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Les scientifiques précaires sortent du confinement plus fragilisés que jamais

Confinement oblige, bon nombre de jeunes scientifiques, tels que les post-doctorants – en majorité embauchés en contrat à durée déterminée – craignent de ne pas pouvoir mener à bien leurs projets de recherche. Les universités considèrent plusieurs options de prolongation

Image d'illustration. — © Fabrice Ducrest/UNIL
Image d'illustration. — © Fabrice Ducrest/UNIL

Après avoir été contraints de cesser les recherches pour cause d’épidémie, les scientifiques reprennent progressivement le chemin de leurs laboratoires et de leurs bureaux. Ce hiatus dans les travaux inquiète en particulier les jeunes chercheurs en début de carrière tels que les post-doctorants et les autres grades de chercheurs non titularisés constituant le corps intermédiaire.

Majoritairement engagés sous contrat à durée déterminée, ils craignent de ne pouvoir mener à terme les projets pour lesquels ils ont été embauchés. «Perdre deux mois de travail, sur des projets à durée limitée, c’est beaucoup», dit Maximilien Stauber, secrétaire général de l’Association du corps intermédiaire et des doctorant.e.s de l’Université de Lausanne (Acidul).

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Des propos qui font écho à un article paru le 29 mai dans la revue Science et intitulé «La position précaire des postdocs pendant le Covid-19». Les auteurs, des scientifiques américains, exhortent les institutions à prendre des mesures fortes pour protéger ces forces vives de la recherche.

La Suisse, avec ses universités et écoles, n’échappe pas à la situation. L’Université de Lausanne (Unil) a ainsi mis en place une procédure de demande de prolongation pour «tous les membres du corps intermédiaire engagés sur des contrats à durée déterminée», est-il écrit dans un e-mail envoyé le 28 mai par la direction, message que nous avons pu consulter. Les requérants doivent remplir un questionnaire justifiant l’impact du confinement sur leurs travaux, et les situations sont examinées au cas par cas.

Pétition en ligne

Le diable se cachant dans les détails, les choses sont en fait un peu plus compliquées. Sur les 1329 contrats à durée déterminée, 550 sont financés sur des fonds externes suisses ou européens dont les bailleurs doivent indépendamment autoriser ou non la prolongation des contrats. Quant au fait de devoir justifier de son activité et de remplir de nouvelles formalités administratives, cela n’est pas goût de tout le monde.

Une pétition nommée «Corps intermédiaire en colère» a même vu le jour mi-mai pour exiger la prolongation automatique des contrats. Elle a recueilli 589 signatures lors de sa clôture. Son initiant, le chercheur en sciences politiques Antoine Chollet, déplore «une situation inutilement complexe qui engendre une extrême incertitude pour les chercheurs précaires. La majorité des contrats prenant fin durant l’été, personne ne sait ce qui va se passer ensuite.» Las, la direction de l’Unil rappelle dans son courrier qu’il faut rester «redevable de l’utilisation de l’argent public», les chercheurs rémunérés sur fonds propres étant payés par le canton.

«Un trou dans la carrière»

La situation semble moins chaotique chez la voisine, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). «Sur simple demande du doctorant, du post-doctorant ou du professeur, les contrats peuvent, depuis début avril, être prolongés de 3 mois», éclaire dans un e-mail Corinne Feuz, porte-parole de l’établissement. Sur les 2e et 3e trimestres, 1500 fins de contrat de doctorants, post-docs et de collaborateurs scientifiques étaient initialement prévues, l’EPFL en ayant prolongé «bien plus que 500», pour une durée moyenne de trois mois.

A l’Université de Neuchâtel, «les chercheuses et chercheurs engagé-e-s sur nos fonds propres qui sont membres du corps intermédiaire (essentiellement les assistant-e-s doctorant-e-s et les post-doctorant-e-s), [ont] la possibilité de prolonger le contrat d’une durée équivalente à l’interruption de la recherche, mais au maximum 6 mois», précise pour sa part Nando Luginbühl, porte-parole de l’université. Des mesures similaires ont été instaurées à Genève avec des prolongations de deux à six mois, rapporte le site Swissinfo.

En attendant, la carrière de ces chercheurs précaires, pourtant indispensables, est fragilisée. «Devoir annuler des conférences, des congrès, voire la publication d’articles peut mettre en péril des années de travail et créer un trou dans la carrière. Sans compter que si le projet n’aboutit pas, c’est aussi l’argent public engagé qui risque d’être perdu», conclut Maximilien Stauber.