abo Pourquoi les personnes trans peinent à se faire soigner correctement

Image d'illustration. | Shutterstock / Panchenko Vladimir
Image d'illustration. | Shutterstock / Panchenko Vladimir

En s’affirmant, fin 2019, en faveur d’une débureaucratisation du changement de sexe et de prénom dans le registre de l’état civil des personnes trans, le Conseil fédéral a insisté sur sa volonté de mieux prendre en compte «les besoins spécifiques des personnes transgenres ou présentant une variation du développement sexuel». La question de leur accès à la santé demeure problématique, entre méfiance sinon défiance d’une côté, et incompréhension voire transphobie de l’autre.

Pourquoi on en parle. La Pride (Marche des fiertés) a fêté son 50e anniversaire le week-end dernier sous une forme mondiale et dématérialisée. A cette occasion, les associations LGBT+ s’émeuvent de l’impact de la pandémie sur la santé des minorités de genre. L’occasion de faire le point sur l’accès au soin des personnes trans et non binaires en Suisse.

Les chiffres. On a très longtemps minoré le nombre de personnes trans et non binaires. Pourtant, environ une personne sur 75 à 200 considère qu’elle est d’un autre genre que celui qui lui a été assigné à la naissance. Une population invisible et invisibilisée, notablement dans le domaine de la santé où la transidentité et la non binarité restent méconnues, incomprises ou stigmatisées par de nombreux professionnels de santé.

D’après différentes enquêtes menées ces dernières années, 20% à 35% des personnes trans retardent les soins en raison d’expérience de discrimination, de maltraitance ou, pour 2%, de violences:

  • 60% disent avoir été discriminées au sein de l’institution médicale

  • 19% se sont vu refuser des soins en raison de leur identité trans

  • 50% disent avoir du «former» leur médecin.

Ces chiffres sont d’autant plus importants lorsqu’il s’agit de femmes trans racisées et/ou travailleuses du sexe.

Résignation, méfiance et colère. «C’est bien simple, je n’accorde plus aucune confiance aux médecins», résume Céleste, une jeune femme trans de 27 ans rencontrée pour un précédent article.

Un sentiment largement partagé au sein de la communauté trans, comme l’explique le sociologique Arnaud Alessandrin, co-auteur de «Santé LGBT. Les minorités de genre et de sexualité face aux soins»:

«Il n’y a jamais eu de régime de confiance concernant la prise en charge. À partir des années 2000, la capacité à se renseigner par soi-même (internet, associations de patients) est devenue de plus en plus importante et la santé est devenue un droit: chacun·e évalue ce à quoi il a le droit et ce qu’il refuse. Les protocoles de prise en charge étaient critiquables: ils s’est instauré une méfiance sinon une défiance.»

Lynn Bertholet, présidente de l’Association Epicène à Genève exprime quant à elle très ouvertement sa colère:

«En Suisse, le niveau est catastrophique: il n’y a aucune formation pour les soignants, à peine deux heures sur le cursus d’un médecin. On se vante d’avoir un super système de santé, mais pour les personnes trans, c’est la catastrophe et je pèse mes mots. La situation est grave.»

Et de déplorer la méconnaissance des médecins de premiers recours face aux questions de transidentité, ainsi que le manque de recherches médicales sur le sujet:

«Quand je suis arrivée vers ma doctoresse et que je lui ai parlé de ma transition, elle ne savait pas du tout ce que cela impliquait médicalement parlant. Du côté des chirurgiens, c’est tout aussi dramatique: ils apprennent sur le tas. Et le tas, c’est nous. Comme nous sommes peu nombreux·ses et que nous avons un faible pouvoir d’achat, il y a peu d’études en médecine, alors que la dysphorie de genre pourrait être considérée comme une maladie orpheline et la recherche bénéficier de fonds publics.»

Face à ce hiatus entre leur condition, les pratiques médicales et la difficulté à trouver des réponses sur leurs interrogations de santé, les personnes trans s’organisent en associations et se renseignent sur internet voire construisent des réseaux des soins parallèles.

Ce constat pousse à comprendre l’origine de leur méfiance envers les professionnels de santé.

Prise en charge inadaptée. Pour Arnaud Alessandrin, la prise en charge des personnes trans est encore largement marquée par une psychiatrisation qui a forgé des représentations stigmatisantes:

«Les personnes trans sont d’abord perçues comme des malades psychiatriques. Elles sont réduites à cela. Cette psychiatrisation de la transidentité a créé une défiance, des préjugés et des stéréotypes. La santé marche dans les pas de cette organisation protocolaire. Les soignants demandent en permanence aux personnes trans si elles sont suivies par un psychiatre, quelles hormones elles prennent. Le soin en général se trouve prisonnier de prises en charge psychiatriques qui ont fait oublier que les personnes trans ne sont pas que des personnes en transition.»

C’est ainsi que les soignants peuvent avoir tendance à oublier qu’ils ont devant eux juste des patients, qui sont souvent mis à l’écart d’un certain nombre de dispositifs de santé publique allant de la santé sexuelle et reproductive à la santé scolaire, en passant par l’oncologie ou le vieillissement. Et Arnaud Alessandrin de poursuivre:

«Au lieu d’être envisagée dans sa globalité, la personne trans est réduite à son sexe anatomique ou à sa transition. Cela crée des effets de préjugés très forts et des appréhensions. On peut voir cela comme un éloignement du soin plus que d’une discrimination au soin, même s’il existe des propos ou des agissements transphobes.»

Reste que cette vision réductrice, souvent marquée par des allants de soi cisgenre, va induire des expériences négatives comme être mégenré·e ou appelé·e par son «dead name» (le prénom assigné à la naissance et souvent encore présent sur les papiers administratifs) voire des propos discriminants.

Manque de formation. La Dre Erika Volkmar, directrice de la Fondation Agnodice à Lausanne, déplore quant à elle le manque de formation des soignante·s qui ne leur permet pas de créer un environnement accueillant pour recevoir des personnes trans:

«Toute une génération de médecins de premiers recours n’a eu aucune formation de base sur la thématique transgenre. A cela s’ajoute un manque de compétences culturelles (manque de connaissance du jargon, manque de sensibilisation à l’usage des bons pronoms, manque de confidentialité), ainsi que des difficultés pour le soignant de réaliser que son expérience du genre ne saurait être normative.»

La Dre Martine Jacot-Guillarmod, gynécologue au CHUV à Lausanne partage ce point de vue:

«Je pense qu’il y a beaucoup de méconnaissance et de peur de ne pas faire bien, de peurs également liées à l'identité de genre qui font oublier que ce sont des individus avant tout qui ont les mêmes besoins que les personnes cis. Cette méconnaissance se traduit par une approche maladroite. Du côté de ces patients, cela induit un évitement par crainte de revivre ou vivre des difficultés.»

Si cette méconnaissance peut induire un sentiment de discrimination, elle peut aussi provoquer une carence de prise en charge. Ainsi, la Dre Martine Jacot-Guillarmod prend l’exemple d’un homme trans attendant aux urgences gynécologiques et qui n’a jamais été appelé… Un autre exemple nous a été donné par Lynn Bertholet: lorsqu’elle passait un scanner afin de vérifier l’absence de métastases en lien avec un mélanome, le radiologue a tout bonnement oublié de s’assurer de l’intégrité de sa prostate. Arnaud Alessandrin évoque, lui aussi, des pathologies ou des troubles liés à l’ignorance ou à l’aveuglement comme la prise de poids chez les hommes trans pour cacher leur torse ou la compression de la poitrine par des bandages irritants voire réduisant l’amplitude respiratoire. On peut aussi évoquer le peu d’études portant sur les effets d’une prise d’hormones sur le long terme.

Et demain? Malgré ces constats implacables, on peut espérer une amélioration de la prise en charge des personnes trans à l’avenir. Le premier élément est sans doute le renouvellement des générations: les plus jeunes semblant plus ouverts aux thématiques LGBT+. La Dre Martine Jacot-Guillarmod témoigne:

«Lors d’un suivi de grossesse d’un homme trans, j’ai été frappée par la différence générationnelle: les jeunes soignants, souvent des femmes, ont eu des réactions plutôt positives. Les rares situations où j’ai ressenti de la gène étaient le fait de personnes plus âgées. On peut imaginer que l’on va vers une prise en charge moins stigmatisante.»

C’est aussi l’intégration de formations spécifiques dans le cursus médical, ainsi que la mise en place de formations continues pour les professionnels installés, qui pourra peut-être changer progressivement mais véritablement la donne. C’est ce que propose la Dre Erika Volkmar via la Fondation Agnodice:

«Il nous a fallu dix ans de sensibilisation pour arriver à mettre en place une heure de formation à la question de la transidentité dans le cursus des futurs médecins à l’UNIL. C’est insuffisant. Il existe aussi des modules optionnels en 4e et 5e années qui réunissent 25 étudiants sur 250. Le reste relève de la formation continue. Nous sommes en train de développer un module d’e-learning pour les médecins de premiers recours romands. A Lausanne, ça avance dans le bon sens mais il y a encore d’énorme besoins. C’est un champ qui s’ouvre avec résistance et lenteur.»

À l’Université de Genève, le projet «Sciences, sexes, identités» ouvre également la voie de la formation avec des cours donnés en Bachelor de médecine ainsi que des modules de formations continue.

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