demandent beaucoup de temps et d’énergie, mais permettent aux participants et participantes d’apprendre à mettre en forme la recherche par l’image et le texte, la mise en page et en espace, tout en voyant leur travail valorisé. Je pense qu’il est aujourd’hui plus que jamais important que les étudiants et étudiantes en Lettres acquièrent ce savoir-faire », affirme l’historien.

Une constellation d’événements

Expositions, visites guidées, projections, tables-rondes : une multitude d’événements consacrés au centenaire de la naissance d’Henry Brandt sont organisés cette année et jusqu’en 2022, au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel (MahN) et à travers la Suisse romande. Ces manifestations sont coordonnées par les institutions partenaires : le MahN, la section Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne, la Cinémathèque suisse, le Département audiovisuel de la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds et le Musée d’ethnographie de Neuchâtel.

Plus d’informations sur la plateforme dédiée au centenaire de la naissance d’Henry Brandt : henrybrandt.ch/fr/centenaire