J'ai beau être professeure ordinaire, la problématique de genre fait partie de mon quotidien

A l'occasion de la journée de mobilisation du 14 juin 2020, Solange Peters, professeure ordinaire en oncologie au CHUV et à l'Université de Lausanne, présidente de la Société européenne d'oncologie médicale (ESMO) et coordinatrice scientifique de la plateforme européenne d'oncologie thoracique (ETOP), évoque l'archaïsme qui prévaut encore pour les femmes en médecine.

Solange Peters. | ESMO / DR
Solange Peters. | ESMO / DR

Les carrières féminines en médecine sont encore marquées par des archaïsmes. Les progrès sont difficilement mesurables. Et je ne suis pas épargnée. J’ai beau être présidente de la Société européenne d'oncologie médicale, professeure ordinaire en charge de dizaines d’études internationales essentielles et de budgets importants, j’expérimente encore les remarques déplacées tous les jours.

Prendre conscience et corriger les stéréotypes, en changer les perceptions, est une priorité. On comprend aujourd’hui – plus que jamais – que prétendre y porter attention et en tenir compte ne sécurise aucunement son application pratique dans la réalité.

La diversité est devenu un sujet brûlant. Ce thème dérange, car les fossés perdurent et questionnent. Parce que le projet de diversité met souvent les gens en situation de comparaison ou de compétition. D’autant plus quand les opportunités de chacun sont très réduites (pour exemple, les femmes en compétition entre elles).

Au-delà des bonnes intentions, je suis convaincue qu’il faut transitoirement pousser, voire forcer la diversité par des mesures solides, efficaces, conjoncturelles, numériques, et par l’engagement de tous les acteurs. Dans l’ensemble de la société et aussi en médecine.

Le progrès sociétal et politique dans notre région et en Suisse pour les carrières féminines est sensiblement plus évident que dans le domaine de la médecine, même si un gap énorme persiste. Au sein de la Faculté de biologie et médecine (FBM), des postes de recherche relativement variés et intéressants existent. Cela permet à une certaine proportion de femmes d’avancer dans leur carrière, ce qui est remarquable. Cependant, au CHUV, dans ce monde à priorité essentiellement médical, il reste terriblement difficile pour une médecin qui le désire de faire carrière dans cet hôpital.

Les statistiques du CHUV sont explicites: 15% de professeures en 2019, derniers chiffres que j’ai pu obtenir – avec peine et insistance. Les diplômés en médecine, en revanche, sont pour la majorité des femmes, et cela depuis de nombreuses années.

Alors quels sont les éléments qui empêchent les femmes médecins de faire carrière? De nombreuses femmes sont confrontées à différentes raisons, légitimes ou non, qui les freinent dans leur carrière:

  • Dans certains cas, on leur dit qu’il suffit d’attendre qu’un poste se libère. Cette correction spontanée au fil du temps ne marche pas dans les faits. Je n’ai observé aucune évolution positive depuis l’an 2000, sans mesures additionnelles. Même pas une tendance.

  • La maternité est aussi perçue comme une barrière. Sans évoquer la possibilité de redistribution des rôles sous nos latitudes, la maternité représente en moyenne cinq mois d’arrêt à une ou deux reprises successives. Il faut évidemment continuer à soutenir les familles (crèches, congés et protection), mais ces quelques mois n’ont jamais ruiné une carrière. Les barrières sont bien ailleurs. Du moins en Suisse.

  • Les perceptions jouent également un rôle de frein aux carrières féminines. Elles sont toujours considérées avec méfiance dans leur existence et leur durabilité. Les femmes sont sujettes, a priori, aux reproches dans ce qu’elles sont au travers de leurs choix de vie.

Ainsi, comme beaucoup de femmes le décrivent en tracasseries de parcours, j’ai eu l’occasion au sein de mes diverses activités professionnelles de subir certaines expériences, avant tout attristantes:

  • Attribution de la carrière à d’autres éléments que le travail (physiques, relations personnelles et intimes, chance): mon mentor, de 25 ans mon aîné, a souvent été taxé d’amant.

  • Incapacité inhérente à un management de qualité:  un management féminin ferme est perçu comme agressif, voire inapproprié, alors qu’il est souhaité pour un homme.

  • Evaluation biaisée des accomplissements: une carrière de femme souffre de l’idée préconçue qu’elle a été moins productive. J’ai dû amener l’évidence, plusieurs fois, CV à l’appui, que j’ai pu publier ou participer à autant, voire souvent plus, de projets scientifiques que beaucoup de mes collègues dans l’institution, malgré mon jeune âge. Encore aujourd’hui.

  • Manque supposé d’expérience professionnelle et besoin de conseils: certains collègues viennent, trop souvent, certes avec bienveillance, signifier spontanément ce qu’ils pensent de ce que je devrais faire ou qu’ils feraient à ma place. Et ceci indépendamment de mon expérience et des responsabilités que j’assume.

  • Nomination d’une femme et cadeaux de consolation: la nomination d’une femme semble trop souvent suggérer l’échec d’un homme ou l’existence d’un biais. Dans toutes les positions que j’ai acquises professionnellement, l’homme qui se présentait en parallèle a reçu une compensation par l’attribution d’un grade équivalent, de nouvelles reconnaissances et fonctions, ou d’exceptions aux règles pour compenser le dépit. Est-ce que ne pas être choisi face à une femme constitue une dégradation du statut social?

Mon expérience m’a poussée à rédiger plusieurs articles sur le sujet. Deux me tiennent particulièrement à cœur:

  1. Les défis liés au genre auxquels sont confrontés les oncologues: les résultats de l'enquête du Comité des femmes pour l'oncologie de l'ESMO.

  2. Rapport sur le statut des femmes occupant des postes de direction en oncologie.

Ce que je souhaite pour la suite? Que la discussion de genre entre dans le champ scientifique, soit basée sur des chiffres et fasse l’objet de projets de recherche et d’ambitions politiques.

Il n’est plus sérieux, ni acceptable de donner en réponse à cette problématique les habituels signes de lassitude, soupirs et haussements d’épaule, auxquels seule une société qui est parvenue à changer ce paradigme aurait droit. Les progrès culturels et sociétaux dépendent de la diversité.

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