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Exotisme en Suisse (38/41)De colline en forêt, dans les pas lents de Gustave Roud

La vue depuis le lieu-dit La Croix, qui surplombe Carrouge, témoigne de «l’immense accord né d’une terre et d’un ciel», selon Gustave Roud.

«Si la marche en montagne se déroule selon le rythme le plus simple et le plus immuable […], la marche en plaine, en face d’une mécanique si pauvre et rigide, est toute nuance et toute richesse.» Gustave Roud tacle ainsi son contemporain Charles Ferdinand Ramuz, féru des Alpes, dans son «Petit traité de la marche en plaine». À la «grossière magie arithmétique» de l’ascension au sommet, l’habitant du Jorat oppose les «dérives fructueuses», le «tissu imprévisible de sursauts» de la promenade en rase campagne. À «l’orgueil de la victoire sur soi-même», il objecte l’extrême connaissance de soi.

Depuis 2011, l’Association des amis de Gustave Roud propose de s’essayer à cette marche contemplative et méditative, qui a tant inspiré le poète vaudois, par le biais d’un sentier pédestre de 7 kilomètres qui part de la maison carrougeoise où il a vécu toute sa vie dès ses 11 ans. Cette année, un audioguide de 45 minutes accompagne la balade. Il donne la parole à quatre spécialistes de l’auteur (Anne-Sophie Subilia, Julien Burri, Daniel Maggetti et Bruno Pellegrino), mais aussi à l’auteur lui-même, dont les textes choisis par la journaliste Florence Grivel sont incarnés par le comédien Edmond Vullioud.

Intellectuel paysan

On part de la grande ferme qui abritait dans l’enfance de Gustave Roud une dizaine de personnes, pour finalement n’héberger plus que lui et sa sœur Madeleine – comme le raconte magnifiquement Bruno Pellegrino dans «Là-bas, août est un mois d’automne». Elle ne se visite pas (lire encadré), mais on peut observer, depuis la route principale, les fenêtres du bureau de l’écrivain (au 1er étage à gauche de l’entrée). C’est la famille maternelle, les Coigny, qui est originaire de Carrouge. Les Roud sont d’Ollon. Atypique de par ses espaces intérieurs aérés et lumineux, ainsi que l’absence de lien direct entre habitat et grange, la maison de Gustave Roud témoigne malgré elle des origines du poète: la mère est fille de paysans propriétaires, le père est fils d’un intellectuel qui a délaissé des études de lettres pour devenir agriculteur, par choix.

«Gustave Roud a un rapport presque envieux à ces garçons paysans simples, alors que lui est un poète torturé et insatisfait»

Stéphane Pétermann, président de l’Association des amis de Gustave Roud et responsable de recherche au Centre des littératures en Suisse romande (UNIL)

Le jeune Gustave ne travaillera aux champs que pendant ses vacances. Il décrit un métier rude. «Mais il a un rapport nostalgique, presque envieux» à la paysannerie, et surtout aux garçons paysans, ces «Aimé» qui peuplent ses récits et ses photographies, explique Stéphane Pétermann, président de l’Association des amis de Gustave Roud et responsable de recherche au Centre des littératures en Suisse romande (UNIL). «Ce sont des garçons simples, qui vivent au fil des saisons, alors que lui est un poète torturé et insatisfait.» Roud, qui aime les hommes, justifie son obsession érotisante pour ces forces de la nature dans un entretien (RTS, 1965): «Leur vie m’a frappé car ils la vivaient.»

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Gustave Roud et sa sœur Madeleine reposent au cimetière de Carrouge (juste après l’entrée à droite).
La ferme familiale Coigny où Gustave Roud a vécu de ses 11 ans à son décès, en 1976.
Stéphane Pétermann, président de l’Association des amis de Gustave Roud, explique pourquoi l’homme de lettres, qui descendait souvent à Lausanne, n’a pas quitté Carrouge: «Il est resté là où le destin l’a placé.»

Si l’on est aussi attentif et patient que Gustave Roud, on en croisera sans doute lors de la balade. «Le parcours n’est pas forcément celui qu’il empruntait, mais il relie des lieux importants pour le poète», dit Stéphane Pétermann. La ferme de la Gottaz, où vivait Olivier Cherpillod, premier Aimé, la grange de Port-des-Prés, où il rencontrait Robert Eicher. D’autres points, hors parcours mais décrits dans l’audioguide, mènent à Fernand Cherpillod ou René Balsiger. L’auteur, également photographe confirmé, les a immortalisés sur des portraits qui ornent les murs de son bureau.

Éloge de la lenteur

La promenade, qu’il faut effectuer au rythme las du marcheur empreint de romantisme allemand – une sorte d’éloge de la lenteur et de la solitude – est parsemée des bancs sur lesquels Roud s’asseyait pour écrire son «Journal». Celui de la chapelle de Vucherens longe tout son mur sud. Une route passe là aujourd’hui, et la vue autrefois dégagée visible sur les photos de Gustave Roud est bouchée par des villas. Mais il émane encore du lieu une langueur qui fait que l’on s’y arrête.

«Gustave Roud adopte un vocabulaire religieux, mais n’avait pas de pratique personnelle, nous apprend Stéphane Pétermann. Il voyait une rédemption par l’écriture, la marche, et avait un rapport aux éléments un peu franciscain.» Sa sœur Madeleine témoigne du fait que son frère, passionné des fleurs, «faisait des discours aux plantes» dans le jardin de leur ferme isolée du Chalet-de-Brie, à Saint-Légier, qu’il habita jusqu’à ses 11 ans (entretien RTS, 1965). Les «petits visages anxieux et glacés» des marguerites ou le sifflement «si humain» des merles peuplent ses textes. «Il estime que la nature parle, nous dit quelque chose de nous, explique Stéphane Pétermann. On peut y trouver, pour autant qu’on soit attentif, des fragments de paradis.»

Accord entre terre et ciel

Le Sentier Gustave Roud sillonne la rase campagne, avec pour apogée le lieu-dit La Croix, d’où l’on contemple l’«immense accord né d’une terre et d’un ciel». Mais il mène aussi le long du Carrouge, ruisseau discret qui serpente dans les sous-bois. C’est dans ce havre de paix que le poète décrit une expérience de communion mystique avec la nature.

«Les marches nocturnes sont une façon de rejoindre un état singulier de soi-même»

Gustave Roud, dans un entretien à la RTS (1965)

Un bon marcheur parcourra le Sentier Gustave Roud en deux heures (sans les haltes). Mais on lui conseille de se perdre un peu, d’user encore les bancs de l’écrivain. Lui dit avoir eu le déclic de la création poétique à 19 ans, durant une grande balade dans la plaine qui dura quatre jours et comportait beaucoup de marches nocturnes, «une façon de rejoindre un état singulier de soi-même, qu’on ne peut découvrir dans des circonstances normales» (entretien RTS, 1965).

Audioguide sur sentier.gustave-roud.ch