abo Pourquoi il ne faut pas se ruer sur les tests sérologiques pour savoir si on a eu le Covid-19

Les anticorps sont dosés à partir du sang. | Keystone / EPA / Orlando Barrà­a
Les anticorps sont dosés à partir du sang. | Keystone / EPA / Orlando Barrà­a

Envie de savoir si vous avez déjà contracté le coronavirus? S’il est désormais possible d’en avoir le cœur net grâce aux tests sérologiques et que la tentation peut être grande, il est déconseillé de s’y soumettre pour assouvir sa curiosité. En cause: le risque de saturer la demande au détriment des patients en ayant besoin, le manque de fiabilité de certains tests, ainsi que le risque de mal interpréter les résultats. Gilbert Greub, directeur de l'Institut de microbiologie du CHUV, démêle le vrai du faux.

Heidi.news — Quel conseil donnez-vous à tous ceux qui souhaiteraient savoir s’ils ont déjà contracté le coronavirus?

Gilbert Greub — Je ne conseille pas de faire le test par curiosité, parce que cela n’est pas vraiment utile: au niveau populationnel, ces tests permettent d’avoir une idée de la protection globale de la population, mais à titre individuel, il faut rester très prudent.

Je recommande de discuter avec son médecin traitant avant de réaliser un test sérologique. C’est très important qu’un résultat soit accompagné par une interprétation, notamment pour comprendre si l’infection est ancienne ou récente selon le dosage des immunoglobulines IgG et IgM, et rappeler qu’un résultat positif ne signifie pas forcément une protection. Anticorps ne veut pas dire anticorps neutralisants.

Quelles sont les indications médicales pour lesquelles le médecin va demander le test?

Au CHUV, les indications pour un test sérologique sont:

  • des symptômes cliniques évocateurs avec deux tests de dépistage PCR négatifs ou discordants,

  • pour les patients hospitalisés qui présentent depuis plus de quinze jours des symptômes compatibles avec le Covid-19,

  • pour les patients avec une présentation clinique atypique et des tests RT-PCR négatifs. Certaines complications du coronavirus se présentent tardivement et le dépistage par RT-PCR ne fonctionne pas, car le virus n’est plus présent au niveau du nez. C’est le cas lors de la maladie de Kawasaki (une vasculite), ou le syndrome de Guillain-Barré (une maladie neurologique), qui peuvent parfois survenir au détours d’une infection par le coronavirus Sars-CoV-2.

  • Enfin, il y a une indication pour les personnes vulnérables, notamment pour les femmes enceintes et pour les patients qui vont entreprendre une chimiothérapie.

Pour les personnes qui voudraient en avoir le cœur net malgré l’absence d’indication médicale, comment faire son choix parmi les très nombreux tests en vente en Suisse et sur internet?

Les tests sur le marché en Suisse sont relativement fiables. Ils ne peuvent être proposés que par des laboratoires autorisés par Swissmedic. De plus, les tests doivent avoir un marquage CE, la certification européenne, ou être notifiés à Swissmedic (si le fabricant est établi en Suisse), qui se base alors notamment sur l’avis d’experts et le dossier fourni par le fabricant. Il n’y a pas de critères officiels, mais nous savons que pour être utile, un test doit avoir une sensibilité d’au moins 95% (c’est-à-dire 5% et moins de faux négatif, ndlr) et une spécificité de l’ordre de 98% (c’est-à-dire 2% et moins de faux positifs, ndlr). Ces critères sont également les seuils officiels émis par la France. Par analogie, nous avons décidé de les appliquer au CHUV.

Le risque existe lorsqu’on achète des tests sur internet. Ils peuvent même être marqués CE, mais être en réalité médiocre. C’est arrivé par le passé avec un test pour Chlamydia; un test certifié CE avait une sensibilité de 30%.

Que penser des tests rapides à effectuer seul, chez soi?

De manière générale, les meilleurs tests sont ceux réalisés en laboratoire et de type chimioluminescence (CLIA) ou de type ELISA, tandis que les tests rapides, à flux latéral, (comparables aux tests de grossesse, ndlr) sont généralement un peu moins fiables. Le problème des tests rapides effectués à domicile est, qu’en plus de l’absence d’accompagnement suite au résultat, la fiabilité du test peut être mauvaise et le résultat peut être difficile à interpréter, car peu lisible.

Pour se faire couper les cheveux, généralement on va chez le coiffeur. Dans le cas des tests sérologiques, c’est la même chose. L’analyse et la lecture des résultats sont des compétences de laboratoire. C’est un métier.

Qu’en est-il des auto-tests où l’échantillon de sang est réalisé à domicile, mais avec des analyses en laboratoire?

Avec les auto-tests envoyés en laboratoire, s’ils sont pratiqués par des laboratoires accrédités par Swissmedic, généralement il n’y a pas de problème. Mais même le meilleur laboratoire ne peut pas faire mieux que le test qu’il utilise. Ainsi, il est important de choisir des tests fiables.

Comment avez-vous choisi les tests que vous utilisez au CHUV, notamment pour l’étude vaudoise Sérocovid?

Au CHUV, nous avons déjà expertisé une série de dix tests, et allons maintenant nous pencher sur huit autres. Sachant qu’il en existe plus d’une cinquantaine, nous avons arrêté notre choix sur différentes techniques et fabricants. Pour les patients, nous utilisons depuis le 14 avril un test ELISA IgG de l’entreprise Epitope Diagnostics que nous couplons, pour tous les résultats positifs, avec un test rapide immunochromatographique. Ce dernier sert à compléter le diagnostic grâce au dosage des IgM, qui, lorsqu’ils sont présents, signent une infection récente.

Dès cette semaine, nous allons, pour tous les patients utiliser un test de chimioluminescence, qui nous permet de mesurer la quantité d’anticorps plus aisément et avec plus de précision. Il s’agit du test Snibe (sur l’appareil Maglumy) qui a présenté lors de notre évaluation 96% de sensibilité si les symptômes datent de plus de quinze jours et une spécificité de 99%. Il permet de doser à la fois les IgG et IgM.

Pour l’étude du canton, Sérocovid, tous les prélèvements collectés seront testés avec le test Snibe, ainsi qu’un test de type Luminex, mis au point au CHUV début mai. Nous comparerons les résultats dès que nous aurons fini les 800 premiers échantillons, et déciderons alors avec quel test continuer, sachant qu’il est coûteux d’effectuer les tests à double.

Est-ce que l’évaluation des tests effectués par le laboratoire de microbiologie du CHUV sera publiée?

En effet, il est essentiel de partager nos connaissances et nous allons soumettre la semaine prochaine la première étude comparant huit tests sérologiques. Ils ont été évalués sur 129 patients positifs par RT-PCR au Sars-CoV-2 ainsi que 450 patients négatifs dont les sérums ont été prélevés avant le début de l’épidémie. Parmi ceux-ci, certains patients avaient contracté différents virus dont le coronavirus saisonnier ou le virus de la grippe. Le sérum de ces patients «contrôles négatifs» ayant des anticorps dirigés contre d’autres virus communs, ont permis d’évaluer la capacité des différents tests à ne pas croiser avec ces autres souches de virus.

Nous sommes également en contact avec FIND, la Fondation pour l’innovation de nouveaux diagnostics, qui collabore avec l’OMS et qui évalue des dizaines de tests.

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