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Le confinement vu par le doyen de la Faculté de biologie et de médecine (FBM)

Jean-Daniel Tissot est le doyen de la Faculté de biologie et de médecine. (Félix Imhof © UNIL)

Cher professeur, cher doyen, comment allez-vous ?

Jean-Daniel Tissot : C’est une période de guerre qui s’allonge, en attendant la mise au point d’un vaccin ou la disparition pure et simple de ce virus, à l’image de ses prédécesseurs SARS et MERS. Pour moi, Carl von Clausewitz n’est pas loin, Tzu Sun non plus… Nous sommes dans une guerre du NOUS contre le NOUS. Le JE disparaît. Se poser la question du comment allez-vous est étrange, mais oh combien salutaire : longtemps nous nous sommes perdus entre le verbe être et le verbe avoir ; ce qui m’importe est d’utiliser aujourd’hui le verbe agir : l’action dans la responsabilité au service de la solidarité. Mais pour être franc : je suis préoccupé, occupé, fatigué, mais vivant. Alors le MOI s’efface dans le NOUS. C’est ma réalité.

Quelles ont été et sont les urgences pour votre faculté ?

Les urgences facultaires s’inscrivent dans la gestion d’un nouveau Janus. C’est pour les uns, allez au front, et pour les autres, restez chez vous. La réalité du quotidien est riche de surprises, d’incertitude, d’égoïsme des uns, de générosité des autres : c’est un constat, ce n’est pas une critique. Nous passons d’une époque caractérisée par le chacun pour soi (parce que je le vaux bien) à une phase de renouveau qui est celle du chacun pour tous (nous sommes un, avec le risque de fractures…). C’est la gestion du risque de fractures qui m’épuise. Il est évident que cette période trouble modifie les rythmes de vie, le sommeil est mauvais… Mais globalement, la FBM fait face, la mobilisation est majeure, la dynamique est belle. Il y a beaucoup de courage, de force, d’énergie et de solidarité. Tout ceci nous porte et nous emporte avec des dynamiques orientées vers des solutions et non vers des problèmes.

Vos étudiantes et étudiants aussi sont investis dans ce combat…

Tous veulent s’engager, même si ce sont surtout les dernières années qui sont mobilisées. Certains sont d’ailleurs tombés malades, on redécouvre que la médecine peut être une activité dangereuse pour ceux et celles qui la pratiquent. Une partie de nos étudiants est clairement engagée sur le front, une autre est prête, elle attend comme dans Le Désert des Tartares. Mais tous et toutes font une expérience qui sera validée en termes de crédits d’études. Reste la question des examens au niveau suisse : depuis quelques années, nous devons confronter nos étudiants à des situations cliniques réelles mais cette activité est suspendue aujourd’hui, avec le risque de retourner à un QCM… J’espère que nos autorités décideront plutôt de donner leur master à ces étudiants et même le diplôme de médecin par reconnaissance de leur expérience tirée de cette crise exceptionnelle, y compris ceux de nos étudiants qui font partie des populations à risque et ont dû rester chez eux, nous pouvons tous les reconnaître pour leur engagement et leur réflexion sur le sens des soins.

Estimez-vous les médecins peut-être un peu trop présents en ce moment dans les médias ?

Je dirais oui. La société a accepté au nom de la santé publique d’écouter ceux qui la représentent et on a cassé l’économie. C’était juste mais il faudra accompagner un deuxième changement de paradigme dans lequel les médecins et les épidémiologistes devront se mettre au service de la société et plus seulement de l’individu malade. Utiliser nos connaissances médicales et nos découvertes pour seconder les autorités, en sachant que rien n’est certain avec ce virus. On fait des paris en ce moment et on aura besoin aussi des économistes, des sociologues, des philosophes…

Pressentez-vous déjà la fin du confinement, dans quelles conditions ou du moins dans quel état d’esprit aimeriez-vous que nous l’abordions ?

Personne n’a rien vu venir (mais ça fait des années que je prédis à mes proches et à ma famille un retour de la peste, au sens symbolique du terme). Je ne sais pas comment nous allons sortir de cette guerre, mais nous allons sortir différents et avec déférence pour l’autre et pour la nature. Clairement, l’Université, la Faculté de biologie et de médecine sortiront de cette crise avec une forme de grandeur si et seulement si elles réalisent vraiment qu’elles sont au service de l’Homme et de la société et non l’inverse. Et, à titre personnel, avec conscience que nous sommes tous mortels et fragiles. Imaginez cette crise si l’on ne connaissait pas les microbes, si les virus n’avaient pas été découverts : comme la peste noire, la punition divine aurait été évoquée. Alors, que l’intelligence soit au service de la raison. Avec cette notion, quelles que soient nos croyances, quelles que soient nos spiritualités, que l’amour du prochain est une réalité qui différence l’homme et le qualifie : l’homme est un être vivant rempli de spiritualité… Quelque sombre que semble l’avenir, il sera enrichissant ! Remplissons-le d’espoir !