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Le coronavirus pourrait avoir un impact sur la grossesse

Des études récentes suggèrent que le Covid-19 pourrait affecter le placenta, contrairement à ce qui avait été suggéré au début de la pandémie. Dans l’attente de résultats plus complets, les spécialistes plaident pour que la femme enceinte soit considérée comme à risque

Un registre mondial des femmes enceintes infectées a été créé. Il permettra de réaliser des études à plus large échelle sur l'impact du coronavirus sur la mère et sur le foetus. — © Callaghan O'Hare/REUTERS
Un registre mondial des femmes enceintes infectées a été créé. Il permettra de réaliser des études à plus large échelle sur l'impact du coronavirus sur la mère et sur le foetus. — © Callaghan O'Hare/REUTERS

Tout au long de cette pandémie, des centaines de milliers de personnes sont décédées. Mais des millions de bébés ont aussi vu le jour dans le monde entier. A quel point la maladie menace-t-elle leur santé in utero, à la naissance, ainsi que celle de leur maman? Avec plusieurs mois de recul, les scientifiques constatent que le coronavirus peut infecter le placenta, et donc possiblement avoir un impact sur la santé du fœtus.

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Une étude parue le 8 mai dans l’American Journal of Obstetrics & Gynecology MFM a analysé la membrane placentaire de 11 femmes positives au Covid-19 et qui ont accouché en mars et avril à l’hôpital new-yorkais Langone Health. Le coronavirus a été détecté sur trois de ces échantillons, même si aucun nouveau-né n’a été contaminé. «Même s’il n’y a pas de signes cliniques d’une transmission verticale, les recherches indiquent la possibilité d’une exposition virale du fœtus», écrivent les scientifiques.

La source de la contamination n’est pas encore claire. Elle pourrait venir du sang maternel pendant la grossesse, ou de la présence du virus dans la sphère génitale au moment de l’accouchement. Cependant, des contaminations ont aussi été identifiées chez des bébés accouchés par césarienne.

Retard de croissance

Ces dernières semaines, d’autres études sont venues confirmer la possibilité que le coronavirus affecte le placenta, cet organe qui permet au fœtus de se développer en lui apportant l’eau et les nutriments nécessaires à sa croissance. Comme celle parue dans l’American Journal of Clinical Pathology, qui montre que dans certains cas celui-ci présente des lésions entraînant une malperfusion vasculaire, pouvant provoquer des naissances prématurées et des retards de croissance. Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), David Baud, médecin-chef d’obstétrique au département «Femmes-mères-enfants», a également eu affaire à un placenta positif au Covid-19 au mois de mars. Celui-ci provenait d’une jeune femme infectée, qui a malheureusement subi une fausse couche lors de son deuxième trimestre de grossesse. Les résultats ont été depuis publiés dans le Journal of American Medical Association (JAMA).

Selon ce spécialiste et son équipe, il est peu probable que le placenta ait été contaminé lors de l’expulsion, ou lors des analyses en laboratoire, car les autres échantillons testés étaient négatifs. «Ce serait étonnant que ce virus induise des malformations sur le fœtus, indique-t-il. Par contre, il est tout à fait possible qu’en affectant le placenta, il provoque une moins bonne perfusion du bébé. C’est le cas pour les autres coronavirus du syndrome respiratoire, le SARS et le MERS, qui restreint la croissance intra-utérine dans 40% des cas.»

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Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Begoña Martinez, cheffe du service d’obstétrique, se montre moins alarmiste. «Nous avons maintenant des informations sur plus de 1000 femmes enceintes contaminées par le Covid-19, précise-t-elle. Quelques cas de transmission au placenta sont certes décrits, mais ils restent très rares. La plupart des nouveau-nés ne sont pas symptomatiques.»

Enceintes et intubées

Le Covid-19 peut aussi peser sur la santé des mamans. Selon plusieurs études parues, sans comorbidités comme le diabète, celles-ci présentent les mêmes facteurs de risque… que les personnes âgées de 60 ans. Selon les statistiques, entre 3 et 11% des femmes enceintes contaminées ont besoin de soins intensifs. Le taux de décès est de 1%. Au CHUV, une trentaine de femmes enceintes ont été testées positives au coronavirus depuis début mars. Plusieurs ont été intubées. Depuis, une quinzaine ont accouché et vont bien, de même que leur enfant.

Optimiste, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) précise qu’il «n’a pas été démontré jusqu’ici que les femmes enceintes sans maladies sous-jacentes avaient un risque spécifiquement accru d’infection par le nouveau coronavirus ou de connaître une évolution grave du Covid-19. Cela étant, les données et l’expérience acquise sont encore limitées. Dès lors, les nouvelles données et conclusions font l’objet d’un suivi avec des experts.»

Aux HUG, Begoña Martinez se montre prudente: à ce stade, il n’y a pas de preuves que le Covid-19 induit plus de complications pendant une grossesse, estime-t-elle. «Le virus de la grippe saisonnière, par contre, est connu pour avoir des effets plus sévères chez la femme enceinte. Pour le coronavirus, rien n’est encore clair.»

La Société suisse de gynécologie et obstétrique n’a pas mis à jour ses recommandations. Alors même que les études montrent que le placenta peut être affecté par le virus, elle note toujours que «jusqu’ici la présence du virus n’a été décelée ni dans le placenta ni dans le liquide amniotique». Et relève que les femmes enceintes ne sont pas particulièrement «des personnes à risque» – contrairement à de nombreux pays européens, dont la France, qui les considèrent comme vulnérables à partir du troisième trimestre de la grossesse.

Principe de précaution

David Baud, coauteur de ces recommandations, a depuis revu sa copie. Il considère désormais qu’il faut «appliquer le principe de précaution: tant que nous ne connaissons pas l’impact de cette maladie sur le bébé, les femmes enceintes doivent être protégées de tout contact avec le virus. J’ai signé plusieurs arrêts maladie pour du télétravail récemment, car les employeurs de mes patientes les mettaient en contact avec de la clientèle. L’espérance de vie d’un fœtus est de 80 ans, cela vaut la peine de se battre pour lui.»

La science n’a pas encore de recul sur les grossesses apparues au début de l’année ou avec l’arrivée de la pandémie. Un registre mondial des femmes enceintes infectées a été créé. Il permettra de réaliser des études avec une cohorte de population plus importante, car celles parues jusqu’à maintenant ne permettent pas d’extrapoler de véritables tendances. En attendant, la prudence est de mise.

Un appel pour les femmes enceintes

Le Temps a reçu une prise de position signée par l’équipe de recherche sur le thème «protection de la maternité au travail», qui regroupe des membres à la Haute Ecole de santé Vaud (Hesav, HES-SO) et Unisanté, au Centre universitaire de médecine générale et santé publique, et est soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. «Dans la période actuelle de crise sanitaire due au Covid-19 et plus particulièrement dans cette phase de déconfinement, écrit cette équipe sous la plume de Maria-Pia Politis Mercier, sage-femme et maître d’enseignement, nous estimons que la protection des femmes enceintes est insuffisante.»

Les chercheurs ont notamment constaté que «des travailleuses enceintes préfèrent accepter des conditions de travail potentiellement dangereuses plutôt que de risquer un conflit avec leur hiérarchie, voire perdre leur emploi», écrivent-elles dans un article paru dans la revue REISO. C’est pourquoi cette équipe, soutenue par le groupe d’experts sur l’éthique de la task force scientifique nationale, a tenté de sensibiliser différents acteurs cantonaux et nationaux sur le sujet. Avec succès parfois: «Le canton de Vaud a décidé suite à nos interventions de considérer les employées enceintes au même titre que les personnes vulnérables au sein du personnel étatique», se félicite Maria-Pia Politis-Mercier. Pour le moment, l’OFSP est resté insensible à ces alertes. La députée verte Sophie Michaud Gigon, elle, vient d’interpeller le Conseil fédéral sur le sujet. Sa réponse ne devrait pas tarder.