abo Le dur chemin des assurées en cas de fausse couche

Image d'illustration | Keystone / Christian Beutler
Image d'illustration | Keystone / Christian Beutler

En Suisse, l’assurance-maladie de base rembourse intégralement, tout au long de la grossesse, les «prestations spécifiques de maternité»: examens de contrôle (sept en tout), ultrasons ou encore analyses de laboratoire. En revanche, la franchise et la participation aux coûts de 10% s’appliquent en cas de complication avant la treizième semaine de grossesse, notamment de fausse couche.

Pourquoi c’est injuste. En clair: une femme dont la grossesse se passe bien ne débourse pas un centime tandis que celle qui doit se rendre en urgence à l’hôpital pour des saignements ou subir un curetage passe à la caisse. Ce sujet fait l’objet d’une attention politique croissante sur la scène fédérale. Une motion demandant au Conseil fédéral de changer la loi a été acceptée au Parlement.

«Demander à une femme qui fait une fausse couche avant 13 semaines de grossesse de participer aux coûts, mais pas après 13 semaines, c’est injuste», estime Irène Kälin, députée verte qui a porté le sujet au Conseil national.

Pour les femmes disposant d’une franchise basse, cela passera peut-être inaperçu. En revanche, si la franchise est élevée, les sommes peuvent vite devenir très importantes, comme l’illustre ce témoignage d’une jeune femme à Genève.

L’avis du médecin. David Baud, chef du Service d’obstétrique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV):

«Cette barrière des 13 semaines est difficilement compréhensible. D’un point de vue médical, elle ne se justifie pas. Par ailleurs, l’impact psychologique d’une fausse couche est très important. Ajouter des aspects financiers à cette situation déjà difficile à vivre, ce n’est pas anodin.»

David Baud rappelle que:

  • Une femme sur quatre subit une fausse couche précoce une fois dans sa vie.

  • Entre 1% et 2% de couples sont concernés par des fausses couches à répétition, soit plus de trois avortements spontanés consécutifs avec le même partenaire.

Le spécialiste ne dispose pas de chiffres précis, mais estime qu’environ 10% des fausses couches nécessitent une intervention par curetage et 20% la prise d’un médicament qui provoque des contractions. Dans la majorité des cas, l’embryon est évacué naturellement par des règles plus abondantes.

Un problème plus large? La limite des 13 semaines de grossesse a été introduite par un changement de loi en 2014. Auparavant, les femmes enceintes devaient s’acquitter de la participation aux coûts en cas de complication durant toute la grossesse. «Ce premier changement est un pas dans la bonne direction», note Irène Kälin.

Cette modification de la loi a cependant instillé beaucoup d’incertitudes, comme le notait l’Office de médiation de l’assurance-maladie dans son rapport annuel deux ans après l’entrée en vigueur. Quels contrôles sont pris en charge en début de grossesse? Quels examens de laboratoire? «Ce qui figure dans le catalogue de prestations spécifiques de maternité est parfois sujet à confusion», indique Charles Loretan, de l’Office de médiation de l’assurance-maladie.

«Les dossiers que nous suivons découlent généralement du fait que le médecin n’a pas utilisé la bonne position tarifaire, celle spécifique aux prestations de grossesse. Nous constatons aussi des soucis avec certaines analyses, notamment le HIV et l’hépatite B, que les caisses refusent parfois de prendre en charge alors qu’elles le devraient. Toutefois, dans l’ensemble, nous traitons assez peu de cas en lien avec la maternité.»

David Baud dresse un constat plus sévère, qui va au-delà des 13 premières semaines de grossesse. «Cela dépend beaucoup de l’assureur, mais nos patientes font régulièrement état de problèmes concernant le remboursement de certaines prestations, par exemple des amniocentèses en cas de grossesse à risque.»

A la Fédération romande des consommateurs, le responsable santé Yannis Papadaniel confirme la survenue régulière de décomptes erronés, des lourdeurs administratives chez les assureurs et les difficultés pour les patients mais aussi pour les professionnels de se tenir au courant des nombreuses modifications de la LaMal:

«Il s’agit de constantes dans notre système de santé qui ne sont pas spécifiques à la maternité. Mais je constate que la maternité ne fait pas partie des priorités des assureurs et de l’OFSP. On l’a vu encore récemment avec la manière dont les femmes enceintes et les jeunes mères ont été traitées durant le confinement: les femmes enceintes n’ont pas été considérées comme groupe à risque. Et les assureurs ont refusé d’étendre le délai de prise en charge complète des soins du post-partum en raison de la pandémie, alors que les mères qui venaient d’accoucher n’ont pas pu avoir accès à ces soins en mars ou en avril car les cabinets étaient fermés.»

Ce que dit la loi. Pour comprendre la problématique en détail, voici quelques informations complémentaires.

  • La Loi sur l’assurance maladie (LaMal) distingue les prestations qui relèvent de la maternité de celles qui relèvent de la maladie.

  • Les complications durant une grossesse sont considérées comme des maladies.

  • A partir de 13 semaines de grossesse, les prestations de maternité et de maladie sont intégralement remboursées. La franchise et la quote-part de 10% ne s’appliquent pas. Avant cette échéance, seules les prestations de maternité sont intégralement remboursées.

  • Résultat: avant 13 semaines, les assurées doivent participer aux frais en cas de complications liées à la grossesse, par exemple de fausse couche.

Le volet politique. La conseillère nationale verte Irène Kälin a déposé en mars 2019 une motion demandant de modifier la LaMal afin d’instaurer la gratuité des prestations liées à la maladie dès le début de la grossesse, et plus seulement après la treizième semaine. La motion a été acceptée au Conseil national en septembre 2019.

Le Conseil fédéral doit maintenant faire une proposition de changement loi, qui passera ensuite en commission avant d’être votée aux chambres. La proposition aurait déjà dû être présentée, mais le dossier a pris du retard en raison de la pandémie, précise Irène Kälin.

La limite fixée à 13 semaines de grossesse avait été introduite lors du changement de loi de 2014 sous la pression des assurances-maladie, raconte la députée. L’argument défendu alors était que comme le début de la grossesse ne peut être constaté qu’a posteriori, rembourser des frais pour lesquels une participation a déjà été prélevée impliquerait des «coûts administratifs disproportionnés».

«Mais aujourd’hui, la donne a changé. L’idée d’une modification est largement soutenu, jusque dans les rangs de l’UDC, et les assureurs ne s’y sont pas opposés.» Irène Kälin a donc bon espoir que le projet aboutisse. Elle estime qu’à partir d’aujourd’hui, le temps de parcourir toutes les étapes, cela devrait prendre environ deux ans.

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