LATITUDES

Sur les traces de l’Expo 64

Conçue comme un événement éphémère, la gigantesque exposition de 1964 a laissé plusieurs vestiges dans le paysage lausannois. Retour sur son histoire et visite des lieux qui ont attiré 11 millions de personnes en quelques mois.

Pendant six mois, la Suisse entière s’est concentrée à Lausanne dans le cadre de l’Exposition nationale suisse de 1964. Plus de 11 millions de personnes ont découvert l’événement qui s’est tenu entre le 30 avril et le 25 octobre. L’organisation de cette première manifestation en terres vaudoises ne s’est pas faite sans susciter diverses controverses. « Le point qui a engendré le plus de débats concernait l’emplacement, explique François Vallotton, professeur d’histoire à l’Université de Lausanne. Un collectif d’architectes voulait notamment organiser une exposition décentralisée, dans le triangle compris entre Morges, Bussigny et Lausanne, dont certains éléments devaient être pérennes. » Au lieu de cela, le comité d’organisation a opté pour les rives de Vidy sur des étendues gagnées sur les eaux du lac. Proche du centre-ville, le parcours des visiteurs pouvait donc s’effectuer à pied. Alberto Camenzind, l’architecte retenu par le comité d’organisation, portait une réflexion basée sur l’éphémère. Dans sa vision, les installations seraient démantelées une fois la manifestation terminée. Près de soixante ans plus tard, il reste cependant quelques vestiges de la manifestation, qui peuvent encore être visités. Ils permettent de redécouvrir l’esprit d’une exposition portée par l’optimisme et la foi dans l’avenir.

La balade commence dans le quartier de Sévelin. Les visiteurs en provenance de toute la Suisse arrivaient auparavant dans la gare temporaire, qui était selon François Vallotton. « Elle comportait une construction audacieuse, associant deux voûtes aplaties suspendues par une série de câbles reliés à quatre pylônes métalliques. » Un bâtiment conçu à l’image de la modernité architecturale imaginée pour animer la manifestation. « La gare participait au dispositif scénographique de l’Expo, mais possédait aussi une fonction précise visant à gérer les flux de visiteurs. » Pour commencer la balade, il suffit de se rendre depuis la gare en métro m2 jusqu’à la place de l’Europe (arrêt Lausanne-Flon), puis de prendre ensuite le métro m1 en direction de Provence. À pied, depuis le Flon, le curieux peut visiter le quartier de Sévelin qui est devenu avant tout une adresse artistique, avec notamment les spectacles de danse contemporaine du Théâtre Sévelin 36 ou les concerts au sein des Docks.

La course à l’espace

Une fois descendus du train, les visiteurs cheminaient pendant environ une dizaine de minutes jusqu’à la Vallée de la Jeunesse. Un vallon créé pour le comblement du Flon où étaient présentées une variété d’activités destinées aux plus jeunes. Un parc automobile miniature permettait aux enfants de se familiariser avec les règles de la circulation routière. Un autre espace de jeu offrait la possibilité de revêtir une combinaison de cosmonaute, une thématique pleinement dans l’air du temps de la conquête spatiale des années 1960. « La Vallée de la Jeunesse se voulait comme un reflet miniature de l’Expo 64, avec pour mots d’ordre une projection vers l’avenir, et la mise en avant des forces de création et de progrès. » Aujourd’hui, ouverte au public 24 h/24,
la Vallée de la Jeunesse est un long chemin qui serpente et descend vers le lac au milieu d’une verdure luxuriante, avec des places de jeux. La structure la plus célèbre qui subsiste est le « jardin Nestlé » coiffé d’une sorte de soucoupe volante en béton, une construction « relativement inédite à l’époque. » On y trouve aujourd’hui l’Espace des inventions, un musée scientifique interactif pour les jeunes et les familles. En 1973, le vallon accueille également une roseraie, encore présente aujourd’hui avec plus de 8000 espèces, imaginée comme symbole de la jeunesse. On la parcourt de bout en bout, à pied, à vélo ou en skateboard.

Cette étape franchie, on découvre le rond-point de la Maladière, l’un des premiers de Suisse. Il marque alors la fin de l’autoroute construite à l’occasion de la manifestation. « Le rond-point permettait de canaliser le trafic et offrait ainsi une sortie d’autoroute dans les meilleures conditions. »

S’étendre sur le lac

Après la descente de la Vallée de la Jeunesse, nous arrivons sur le lieu central de la manifestation. Entre Vidy et Bellerive, ce sont près de 250’000 m2 qui ont été gagnés sur le lac pour bâtir cette zone jusque-là laissée en l’état sans espace de promenade. « La question du comblement du lac n’a pas suscité de levée de boucliers à l’époque, indique François Vallotton. Il faut dire que le projet d’exposition nationale jouissait d’un bon capital sympathie à Lausanne, du fait de son impact positif sur l’économie locale et de l’aménagement urbain de la ville. » Aujourd’hui, ces rives invitent à la promenade, avec de vastes étendues de gazon ou de sable le long du lac.

Au total, l’Expo 64 comptait huit secteurs distincts. Les visiteurs découvraient en premier
La Voie Suisse. Véritable cœur de la manifestation, elle invitait à une réflexion sur l’histoire du pays, son système politique mais aussi ses valeurs et ses aspirations futures. Tout autour se trouvaient des espaces dédiés à l’art de vivre, aux communications et aux transports, à l’industrie et à l’artisanat, aux échanges commerciaux ou à l’armée et ses capacités de défense. Le secteur Terre, et la forêt avec ses nombreux arbres, mettait en lumière la nature et le travail à la ferme ou dans les vignes. Les installations dans le port étaient, quant à elles, consacrées au divertissement : restaurants, cafés, boutiques.  Un monorail, le télécanapé ou encore des vedettes rapides permettaient de se déplacer aisément d’un secteur à l’autre. Ces installations n’ont pas été conservées, mais il est facile d’imaginer les visiteurs de 1964 se déplaçant sur ce site comme dans un gigantesque Luna Park. Pour essayer de s’y plonger, les enfants peuvent encore se promener tout autour d’une petite colline à bord du Petit train de Vidy, attraction construite également à l’occasion de l’Exposition.

La tour Spiral, haute de 101 mètres, offrait quant à elle une vue d’ensemble du site. Sans oublier
Le mésoscaphe Auguste Piccard,  un sous-marin touristique aujourd’hui exposé au Musée des transports de Lucerne. À noter que l’inventeur de ce véhicule sous-marin n’est autre que le grand-père de Bertrand Piccard, copilote de l’avion solaire Solar Impluse avec lequel il a réalisé un tour du monde entre mars 2015 et juillet 2016.

Toutes les structures de l’Expo 64 étaient vouées à disparaître. Malgré cette doctrine, le Théâtre de Vidy a subsisté et constitue l’un des vestiges architecturaux les plus emblématiques de la ville.Il a été conçu par l’architecte et designer  zurichois Max Bill, qui s’est appuyé sur une architecture lumineuse, basée sur un système modulaire préfabriqué. « Le théâtre a eu un certain impact auprès du public durant l’Exposition. Cela fait partie des raisons qui ont permis à un groupe mené par le metteur en scène Charles Apothéloz de sauver ce qui est devenu depuis un haut lieu de la scène culturelle lausannoise. »

À l’autre extrémité du site se trouvent les fameuses Pyramides de Vidy, un espace aujourd’hui familier des Lausannois. Au milieu de vastes espaces de gazon s’érigent deux pyramides en béton construites sur le modèle des ruines aztèques et mayas au Mexique. « Il est amusant de constater que cette esplanade destinée à évoquer la tradition et l’édification politiques de la Confédération a été investie ensuite par une jeunesse marginale comme lieu festif et alternatif. »

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans The Lausanner (no5).