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Plus d’avortements tardifs à cause du coronavirus

Malgré la mobilisation des professionnels, certaines femmes n’ont pas pu bénéficier des services gynécologiques dont elles avaient besoin pendant le confinement. Notamment les profils les plus fragiles, comme les très jeunes femmes et les migrantes

Dans des situations exceptionnelles, la loi suisse autorise l’interruption de grossesse après douze semaines, mais la procédure est plus lourde pour les patientes concernées.   — © Keystone/CHRISTIAN BEUTLER
Dans des situations exceptionnelles, la loi suisse autorise l’interruption de grossesse après douze semaines, mais la procédure est plus lourde pour les patientes concernées.   — © Keystone/CHRISTIAN BEUTLER

Le 14 juin 2019 a eu lieu la grève des femmes en Suisse. Un an plus tard, nous en parcourons les effets dans une série d’articles.

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Il y a presque un an, le 14 juin 2019, des milliers de femmes défilaient dans les rues de Suisse pour défendre leurs droits, notamment celui d’un accès libre et gratuit à la contraception et à l’avortement. Entre-temps, le Covid-19 est passé par là, et les citoyennes de tout âge ont dû affronter deux mois de confinement, et la menace du coronavirus.

Pendant ces longues semaines, leurs besoins gynécologiques n’ont pas diminué, qu’il s’agisse de troubles mineurs comme des mycoses vaginales, des infections urinaires ou de questions plus urgentes telles qu’un oubli de contraception, une prise en charge à la suite d’une agression sexuelle ou une interruption de grossesse. Côté obstétrique, les femmes enceintes ont aussi connu leur lot de soucis: pertes anormales, fausses couches, etc.

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L’ONG Marie Stopes International (MSI), relayée par Amnesty International, estime que «dans les 37 pays dans lesquels elle intervient, les perturbations liées au Covid-19 pourraient entraîner 3 millions de grossesses non désirées supplémentaires, 2,7 millions d’avortements dangereux supplémentaires et 11 000 décès liés à la grossesse supplémentaires». Au Népal, en Afrique du Sud, mais aussi dans certains Etats américains comme le Texas, les interruptions de grossesse ont été suspendues au motif qu’elles n’étaient pas «urgentes».

Rien de tel en Suisse: ces interventions ont été maintenues dans les hôpitaux romands, où les services ont fourni un effort considérable pour continuer à suivre leurs patientes malgré la pandémie en mettant en place des consultations à distance, mais aussi en présentiel, en pratiquant des tests Covid-19 à chaque fois et en prenant des précautions afin d’éviter les contaminations. Aux urgences gynécologiques et obstétricales des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), la responsable Jasmine Abdulcadir a constaté une baisse de 50% des consultations pendant cette période. «Certaines femmes sont allées à la pharmacie ou chez le médecin pour se faire soigner au lieu de venir chez nous, estime-t-elle. Mais les interventions urgentes, elles, sont restées stables, de même que celles liées aux agressions sexuelles, ce qui montre une bonne prise en charge malgré les conditions.»

A la fondation vaudoise Profa, le responsable psychosocial et conseiller en santé sexuelle Alain Pfammatter se montre aussi positif. Les rendez-vous sont devenus virtuels à cause de la pandémie, mais selon lui, cela n’a pas empêché les situations les plus impérieuses d’être encadrées. «Nous avons guidé des femmes par téléphone afin qu’elles aillent acheter un test de grossesse ou une pilule d’urgence dans des pharmacies partenaires», raconte-t-il. Dans certains cas, des consultations médicales ont été maintenues. «Nous n’avons constaté aucun délai supplémentaire pour les demandes d’interruption de grossesse», constate-t-il.

Porte close

Cela n’a pourtant pas empêché certains couacs. Après l’annonce du confinement, des gynécologues privés ont fermé leur cabinet du jour au lendemain, laissant leurs patientes dans le désarroi, explique Monette Cherpit, conseillère en santé sexuelle à l’unité de santé sexuelle et planning familial des HUG. «La première semaine, nous avons été sollicités par plusieurs femmes dans la détresse car leur gynécologue ne répondait plus et elles avaient besoin de contraception ou de contrôle gynécologique, explique-t-elle. Nous les avons orientées vers d’autres services qui ont pu les prendre en charge.»

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D’autres personnes, migrantes et dans le dénuement, ont également eu des problèmes pour se procurer leur pilule, qu’elles obtenaient d’ordinaire dans un autre pays et ne pouvaient pas s’acheter en Suisse par manque d’argent ou de prescription. Ou qui, étrangères mais confinées en Suisse où elles étaient de passage, n’y ont pas d’assurance maladie, et ne pouvaient donc pas se faire rembourser une interruption de grossesse, par exemple. Ces femmes sont souvent les mêmes que celles qui font la queue pour obtenir de l’aide alimentaire en ces temps de crise. Pour elles, la Chaîne du Bonheur soutient un fonds, encore actif aujourd’hui.

«La Chaîne du Bonheur ne finance pas l’IVG en général, mais les situations d’urgence: celles de femmes tellement précarisées par la crise qu’elles ne peuvent se la payer et risquent de recourir à des moyens clandestins, donc dangereux. Notre soutien permet de préserver la santé de ces femmes», précise Fabienne Vermeulen, responsable de programme en Suisse.

Parcours du combattant

Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Christine Renteria, médecin adjointe en gynécologie, a vu récemment arriver plusieurs femmes mal orientées durant le confinement, qui souhaitaient avorter mais n’ont pas pu le faire dans le délai des douze semaines de grossesse. «Cela a été le parcours du combattant pour trouver de l’aide, remarque-t-elle. Certaines n’ont pas trouvé de spécialiste répondant à leur demande, d’autres ont été renvoyées de service en service… Il y a aussi des mineures qui ne pouvaient pas sortir de chez elles sans avouer le motif de leur consultation. Et des mères de famille qui gardaient leurs enfants et ne pouvaient pas s’absenter pour venir nous voir.» Dans des situations exceptionnelles, la loi suisse autorise l’interruption de grossesse après douze semaines, mais la procédure est plus lourde pour les patientes concernées.

Celles qui ont pu le faire dans les délais ont choisi majoritairement un avortement médicamenteux, afin d’éviter l’hospitalisation. Le confinement les a obligées à vivre cela de leur côté, avec un accompagnement par des proches réduit. Dans certains cas, les femmes avaient souhaité leur grossesse, mais n’ont pas pu la poursuivre pour des raisons économiques: tombées dans la précarité avec la crise liée au Covid-19, elles ne pouvaient pas se permettre d’avoir un enfant. Pour Christine Renteria, «pendant cette pandémie, les femmes ont payé, comme souvent, un prix très lourd».

Pendant cette pandémie, les femmes ont payé, comme souvent, un prix très lourd

Christine Renteria, médecin adjointe en gynécologie au CHUV

Il est trop tôt pour savoir si, au niveau national, le coronavirus a provoqué une hausse massive des avortements tardifs: l’Office fédéral de la statistique ne disposera des chiffres que l’année prochaine. En Suisse romande, les centres de santé sexuelle craignaient d’assister à une avalanche de cas après le déconfinement. Il n’en est rien pour le moment, même si plusieurs patientes sont en effet dans cette situation.

Par ailleurs, il y a aussi de bonnes nouvelles: les spécialistes constatent une diminution des consultations classiques concernant les infections sexuellement transmissibles ou les oublis de contraception. «L’exposition aux risques était moindre, remarque Christine Renteria. Les couples nous disent qu’ils étaient trop stressés pour avoir des rapports ou n’avaient pas suffisamment d’intimité pour le faire, avec tous les enfants autour.» Le retour progressif à la normale devrait là aussi voir la fréquentation des consultations augmenter de nouveau petit à petit.