abo Les femmes trans ont-elles leurs règles?

Shutterstock / Thais Longaray
Shutterstock / Thais Longaray

Les luttes LGBTQI* en faveur d’une société plus inclusive permettent aux femmes trans (c’est à dire aux personnes assignées hommes à la naissance et qui s’identifient comme femmes) de s’exprimer plus ouvertement sur leur vécu. Ce faisant, elles s’exposent aussi à l’incompréhension et à l’ire de certaines personnes, notamment lorsqu’il s’agit du sujet délicat des menstruations. Les femmes trans peuvent-elles avoir leurs règles? Une question à la confluence de la médecine, de la psychologie et de la sociologie.

Pourquoi on vous en parle. Le 7 juin dernier, J.K. Rowling, l’auteure de la saga Harry Potter a posté un tweet ironique et provocateur assorti d’un article de blog dans lequel elle évoque les règles et sous-entend que celles-ci sont l’apanage des femmes nées femmes. Des propos jugés révoltants pour certains représentants de la communauté trans. Ces derniers font valoir que les hommes trans (nés femmes) n’ayant pas subi d’hystérectomie peuvent eux aussi saigner et que des femmes trans (nées hommes) peuvent éprouver cycliquement des symptômes de règles. Or, sur ce dernier point, les témoignages affluent: il suffit de les écouter.

Tensions mammaires et prise de poids. Nombreuses sont aujourd’hui les femmes trans qui font chaque mois l’expérience de symptômes évocateurs: fatigue, irritabilité, nausée, céphalées, ballonnements et problèmes intestinaux, tensions mammaires…

Comme Céleste, 27 ans:

«A chaque début de mois, c’est la même chose: déprime, constipation, grande fatigue et douleurs aux seins. Le mois dernier, il y a une journée où je devais porter mes seins tellement c'était horrible. Et à chaque fois, je prends du poids.»

Camille, 36 ans:

«Mes symptômes sont apparus au bout de 18 mois d'hormones en juillet 2019 avec chaque mois, constipation, diarrhées, moral dans les chaussettes, épuisement et sensation de froid.»

Lucile, sous traitement hormonal de substitution depuis 3 ans et demi:

«Toutes les trois semaines, et pendant 2 à 3 jours, j’ai des boutons qui apparaissent sur le visage, des maux de tête, des vertiges et de la fatigue.»

Aujourd’hui, ces symptômes restent peu écoutés par le corps médical, mais constituent également parfois une sorte de tabou, comme le déplore Céleste:

«Certaines femmes trans ne ressentent pas ces phénomènes. Dans mon association, personne n'en parle. C'est sans doute un peu tabou. Il est aussi possible que des femmes trans n'en parlent pas pour ne pas être accusées d'invisibiliser les femmes cis. C’est mon avis, mais ça ne me semble pas impossible.»

Œstrogènes et progestérone. Aujourd’hui, il existe peu, voire pas de publication sur le sujet et peu de médecins entendent ces symptômes et montrent une volonté de les écouter et de chercher à les comprendre. Le traitement hormonal de substitution (principalement des œstrogènes) pris par les femmes trans peut être une piste d’explication.

C’est l’hypothèse de la Dre Martine Jacot-Guillarmod, gynécologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV):

«On peut tout à fait concevoir des symptômes chez les patientes qui sont sous traitement hormonal féminisant surtout en fonction de la manière dont le traitement hormonal est délivré (en continu ou de manière cyclique).

Tout ce qui s’apparente au syndrome prémenstruel, comme la tension mammaire, pourrait être expliqué médicalement. La glande mammaire est sensible aux œstrogènes. Dès lors qu’elle en reçoit, cette glande est stimulée et cette stimulation peut se manifester par une sensation douloureuse ou de tension. Il pourrait aussi y avoir des sécrétions vaginales liées à l’imprégnation hormonale.»

La Dre Erika Volkmar, directrice de la Fondation Agnodice à Lausanne, met quant à elle en avant la prescription de progestérone parfois proposée aux patientes:

«Même s’il n’y a pas de bénéfices en termes d’impact sur le développement des organes sexuels secondaires et sur la redistribution des graisses, et que des effets secondaires graves sont décrits, nombreuses sont les patientes qui souhaitent cette progestérone pour se rapprocher le plus possible du cycle féminin. Son utilisation par cycle de 20 jours peut provoquer des symptômes qui peuvent être comparés à des symptômes menstruels.

En revanche, avec une prise d’œstrogènes en continu, il n’y a pas de raison d'avoir des règles au sens biologique puisque les femmes trans n’ont ni ovaires ni utérus.»

Il n’existe pas vraiment de consensus médical sur l’origine de ces symptômes cycliques. Pour autant, les nier va à l’encontre d’une pratique trans-affirmative de la médecine, estime Erika Volkmar:

«Il n’y a pas lieu de jeter le doute sur ces vécus singuliers et en même temps, il n’y a pas lieu de les rendre normatifs. Chacune vit et conscientise son ressenti de manière personnelle et singulière et doit respecter le vécu des autres s’il est différent. Cela exige une certaine gymnastique de la part des endocrinologues, des gynécologues et des médecins de premier recours pour adopter une pratique trans-affirmative et pour s’inscrire en dehors du naturalisme. Ce n’est plus éthiquement défendable même si ce sont des concepts médicaux encore très présents.»

Le poids des représentations sociales. Pour Erika Volkmar, ce qui se passe sur le plan psychologique durant une transition est extrêmement complexe et imbrique différents niveaux de questionnement. Pour elle, le rôle des proches, mais aussi de la société, est fondamental:

«Très souvent, lors d’une transition vers le féminin, on reçoit des remarques très critiques de la part d’un entourage qui essaie de trouver tous les arguments pour dire que vous êtes engagée dans une réponse folle à une demande folle. Et, parmi ces remarques, il y a l’argument, souvent lancé par des femmes cis, de dire “De toute façon, tu ne seras jamais une vraie femme parce que tu n’as pas vécu l’adolescence, la puberté, l’apparition et le vécu des règles”. Dès lors, cela peut devenir une question de symbole pour certaines: on ne serait pas vraiment une femme si on n’a pas ses règles.»

Ce poids social de ce qui fait une femme, de ce qui légitime l’identité d’une femme est très prégnant, et affecte d’ailleurs également les femmes cis qui n’ont pas de menstruations, parce qu’elles n’ont pas d’utérus ou qu’elles prennent un traitement hormonal (contraception, traitement contre l’endométriose…). Erika Volkmar:

«Cette espèce d'obsession de la normalité ou de promotion d’une normalité qui est fonction de son expérience personnelle est partout et elle nuit autant aux femmes cisgenre qu’aux femmes transgenre et aux personnes non binaires.»

Et d’ajouter:

«La question des règles n’est pas non plus facile pour les hommes trans: on peut être un homme totalement légitime et avoir des règles et être une femme totalement légitime et ne pas avoir de règles, en ayant un pénis. Il faut prendre en compte cette richesse humaine et se sortir de la tête que l’anatomie et la physiologie doivent obligatoirement être alignées avec le genre. Tous les puzzles anatomico-physiologiques sont possibles dans toutes les configurations, ce qui est d’ailleurs cohérent avec l’évolution du droit.»

Faut-il parler de «règles»? Le terme de règles appliqué à ces différents symptômes cycliques évoqués par les femmes trans peut être un sujet clivant. Sur le plan purement médical, il ne s’agit pas de «règles» puisqu’il n’y a pas d’élimination de l’endomètre et donc pas de saignements. Parmi la communauté trans, deux points de vue cohabitent:

  • Les saignements sont un symptôme des règles parmi d’autres. Dès lors, il serait totalement légitime d’utiliser le mot «règles», les symptômes étant finalement très variables en fonction des personnes menstruées. En outre, refuser le terme pourrait être un facteur de dysphorie de genre et de discrimination supplémentaire.

  • Les saignements sont, au contraire, le symptôme principal des règles, non seulement d’un point de vue biologique mais aussi parce qu’ils ont un impact socio-économico-médical important: regard de la société sur ce sang jugé impur, achats de protections périodiques ou encore maladies et troubles spécifiques comme l’endométriose.  Dès lors, le terme de «règles» serait inapproprié et un autre terme comme «cycle hormonal» pourrait être proposé pour les personnes trans, sans pour autant nier le vécu des personnes concernées.

Le plus simple serait, peut-être, de laisser chacune accoler la terminologie qui lui semble adéquate pour parler de son vécu.

* LGBTQI: désigne les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexe et autres.

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