abo Pourquoi la dexaméthasone contre Covid-19 est une vraie bonne nouvelle

Pixabay / Mohamed Hassan
Pixabay / Mohamed Hassan

Le 16 juin 2020, les investigateurs de l’essai britannique Recovery ont annoncé qu’un simple corticoïde, la dexaméthasone, avait permis de réduire d’un tiers la mortalité des patients Covid-19 hospitalisés sous assistance respiratoire invasive. Les chercheurs viennent de publier leurs données cliniques en pre-print: elles confirment que la molécule, aux puissants effets anti-inflammatoires, améliore nettement le devenir des patients graves.

Pourquoi c’est une vraie avancée. C’est la première fois qu’un traitement fait réellement ses preuves dans la maladie, après quelques annonces précipitées non suivies d’effets. Or non seulement l’effet est important mais la molécule est bien connue des médecins. Sûre d’emploi, bon marché et facile à produire en masse, la dexaméthasone représente une avancée majeure dans la prise en charge. Aux HUG, deux patients de soins intensifs ont déjà reçu le traitement.

Portrait-robot d’un médicament. La dexaméthasone n’a rien d’un nouveau-venu dans la pharmacopée. Elle est utilisée depuis plus d’un demi-siècle et ses effets comme ses mécanismes d’action sont bien connus.

  • Synthétisée en 1957, la dexaméthasone est utilisée depuis les années 1960 et figure dans la liste des médicaments essentiels de l’OMS.

  • C’est un corticoïde de synthèse, c’est-à-dire un dérivé du cortisol, cette hormone sécrétée par les glandes surrénales pour aider à transformer le gras en sucre.

  • Elle se signale par de puissants effets anti-inflammatoires, même à faible dose, et s’avère efficace dans de nombreuses indications: méningites, psoriasis et eczéma, asthme sévère…

  • Chez les patients fragiles, le risque principal consiste à favoriser l’apparition d’infections opportunistes.

  • En soins intensifs, la dexaméthasone est employée pour prévenir les complications des syndromes de détresse respiratoire aigüe (une indication longtemps controversée par crainte de faciliter les chocs septiques).

L’essai britannique. Recovery est un très vaste essai clinique contrôlé randomisé destiné à évaluer plusieurs traitements contre Covid-19 à l’échelle du Royaume-Uni. Les données sur la dexaméthasone concernent 2104 patients traités à faible dose dans 176 hôpitaux, comparés à 4321 patients pris en charge avec le standard de soins.

Les résultats – encore peu détaillés mais définitifs – ont été rendus publics le 22 juin sur la plateforme MedRxiv. Ils ont très vite suscité un concert de réactions enthousiastes chez les experts.

Par contraste avec ce groupe contrôle, la molécule a permis:

  • de réduire la mortalité d’un tiers (29% contre 41) chez les patients intubés,

  • de réduire la mortalité d’un cinquième (21,5% vs 25%) chez les patients sous oxygène.

Chez les patients hospitalisés n’ayant pas besoin d’assistance respiratoire, en revanche, la dexaméthasone n’a pas montré d’efficacité (17% vs 13%, non significatif).

Les indicateurs secondaires – durée de séjour et aggravation de l’état clinique – sont cohérents avec ces résultats.

Le Dr Oriol Manuel, médecin adjoint au service d'infectiologie du CHUV et investigateur principal du volet suisse de Solidarity (en stand-by faute de patients), loue la qualité des travaux britanniques.

«C’est une étude superbe: avoir réussi à écrire le protocole et intégrer autant d’hôpitaux en trois mois, il faut féliciter les chercheurs. L’effet anti-inflammatoire a l’air très bénéfique et correspond bien à notre connaissance de la maladie.»

L’explication. La molécule s’avère d’autant plus utile dans Covid-19 que le patient est dans un état grave. Cet effet s’explique par l’évolution naturelle de la maladie:

  • elle débute une phase initiale, de l’ordre d’une semaine, où c’est le tableau d’infection virale classique qui qui prédomine;

  • s’ensuit chez les patients graves une phase immunitaire, durant laquelle un emballement inflammatoire (tempête de cytokines) provoque l’aggravation des lésions pulmonaires.

Le Pr Jérôme Pugin, médecin-chef du service de soins intensifs des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG):

«Les patients Covid-19 qui arrivent en soins intensifs ont très peu de virus: leur problème principal, c’est l’inflammation pulmonaire induite par le virus.»

Dans la phase virale de Covid-19, la dexaméthasone n’améliore pas le pronostic des patients et pourrait même l’aggraver, en affaiblissant la réponse immunitaire contre le virus. Dans la phase tardive, le médicament joue au contraire un rôle bénéfique en réduisant la réaction inflammatoire nocive.

On ne dispose pas d’éléments à ce jour pour identifier les patients les plus à même de bénéficier de la molécule, mais il est possible que des marqueurs immunitaires permettent dans le futur de mieux cibler les patients – et ainsi limiter le risque d’infections opportunistes en traitant les autres.

Des répercussions immédiates. La dexaméthasone est souvent utilisée en soins intensifs chez les patients ayant des syndromes respiratoires sans risque infectieux majeur – environ un tiers des patients en soins intensifs aux HUG en reçoivent. Mais les hôpitaux suisses évitaient jusqu’à présent de l’employer dans Covid-19.

Jérôme Pugin (HUG):

«On ne donnait pas de dexaméthasone aux patients Covid-19 admis parce qu’il y a au moins une situation où on sait que c’est dangereux: dans la grippe. Si on en donne dans la pneumonie grippale, on sait qu’on aggrave la situation. Donc personne n’était vraiment très chaud pour donner des stéroïdes en dehors d’essai cliniques.»

Recovery a d’ores et déjà changé la donne:

  • Le CHUV n’a actuellement pas de patients Covid-19 en soins intensifs mais il s’apprête à adapter son standard de soins.

  • Aux HUG, deux patients Covid-19 actuellement en soins intensifs – des coopérants d’ONG rapatriés après avoir contracté la maladie en Afrique – ont déjà reçu la molécule.

Une molécule facile d’accès. Un des grands avantages de la dexaméthasone réside dans son prix modique et sa facilité d’accès. Jérôme Pugin:

«C’est une molécule fabricable très facilement en grande quantité, dont on dispose en grande quantité, et qui coûte 30 centimes le milligramme. Donc un traitement de dix jours comme dans Recovery vaut 20 francs. On n’a vraiment aucun problème de coût, ni d’accès à cette molécule.»

Toujours soucieuse des pays à moindres revenus, l’OMS a appelé lundi 22 juin à augmenter la production de dexaméthasone dans le monde, face à une demande ayant «bondi». Mais le directeur général de l’organisation se veut rassurant:

«Heureusement (…), il existe de nombreux fabricants de dexaméthasone dans le monde entier, qui, nous en sommes convaincus, peuvent accélérer la production.»

Les points à surveiller. Quelques incertitudes demeurent encore sur le degré d’efficacité de la dexaméthasone, du fait des limites de l’essai Recovery:

  • on ne connaît pas la mortalité résiduelle à long terme.

La mortalité dans Recovery a été mesurée 28 jours après le début de la prise en charge des patients, ce qui permet de capturer l’évolution de la maladie dans l’immense majorité des cas. Il existe néanmoins une mortalité résiduelle à long terme.

Jérôme Pugin:

«Malheureusement des patients continuent de mourir après 28 jours –  cela représente sans doute de l’ordre de 10 à 15% des décès. C’est pour ça qu’en soins intensifs, on mesure généralement la mortalité à 90 jours.»

Il est toujours possible que des patients traités par dexaméthasone connaissent une aggravation plus marquée à long terme, mais il est peu plausible que les résultats très nets de Recovery en sortent substantiellement modifiés.

  • le taux de mortalité britannique est très élevé comparé à la Suisse.

Avec près de 40% de décès chez les patients intubés, Recovery fait état d’une mortalité presque deux fois supérieure à la Suisse pour une population a priori comparable. Un différentiel difficile à expliquer, si ce n’est par une probable saturation des services britanniques.

Jérôme Pugin:

«On a jamais été débordés en Suisse et à Genève, on a réussi à maintenir le niveau de soins maximal en triplant nos capacités et tous nos patients ont eu le meilleur traitement. Ce n’est pas forcément le cas en Angleterre.»

Les effets de la dexaméthasone se transposeront-ils aussi bien en Suisse, où la mortalité est déjà bien plus faible? Nul n’est en mesure de répondre à cette question à l’heure actuelle.

Pour aller plus loin. Les recherches cliniques sur Covid-19 avancent bon an mal an, et un consensus semble se dégager en faveur de l’intérêt d’une stratégie qui combinerait un traitement aux effets anti-inflammatoire avec un antiviral efficace.

Oriol Manuel:

«L’idée serait taper fort au début avec un antiviral et si le patient se péjore, agir plus sur l’état inflammatoire avec la dexaméthasone ou le tocilizumab

Si les traitements prometteurs abondent dans la phase la plus grave de la maladie, l’antiviral vraiment efficace contre le Sars-CoV-2 reste à trouver:

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