abo À l'heure de la becquée, les oisillons chouettes ont le sens du partage

Le Flux Santé s'intéresse aussi à la santé animale. Chloé Laubu, docteure en biologie du comportement animal, se penche ici sur l'altruisme des chouettes effraies.

Fratrie de jeunes chouettes effraies (Tyto alba). | Shutterstock / Albert Beukhof
Fratrie de jeunes chouettes effraies (Tyto alba). | Shutterstock / Albert Beukhof

Chez les chouettes effraies, les aînés de fratrie peuvent se montrer altruistes et partager leur nourriture avec leurs cadets. C’est ce que viennent de montrer des chercheurs de l’Université de Lausanne dans une étude publiée le 10 juin dans la revue The American Naturalist.

Pourquoi c’est intéressant. Les interactions au sein des fratries sont souvent décrites en termes de compétitivité. En particulier chez les rapaces, les poussins les plus forts peuvent attaquer ou éjecter du nid leurs frères ou sœurs plus faibles afin de monopoliser la nourriture. Ce travail montre que les comportements d’entraide existent aussi et s’expliquent d’un point de vue évolutif.

Pendant leurs cinquante premiers jours, les poussins chouettes effraies dépendent entièrement de leurs parents qui leur ramènent des petits rongeurs au nid. Chaque passage ne permet de nourrir qu’un poussin, car la proie est avalée toute entière. Sachant qu’une nichée comporte en moyenne quatre et cinq jeunes (parfois neuf), et que chacun a besoin d’environ trois proies par nuit, les parents ne chôment pas.

Don de nourriture. Les petits n’éclosent pas tous en même temps, mais avec un intervalle de deux à trois jours entre chacun. Il y a donc une grosse différence de taille entre eux et le plus âgé pourrait facilement s’accaparer la nourriture. Mais ce n’est pas le cas. Les chercheurs lausannois ont même observé des dons de nourriture entre les petits: un poussin ayant reçu une proie ne la mange pas, mais se déplace pour la donner directement dans le bec d’un de ses frères/sœurs ou la déposer à ses pieds. Pauline Ducouret, première auteure de cette étude et post-doctorante au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, explique pourquoi c’est une belle découverte:

«C’est un comportement extrêmement rare dans la nature. On observe des dons de nourriture entre adultes chez certaines espèces très sociales ou certains oiseaux dans un contexte de séduction. Mais ça n’a jamais été observé chez des juvéniles. Nous avons voulu savoir pourquoi et dans quelles conditions avaient lieu ces comportements.»

Observations des nichées. Les chercheurs ont observé 27 fratries de chouettes effraies sauvages, soit 127 poussins, dans les cantons de Vaud et Fribourg où les populations de chouettes sont suivies de longue date.

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Fratrie de chouettes effraie. | Amélie Dreiss coauteure de l'étude.

Les observations étaient réalisées lors de deux nuits consécutives pendant la saison de reproduction:

  • L’une des nuits était normale en termes de nourriture apportée par les parents.

  • L’autre nuit était riche en nourriture car les chercheurs ajoutaient expérimentalement des proies dans le nichoir (deux souris par poussin).

Cette expérience avait lieu lorsque le poussin aîné avait 40 jours. À cette période les parents ne restent plus au nid. Ils ne font plus que des passages éclairs pour apporter les proies. Grâce à des caméras à infrarouge placées dans les nichoirs et de minuscules microphones portés par les poussins, les chercheurs ont pu analyser:

  • Quel poussin recevait chacune les proies ramenées par les parents.

  • S’il y avait des dons de nourriture et entre quels poussins ils avaient lieu.

  • Les comportements d’épouillage.

  • Les vocalisations de chaque poussin. Les petites chouettes crient toute la nuit afin d’exprimer leur niveau de faim: la plus affamée pousse des cris de quémande très longs et nombreux.

Altruisme de l’aîné. Dans certaines nichées, les biologistes ont observé jusqu’à quatre dons en une seule nuit! Ces dons étaient plus fréquents dans les situations d’abondance de nourriture, et ils étaient majoritairement réalisés par les poussins les plus âgés en direction de leurs cadets.

L’aîné des poussins ne distribuait pas au hasard sa nourriture: il la donnait en priorité au poussin le plus affamé, celui qui avait fait le plus de cris de quémande. Pauline Ducouret:

«On peut parler d’altruisme, car l’aîné n’en tire pas de bénéfice direct. Mais indirectement, en nourrissant un frère ou une sœur qui en a le plus besoin, il accroît les chances de survie et de reproduction de ce dernier et donc la transmission des gènes qu’ils ont en commun.»

Dans certaines nichées, le poussin aîné était largement favorisé par les parents qui lui donnaient la majorité des proies et c’est dans ces situations qu’il se montrait le plus généreux. La chercheuse suppose:

«Que les parents transfèrent à l’aîné la responsabilité de distribuer la nourriture à ses cadets. Après tout, il sait mieux que ses parents quels poussins ont le plus faim puisqu’il a écouté leurs vocalisations toute la nuit.»

Echange de services. L’aîné peut aussi choisir de donner sa nourriture à celui de ses cadets qui lui a précédemment rendu service. Quand un poussin l’a longuement épouillé, le débarrassant ainsi de ses parasites, il aura plus de chance de se voir offrir une proie. Pauline Ducouret:

«Si aucun des poussins ne crie plus fort, l’aîné peut choisir d’échanger sa nourriture. C’est du donnant-donnant. On observe d’ailleurs que les comportements d’épouillage sont toujours dirigés vers des poussins plus âgés: les cadets augmentent ainsi leurs chances de recevoir un don en échange.»

Ce qu’il faut retenir. Chez les chouettes effraies, l’aîné peut prendre soin de ses cadets en leur redistribuant une partie de la nourriture qu’il reçoit. Il y a deux explications évolutives à ce comportement:

  1. Celui-ci peut apporter des bénéfices directs parce que le poussin aîné l’échange contre un service (épouillage),

  2. ou alors des bénéfices indirects (génétiques) parce qu’il augmente les chances de survie et donc de reproduction d’un frère ou d’une sœur.

La suite. Les biologistes s’intéressent maintenant au soi-disant «vol de proie» entre les poussins lorsqu’un petit se déplace pour dérober sa nourriture à un de ses frères ou sœurs. Dans la plupart des cas, il s’agirait en fait d’un poussin qui vient prendre la proie d’un de ses aînés qu’il a longuement épouillé précédemment: il viendrait donc simplement récupérer son dû. Et non pas le voler.

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