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Le jeu vidéo ne connaît pas (encore) la crise

Tandis que de nombreux secteurs économiques souffrent du confinement, le jeu vidéo enchaîne les succès et se voit décerner à tout va le titre de grand gagnant du confinement. Ce tableau optimiste oublie toutefois de préciser que les impacts du Covid-19 sur cette industrie ne se sont pas encore fait réellement sentir

Après une explosion des ventes pendant le confinement, la version classique de la Nintendo Switch connaît des problèmes d’approvisionnement. — © AFP
Après une explosion des ventes pendant le confinement, la version classique de la Nintendo Switch connaît des problèmes d’approvisionnement. — © AFP

Ventes record, affluence massive de joueurs sur les plateformes, gain de visibilité de l’e-sport: le jeu vidéo est pour beaucoup le grand gagnant de la pandémie de Covid-19. Les titres dématérialisés ont à eux seuls généré près de 10 milliards de francs de recettes en mars (+11%), la plateforme de streaming spécialisée Twitch a comptabilisé au premier trimestre 3,1 milliards d’heures visionnées (+11,8%), tandis que Nintendo vendait sa console Switch jusqu’à la pénurie (+33%).

Cette croissance témoigne de la force d’attraction de la première industrie culturelle mondiale (150 milliards de chiffre d’affaires en 2019). Lorsque l’on est confiné, quoi de mieux pour s’évader qu’un univers virtuel? Que ce soit pour développer calmement l’économie de son île sur Animal Crossing, dézinguer frénétiquement des démons dans l’enfer de Doom Eternal ou viser la place de dernier survivant sur Call of Duty: Warzone... Ces trois sorties récentes ont attiré des millions de joueurs en quelques semaines, dépassant largement les attentes de leurs éditeurs – qui se frottent les mains.

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Développement de jeux ralenti

Résumer ainsi l’impact du Covid-19 sur cette branche dont dépendent plus de 350 000 personnes à travers le monde (plus de 500 en Suisse) est toutefois réducteur. Phil Spencer, directeur de la branche Xbox chez Microsoft, déclarait mercredi dernier à Business Insider que l’industrie vidéoludique «ne sentira les effets du coronavirus que début 2021». Une inertie due au temps de développement des jeux, qui peut être de plusieurs années pour de grosses productions.

Avec le confinement, la gestion d’équipes souvent composées de plusieurs centaines de personnes se trouve grandement compliquée. Alors que des studios majeurs (Rockstar, BioWare, Epic Games, Treyarch) se sont vu accuser ces dernières années de mettre trop de pression sur leurs employés pour tenir les délais, les faisant parfois travailler cent heures par semaine, la crainte est grande de voir de telles pratiques se renforcer.

Stocks de consoles affectés

Le marché des consoles risque aussi de pâtir de la crise sanitaire à long terme. Au moment d’écrire ces lignes, il est impossible d’acquérir une Nintendo Switch (sauf le modèle Lite) sur les sites d’e-commerce helvétiques, tous en rupture de stock. Amazon en propose, pour autant que l’on soit prêt à débourser près de 500 francs pour une console vendue habituellement autour de 330 francs.

Mais les interrogations concernent surtout Sony et Microsoft, qui devraient lancer fin novembre leurs nouvelles machines, la Playstation 5 (PS5) et la Xbox Series X. Un tel événement ne se produit que tous les sept ou huit ans et revêt une importance capitale pour les constructeurs. S’imposer au lancement revient à s’assurer d’importants revenus sur près d’une décennie. A titre d’exemple, la PS4 a généré plus de 105 milliards de recettes et près de 9 milliards de bénéfices pour Sony depuis 2013.

Tout retard de production reviendrait en revanche à laisser le champ libre à la concurrence au plus mauvais moment, juste avant le Black Friday et les Fêtes. Actuellement, les deux firmes assurent que les délais seront tenus. Elles admettent toutefois que la pandémie constitue un défi important et que de nombreuses inconnues subsistent, notamment en cas de deuxième vague.

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Manque de transparence de l’industrie

Yannick Rochat, collaborateur scientifique au collège des humanités de l’EPFL et membre de l’Unil Gamelab, confirme que «la production de consoles et de jeux jouera un rôle central dans les mois à venir». Il se méfie par ailleurs des discours optimistes d’une industrie qui «adore les effets d’annonce et ne brille pas par sa transparence».

Reste aussi à voir si les nouveaux venus deviendront des joueurs fidèles, comme le laisse entendre l’analyste Ted Pollak dans un entretien à l’AFP. Une position que tempère Yannick Rochat: «C’est un loisir très chronophage. Celui qui n’en fait pas une priorité risque de ne pas continuer à jouer lorsqu’il retournera au travail.»

A ce titre, il est intéressant de constater que, dans ses prévisions financières dévoilées la semaine dernière, Nintendo table sur un bénéfice en recul de 22,7% pour 2020. Ubisoft a aussi revu son résultat d’exploitation à la baisse (400 à 600 millions contre 600 millions auparavant). «Le jeu vidéo est assurément gagnant en termes d’image, mais il est beaucoup trop tôt pour parler de croissance économique à long terme», conclut Yannick Rochat.