Les auteurs tiennent à remercier les deux évaluatrices, Mélanie Duval et Muriel Lefebvre, pour leurs remarques et suggestions très pertinentes et constructives, Alain Bussard pour sa relecture de la version anglaise du texte et l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne, qui a financé le travail de terrain.
1Depuis son essor dans la deuxième moitié du xviiie siècle, le tourisme alpin a connu d’importantes mutations (Guérin, 2006). Les Alpes se contemplent d’abord en été depuis des belvédères dont l’accès est facilité par la construction de lignes de chemin de fer et d’hôtels d’altitude, en particulier dans la partie centrale des Alpes, entre l’Oberland bernois et le massif du Mont-Blanc en passant par le Valais. La vitrine offerte par le développement de l’alpinisme dès les années 1850 et les bienfaits du « bon air » de la montagne sur la santé vont permettre le développement d’une industrie touristique dans différentes régions alpines, en Suisse en particulier (Tissot, 2000). À partir de 1950, le ski devient hégémonique dans les régions équipées de remontées mécaniques, ce qui bouleverse les pratiques touristiques, qui vont se dérouler majoritairement en hiver et autour d’activités sportives et ludiques. Aujourd’hui, en raison du changement climatique, l’enneigement devient de plus en plus imprévisible en montagne et le modèle de tourisme basé sur les sports d’hiver semble atteindre ses limites (Bourdeau, 2009). Cela pose la question de l’adaptation des offres d’activités touristiques à ce nouveau contexte. Pour parvenir à garder leur clientèle, beaucoup de destinations misent sur la diversification de l’offre d’activités récréatives, en proposant de nouvelles activités ludiques, sportives, festives ou culturelles qui ne sont pas exclusives, mais peuvent au contraire coexister spatialement et temporairement (Salim et al., 2021). La mise en valeur des patrimoines locaux — naturels, culturels, gastronomiques, etc. — dans le domaine du tourisme et le développement du tourisme scientifique font partie de cette évolution vers davantage de diversité.
2La labellisation de nombreux territoires alpins — bien du patrimoine mondial UNESCO, parc naturel régional, réserve de biosphère, géoparc —, avec un double objectif de protection des patrimoines locaux (naturels et culturels) et de développement régional par l’activation ressourcielle de ces patrimoines dans le domaine du tourisme (Hobléa et al., 2017), reflète la progression du tourisme patrimonial dans les régions de montagne. Dans les Alpes suisses, une partie de l’Oberland bernois et du Haut-Valais a été le premier site naturel des Alpes inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2001, sous le nom d’Alpes suisses Jungfrau-Aletsch. Cette inscription peut être vue comme une volonté de renforcer la protection de la nature tout en favorisant une diversification des activités touristiques basées sur l’intérêt patrimonial du site. Comme pour d’autres sites patrimoniaux (par exemple dans le géoparc du Chablais [Perret, 2014] ou celui des Bauges [Hobléa, 2014]), le travail de recherche scientifique dans le domaine des géosciences a été décisif dans la phase de « prise de conscience patrimoniale » (Di Méo, 2008). Il a mis en lumière les valeurs patrimoniales de ce site, basées en particulier sur le patrimoine géologique (« géopatrimoine ») exceptionnel de la région, marqué par la présence du plus grand glacier des Alpes (le glacier d’Aletsch), par une géomorphologie glaciaire remarquable et par une structure géologique particulière, à l’origine de paysages spectaculaires (voir chapitre 3).
3Cet article examine de quelle manière les connaissances scientifiques sont intégrées dans les offres de découverte du géopatrimoine. À travers une analyse détaillée des offres de médiation du patrimoine géomorphologique dans et autour du bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch, nous montrons de quelle manière l’intérêt révélé par les travaux des scientifiques, notamment celui des paysages glaciaires, s’intègre dans les offres destinées aux visiteurs. Cela est particulièrement intéressant dans le contexte du changement climatique, une préoccupation sociétale actuelle qui affecte beaucoup les paysages glaciaires (Salim et Ravanel, 2020). Des offres spécifiques, intégrant une médiation scientifique, sont-elles proposées et par quels types d’acteurs ? Ces offres permettent-elles de dépasser la simple appréciation esthétique des paysages pour en révéler l’intérêt scientifique et patrimonial ? Dans quelle mesure le porter à connaissance de ces savoirs repose-t-il sur des données documentées et accessibles à divers publics ? In fine, l’objectif de cette contribution est de positionner les offres inventoriées par rapport au champ du géotourisme, vu ici comme une forme de tourisme scientifique.
4Le géotourisme est une forme spécifique de tourisme de nature axée sur la découverte de la géologie et de la géomorphologie. Il se développe dans un contexte de patrimonialisation d’objets géologiques, dont les valeurs patrimoniales sont révélées par la recherche scientifique, et a pour objectif de favoriser la protection de la nature abiotique par la sensibilisation des visiteurs (Pralong, 2006 ; Hose, 2012 ; Hose et Vasiljević, 2012 ; Newsome et Dowling, 2010, 2018). Pour y parvenir, des produits et des services d’interprétation (au sens de Tilden, 1957) sont développés afin que les visiteurs puissent acquérir des connaissances et une compréhension de la géologie et de la géomorphologie d’un site au-delà d’une simple appréciation esthétique (Hose, 1995). L’interprétation vise à créer ou renforcer « le lien entre le public et le site visité pour augmenter l’attrait, l’intérêt et le plaisir de la visite » (Martin, 2013, p. 16). Dans la littérature francophone, la médiation scientifique, qui joue le rôle d’interface entre un public et une connaissance scientifique (Vialette et al., 2021), est l’un des plus proches synonymes de l’interprétation, utilisée dans la littérature anglophone. L’utilisation du concept de médiation scientifique vise à rompre avec celle de la vulgarisation scientifique, une pratique qui se limiterait à un transfert vertical de savoirs académiques vers un grand public profane, sans préoccupations pour les questionnements et les attentes du public, qui creuserait ainsi le fossé entre science et société et n’atteindrait que partiellement ses objectifs pédagogiques (Martin, 2013 ; Bergeron, 2016 ; Las Vergnas, 2016 ; Vialette et al., 2021). La médiation scientifique tente au contraire de répondre à des questionnements sur des enjeux sociétaux contemporains, de favoriser la réflexivité et la mise en perspective, et de donner du sens à un savoir disciplinaire (Kramar, 2012). Si les motivations et les pratiques sont différentes sur le principe, il s’agit, dans les deux cas, de mettre des connaissances scientifiques à portée d’un large public par différents types d’explications, de définitions ou d’illustrations avec, dans le cas de la médiation, l’idée d’une interaction entre savoirs et publics. Dans un contexte de patrimonialisation d’objets géologiques, la présence d’une médiation scientifique est une condition nécessaire à l’existence du géotourisme (Duval et Gauchon, 2010), car elle permet d’éviter que les caractéristiques esthétiques et spectaculaires de nombreux sites géopatrimoniaux, que Cayla et al. (2012) appellent le « masque du pittoresque », ne dissimulent l’intérêt patrimonial des sites (Reynard, 2021). La médiation scientifique renforce aussi l’intérêt de la visite lorsqu’elle donne la possibilité aux visiteurs de vivre une expérience touristique originale.
5Une proximité apparaît entre le géotourisme et certaines formes de tourisme scientifique. Le géotourisme s’inscrit en effet dans ce que Mao et Bourlon (2011, p. 96) appellent le « tourisme culturel à contenu scientifique », qui a comme objectif principal le transfert de connaissances et de savoirs scientifiques à un large public par le biais d’un encadrement. Ces deux formes de tourisme, tourisme scientifique et géotourisme, ont comme point commun d’alimenter un processus de patrimonialisation et de contribuer ainsi à la protection et à la valorisation de différents patrimoines. À la différence du géotourisme, qui se focalise principalement sur des thématiques liées à la géologie et à la géomorphologie, le tourisme culturel à contenu scientifique peut être plus large et intégrer d’autres disciplines. Le géotourisme se distingue par contre du tourisme de recherche scientifique (« researchers as travellers », Slocum et al., 2015), où le touriste-chercheur est impliqué directement dans des activités de recherche scientifique. Dans la pratique, et notamment dans les Alpes, la mise en tourisme du géopatrimoine, considéré comme une ressource territoriale (Bétard et al., 2017 ; Hobléa et al., 2017) a conduit à une multiplication des offres de médiation de la géologie et de la géomorphologie (Cayla, 2009).
6Le bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch se situe dans les Alpes bernoises (Fig. 1), dans les cantons du Valais et de Berne (Suisse). Il appartient au massif de l’Aar, constitué d’un socle cristallin autochtone dans lequel les plus hauts sommets de la région sont taillés (Finsteraarhorn, 4274 m ; Aletschhorn, 4193 m ; Jungfrau, 4158 m), recouvert marginalement, aux extrémités nord et ouest du site, par une couverture sédimentaire helvétique (Labhart, 2007). Cette dernière forme les impressionnantes parois nord de l’Eiger, du Wetterhorn et des Engelhörner, constituées de calcaires massifs du Jurassique supérieur (Zumbühl et al., 2021). Ce site contient la plus grande étendue continue de glace des Alpes ainsi que le glacier d’Aletsch qui, avec ses 20,7 km de long et sa superficie de 79 km2, est le plus long et le plus grand glacier des Alpes (Holzhauser, 2021). Des paysages glaciaires remarquables font la spécificité du site, marqué par les glaciers eux-mêmes, mais aussi par les nombreuses formes d’érosion ou de dépôt qui témoignent des fluctuations passées des glaciers. Particulièrement spectaculaire, la vallée en auge de Lauterbrunnen, dont le fond presque plat est entouré de hautes parois rocheuses verticales parcourues par des cascades, est un cas d’école d’érosion glaciaire. L’évolution rapide du paysage due au retrait des glaciers en conséquence du réchauffement climatique est une autre caractéristique du site (Zumbühl et al., 2021). Le glacier d’Aletsch, par exemple, pourrait perdre entre 60 % et presque 100 % de son volume d’ici 2100 selon différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre (Jouvet et Huss, 2019), ce qui a notamment pour conséquence une augmentation des instabilités de versant (Kos et al., 2016) et l’apparition de nouveaux lacs dans les fonds de vallée (Haeberli et al., 2017). La dégradation du permafrost est une autre conséquence du changement climatique ayant un effet important sur l’évolution du paysage (Haeberli et al., 2017).
Figure 1. Localisation du bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch
7L’inscription du bien Alpes suisses Jungfrau-Aletsch sur la liste du patrimoine mondial en 2001 a été justifiée selon trois critères de l’UNESCO : (vii) l’importance esthétique exceptionnelle, (viii) son intérêt géologique et géomorphologique et (ix) la diversité de ses écosystèmes. Cette inscription est largement postérieure à la mise en tourisme du site. Les stations situées sur le pourtour du périmètre UNESCO (Grindelwald, Lauterbrunnen, Wengen, Bettmeralp, etc., Fig. 2) possèdent en effet une longue tradition touristique, marquée dès le début du siècle passé par la construction du chemin de fer du Jungfraujoch (1912), qui conduit les visiteurs, à travers la paroi nord de l’Eiger, dans la zone d’accumulation du glacier d’Aletsch, à plus de 3 400 m d’altitude. Exception faite de la forêt d’Aletsch, déclarée « réserve forestière absolue » et « site à protéger » en 1933 (Décision du Conseil d’État valaisan no 451 111) dans le but de protéger la faune et la flore de cette forêt située en bordure du glacier, ce n’est qu’en 1983 que le site est inscrit à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels (IFP) au terme d’un long processus d’inventaire au niveau national, matérialisant ainsi les efforts de patrimonialisation à l’échelle de l’ensemble du site. Le périmètre du site inscrit à l’IFP a été déterminé de manière à ne pas inclure les infrastructures des domaines skiables alentour, dont l’extension dans les années 1970-1980 correspondait déjà en grande partie à celle d’aujourd’hui.
8Le périmètre du bien UNESCO, qui se superpose en grande partie au site inscrit à l’IFP, exclut aussi les villages et stations touristiques qui l’entourent, ainsi que la grande majorité des infrastructures touristiques et des remontées mécaniques. Dans le but de mieux refléter l’intégralité des offres de médiation de la géomorphologie du bien UNESCO, nous avons retenu toutes les offres situées dans un rayon de 3 km autour de ses limites (Fig. 2). Au-delà de cette limite établie de manière empirique, les offres ne correspondent plus à des objets situés dans le bien UNESCO.
9Notre démonstration se base sur trois étapes distinctes, que nous détaillons ci-dessous :
-
la sélection des offres de médiation scientifique,
-
l’évaluation des offres sélectionnées et
-
l’analyse et la catégorisation des offres (typologie).
10Pour la phase de sélection, nous avons recensé toutes les offres de médiation scientifique ayant un lien avec la géomorphologie (trois offres purement géologiques — des expositions de cristaux sans médiation scientifique — n’ont pas été retenues). Seules les offres de médiation indirecte (Martin, 2013) ayant un support physique (panneau, brochure, musée, application mobile, audio) ont été retenues, car les offres sans support physique (les tours guidés) sont plus difficiles à inventorier de manière systématique (elles ne sont pas forcément proposées régulièrement). Après un premier inventaire des offres présentes sur internet, des visites sur le terrain (observation directe) ont été réalisées durant l’été 2021 et des contacts avec les offices du tourisme de la région et les gestionnaires du bien UNESCO ont été pris afin de garantir l’exhaustivité de l’inventaire.
11L’évaluation des offres a été réalisée sur la base d’une grille multicritères, utilisée pour évaluer chaque offre séparément. Le choix des critères s’est basé sur des propositions méthodologiques d’évaluation des offres géotouristiques (Martin et al., 2010 ; Martin, 2013 ; Martin et Regolini, 2013) et sur la grille d’évaluation utilisée par l’association Nature - Culture & Tourisme (NCT) pour l’évaluation des sentiers didactiques en Valais (https://www.sentiers-decouverte.ch). La grille d’évaluation (Tab. 1) est composée de 38 critères regroupés en cinq catégories : informations générales, site, contenu de l’offre, forme/support, accessibilité et gestion. Contrairement aux travaux précités, notre démarche n’a pas pour but principal d’évaluer la qualité formelle de l’offre, mais plutôt de renseigner sur la place occupée par la médiation scientifique dans le contenu de l’offre, la présence de résultats de recherche, le degré de vulgarisation, le degré de détail des informations présentées, etc.
Tableau 1. Grille d’évaluation des offres de médiation de la géomorphologie
Informations générales
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01 Nom
02 Lieu
03 Commune
04 Type
05 Année de création
06 Site web
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Site
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07 Géomorphosite(s) visité(s)
08 Géomorphosite(s) présenté(s)
09 Intérêt géoscientifique du/des site(s) : [intégrité, rareté, représentativité, intérêt paléogéographique ; moyenne des critères de 0 à 1, voir Reynard et al. (2007)]
10 Recherches scientifiques sur ce(s) site(s)
11 Intérêt didactique du/des site(s) : [1 : formes peu lisibles, inactif ; 2 : formes bien lisibles, inactif ; 3 : formes bien lisibles, actif/dynamique]
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Contenu de l’offre
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12 Thématiques abordées
13 Nombre de thématiques abordées
14 Place de la géomorphologie par rapport à l’ensemble des thématiques abordées [1 : faible (< 33% du contenu) ; 2 : moyenne (33%-66%) ; 3 : forte (> 66%)]
15 Degré de généralité/de détails des informations sur la géomorphologie : [1 : très général (quelques informations sommaires, sans explications) ; 2 : général ; 3 : relativement détaillé ; 4 : détaillé ; 5 : très détaillé (explications très détaillées et illustrées)]
16 Qualité du contenu scientifique : [1 : peu documenté ; 2 : en partie documenté ; 3 : bien documenté]
17 Degré de vulgarisation des aspects scientifiques : [1 : peu ou pas vulgarisé (utilisation de vocabulaire scientifique, sans explication) ; 2 : un peu vulgarisé ; 3 : vulgarisé ; 4 : vulgarisé et simplifié ; 5 : très vulgarisé et simplifié (pas de vocabulaire scientifique, explications simples)
18 Cohérence contenu-site (adéquation entre le contenu informatif et le(s) site(s) présenté(s)) : [1 : pas cohérent ; 2 : peu cohérent 3 : moyennement cohérent ; 4 : cohérent ; 5 : très cohérent (relève très bien les spécificités du site)]
19 Cohérence de l’itinéraire (adéquation entre l’itinéraire choisi et les spécificités du site) : [les lieux visités permettent 1 : aucunement ; 2 : peu ; 3 : en partie ; 4 : bien 5 : très bien de visualiser les caractéristiques d’intérêt géoscientifique]
20 Des résultats de recherches scientifiques sont-ils présentés ?
21 Les informations présentées permettent-elles de démontrer l’intérêt géoscientifique du site ? : [1 : non (aucune mention de l’intérêt géoscientifique) ; 2 : très peu : 3 : en partie ; 4 : en grande partie ; 5 : oui (nombreuses explications présentes avec des références aux travaux de recherche]
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Forme/support
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22 Type(s) de support(s) de médiation
23 Médias utilisés
24 Impact visuel des installations sur le paysage : [0 : aucun impact 1 : faible, 2 : moyen, 3 : fort]
25 Qualité formelle de l’offre (évaluation qualitative)
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Accessibilité et gestion
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26 Temps de marche
27 Dénivelé positif
28 Difficulté du sentier : [0 : pas de marche ; 1 : facile, T1 ; 2 : moyen, T2-T3 ; 3 : difficile, T4)
29 Proximité des parkings et arrêts de transports publics : [1 : peu accessible (> 1h de marche) ; 2 : facilement accessible (10-60 min de marche) ; 3 : très accessible (< 10 min de marche)]
30 Saisonnalité
31 Régularité
32 Prix
33 Langue(s)
34 Auteur(s)
35 Gestionnaire(s)/exploitant(s)
36 Visibilité de l’offre sur internet : [1 : pas visible sur internet ; 2 : peu visible ; 3 : bien visible et relayé sur les sites des offices du tourisme ou autres portails]
37 Visibilité de l’offre sur place : [1 : pas d’indications ; 2 : peu d’indications ; 3 : bien indiqué]
38 Activité(s) associée(s) : [sport (randonnée), culturelle (musée), contemplation (point de vue), ludique, éducative, etc.]
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12La plupart des critères sont évalués numériquement sur une échelle de 1 à 3 ou de 1 à 5. Pour l’interprétation des résultats, nous avons procédé d’abord à une analyse univariée afin de rendre compte des caractéristiques générales de l’inventaire, puis à une analyse bivariée et multivariée, pour laquelle des coefficients de corrélation linéaire ont été calculés dans le but de regrouper les offres ayant des caractéristiques similaires et d’arriver à une typologie des offres.
13Les résultats de l’inventaire montrent, d’une part, que les offres de médiation de la géomorphologie sont nombreuses dans le bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch et ses environs immédiats et, d’autre part, que ces offres sont très diversifiées. Cette diversité s’exprime tant sur la forme (type de support, longueur de l’itinéraire proposé, etc.) que sur le contenu (degré de détail et de vulgarisation, nombre de thématiques abordées, etc.).
1433 offres répondant aux critères de sélection ont été inventoriées (Tab. 2) : 10 brochures explicatives, 8 applications mobiles, 5 sentiers didactiques, 3 musées, 3 géosites aménagés, 2 points de vue et 2 offres combinant des panneaux avec une brochure ou une application. Les géomorphosites les plus fréquents sont les glaciers et leurs marges proglaciaires, en particulier le glacier d’Aletsch (12 offres, Fig. 3) et le glacier inférieur de Grindelwald (6 offres), mais aussi d’autres glaciers moins connus. Seules 9 offres sont principalement orientées vers des sites non glaciaires ; elles présentent les cascades de la vallée de Lauterbrunnen (3 offres), le relief structural du versant nord de l’Eiger — Mättenberg — Wetterhorn (3), les éboulements du Fisistock et de l’Oeschinensee (2) et les gorges de Rosenlaui (1). L’intérêt géoscientifique des sites présentés (évaluée selon la méthode de Reynard et al., 2007) est très élevé (moyenne de 0,87/1), car ils sont particulièrement représentatifs de la géomorphologie régionale (0,98/1) et sont dans l’ensemble très bien préservés (intégrité : 0,93/1). Les gorges de Rosenlaui et les chutes de Trümmelbach, percées de galeries et aménagées de manière à permettre l’accès aux visiteurs (Fig. 4), sont les deux sites les moins bien conservés (les aménagements diminuent significativement l’intégrité de ces sites). Les sites glaciaires, nombreux dans cet inventaire, ont souvent un intérêt paléogéographique élevé (Grandgirard, 1997 ; Reynard et al., 2007), dans la mesure où les traces glaciaires sont des témoins de l’histoire de la Terre et du climat. Comme la grande majorité des sites sont très « lisibles » (formes bien visibles et distinctes et modelées par des processus géomorphologiques actifs), leur intérêt didactique est élevé (score moyen de 2,8/3).
Figure 2. Carte des offres de médiation de la géomorphologie autour du bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch selon le type de support.
Les numéros renvoient à la liste du tableau 2.
Tableau 2. Liste des offres inventoriées, commune, type et géomorphosite principal présenté.
No
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Nom
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Commune
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Type
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Géomorphosite principal présenté
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1
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World Nature Forum
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Naters
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Musée
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Glacier d'Aletsch
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2
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Villa Cassel - exposition « Fonte des glaciers - changement climatique - tournant énergétique »
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Riederalp
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Musée
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Glacier d'Aletsch
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3
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Eiswelt Bettmerhorn Faszination Aletschgletscher
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Bettmeralp
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Musée
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Glacier d'Aletsch
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4
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Gletscherschlucht
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Grindelwald
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Géosite aménagé
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Système glaciaire du Glacier inférieur de Grindelwald
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5
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Rosenlaui Gletscherschlucht
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Schattenhalb
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Géosite aménagé
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Gorges de Rosenlaui
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6
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Trümmelbachfälle
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Lauterbrunnen
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Géosite aménagé
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Chutes du Trümmelbach
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7
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Ice Terrasse Bettmerhorn
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Bettmeralp
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Point de vue
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Glacier d'Aletsch
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8
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Rundweg Eggishorn
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Fiesch
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Point de vue
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Glacier d'Aletsch
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9
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Sehen & verstehen. Ein Themen- und Lehrpfad zu Klima und Gletscherlandschaft
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Blatten
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Sentier didactique
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Marge proglaciaire du Langgletscher
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10
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Tout n'est que mouvement. Un voyage-découverte sur les traces du temps
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Lauterbrunnen
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Brochure explicative
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Marges proglaciaires des glaciers de Tschingel, du Breithorn et de Schmadri
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11
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Themenwege UNESCO Welterbe Schweizer Alpen Jungfrau-Alesch
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Lauterbrunnen
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Panneaux, brochure explicative
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Cascades de Holdri, du Schmadribach et du Talbach
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12
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Themenweg Grosser Aletschgletscher im Wandel der Zeit
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Riederalp
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Sentier didactique
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Glacier d'Aletsch
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13
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Sentier aventure à thème (sentier d’arête) Moosfluh - Riederfurka
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Riederalp
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Sentier didactique
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Glacier d'Aletsch
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14
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Eis | Zeit Aletsch Gletscher
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Naters
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Sentier didactique
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Glacier d'Aletsch
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15
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Alpwirtschaft- und Naturlehrpfad auf der Griesalp
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Reichenbach i.K.
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Sentier didactique
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Glacier du Gamchi
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16
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Guide Climat Jungfrau A - Bort-Unterer Lauchbühl
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Grindelwald
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Application mobile
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Glaciers inférieur et supérieur de Grindelwald
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17
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Guide Climat Jungfrau B - Pfinstegg-Bäregg
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Grindelwald
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Application mobile
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Système glaciaire du Glacier inférieur de Grindelwald
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18
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Guide Climat Jungfrau D - Grütschalp - Mürren
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Lauterbrunnen
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Application mobile
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Glissement de terrain de Grütschalp
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19
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Jungfrau Region SmarTrails – Wanderung im Tal der 72 Wasserfälle
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Lauterbrunnen
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Application mobile, panneaux
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Cascades de la vallée de Lauterbrunnen
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20
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UNESCO Themenwege - SmarTrails - Klimawandel hautnah
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Grindelwald
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Application mobile
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Système glaciaire du Glacier inférieur de Grindelwald
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21
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UNESCO Themenwege - SmarTrails - Unterwegs im Wasserschloss Europas
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Grindelwald
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Application mobile
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Système glaciaire du Glacier inférieur de Grindelwald
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22
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Via GeoAlpina 1. Rosenlaui - Grindelwald
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Grindelwald, Schattenhalb, Meiringen
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Brochure explicative
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Versant nord Eiger - Mättenberg - Wetterhorn (chevauchement principal des nappes helvétiques)
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23
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Via GeoAlpina 2. Grindelwald - Lauterbrunnen
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Grindelwald, Lauterbrunnen
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Brochure explicative
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Versant nord Eiger - Mättenberg - Wetterhorn (chevauchement principal des nappes helvétiques)
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24
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Via GeoAlpina 3. Mürren - Griesalp
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Lauterbrunnen, Reichenbach
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Brochure explicative
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Chevauchement principal des nappes helvétiques
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25
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Via GeoAlpina 4. Griesalp - Kandersteg
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Reichenbach, Kandersteg
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Brochure explicative
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Glacier du Blüemlisalp
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26
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Hydrologische Exkursionen in der Schweiz 2.1 Gletscher und Wasserkraftnutzung Belalp - Blatten bei Naters
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Naters
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Brochure explicative
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Glacier d'Aletsch
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27
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Hydrologische Exkursionen in der Schweiz 2.2 Gletscher und Wasserversorgung Riederalp - Fiescheralp
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Riederalp, Bettmeralp, Fieschertal, Fiesch
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Brochure explicative
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Glacier d'Aletsch
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28
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La vallée de Grindelwald - tour à tour riante et sauvage - brochure UNESCO
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Grindelwald
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Brochure explicative
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Système glaciaire du Glacier inférieur de Grindelwald
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29
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Fleuves de glace dans la région d'Aletsch - brochure UNESCO
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Riederalp, Bettmeralp, Fiesch
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Brochure explicative
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Glacier d'Aletsch
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30
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Rencontres au Lötschberg - brochure UNESCO
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Kandersteg, Reichenbach
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Brochure explicative
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Éboulements du Fisistock et de l'Oeschinensee
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31
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My Swiss Alps - Randonnée au glacier de Gauli
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Innertkirchen
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Application mobile
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Marge proglaciaire du glacier de Gauli
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32
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My Swiss Alps - Au cœur du glacier d'Aletsch
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Riederalp, Bettmeralp, Fieschertal, Fiesch
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Application mobile
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Glacier d'Aletsch
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33
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My Swiss Alps - Le cirque rocheux surplombant le lac d'Oeschinen
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Kandersteg
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Application mobile
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Éboulements du Fisistock et de l'Oeschinensee
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Les noms sont indiqués en français lorsqu’ils existent et en allemand lorsque ce n’est pas le cas.
Figure 3. Panneau du sentier didactique « Themenweg Grosser Aletschgletscher im Wandel der Zeit » (no 12), à proximité du glacier d’Aletsch, le géomorphosite le plus souvent présenté.
Photo : J. Bussard, 2021
Figure 4. Chemin donnant accès à l’intérieur des gorges de Rosenlaui (no 5), creusé à la dynamite en 1901-1902.
Photo : J. Bussard, 2021
15Chaque offre aborde entre une et neuf thématiques ; la géomorphologie, la glaciologie et la géologie sont souvent associées à d’autres thématiques telles que l’histoire régionale, la faune et la flore locales ou l’économie alpestre, mais aussi à des thématiques étroitement liées, comme la climatologie (en particulier sur la question du changement climatique), l’hydrologie et la gestion des dangers naturels. La géomorphologie occupe une place prépondérante (> 66 % du contenu) dans plus de la moitié des offres.
16Deux tiers des offres proposent un contenu bien documenté, ce qui au demeurant s’explique par l’implication des scientifiques dans la démarche de médiation. Le degré de détail et le degré de vulgarisation des aspects relatifs à la géomorphologie varient beaucoup (Tab. 3). La grande majorité des itinéraires proposés permettent de bien ou très bien visualiser les caractéristiques d’intérêt géoscientifique des sites. Dans la moitié des offres (16), l’intérêt géoscientifique est démontré au moins en grande partie (explications présentes et références aux travaux de recherche), tandis que 10 offres ne le démontrent pas, ou très peu.
Tableau 3. Contenu des offres (nombre d’occurrences pour chaque catégorie)
Degré de détail (géomorphologie)
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Degré de vulgarisation des aspects scientifiques
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Cohérence de l'itinéraire
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Démonstration de l'intérêt géoscientifique
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Très général
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3
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Peu ou pas vulgarisé
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1
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Aucunement
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3
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Non
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3
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Général
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8
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Un peu vulgarisé
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9
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Peu
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3
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Très peu
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7
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Relativement détaillé
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6
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Vulgarisé
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11
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En partie
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3
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En partie
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7
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Détaillé
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10
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Vulgarisé et simplifié
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9
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Bien
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6
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En grande partie
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9
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Très détaillé
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6
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Très vulgarisé et simplifié
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3
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Très bien
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18
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Oui
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7
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1713 offres ont été réalisées directement par des scientifiques, 8 par le centre de gestion du bien UNESCO, 5 par des offices du tourisme (dont deux en collaboration avec le centre de gestion du bien UNESCO), 4 par des privés, 2 par une société de remontées mécaniques et une par l’association de protection de la nature Pro Natura. Les offices du tourisme sont rarement auteurs du contenu des offres ; ils sont par contre plus présents dans la gestion de ces offres. À l’inverse, les scientifiques, souvent auteurs, sont moins présents dans la gestion des offres, cette tâche étant dans certains cas déléguée aux offices du tourisme. Les offres dont les gestionnaires sont des scientifiques sont relativement discrètes, tandis que les offres gérées par les offices du tourisme sont en général nettement plus visibles sur place (présence de panneaux et d’indications) et sont bien relayées sur internet.
Figure 5. Différents exemples d’offres de médiation géoscientifique
(1) copie d’écran du sentier « Klimawandel hautnah » (Grindelwald) sur l’application mobile SmarTrails (offre no 20, voir tab. 2), (2) « Ice Terrasse », aménagée sur un point de vue au Bettmerhorn (Bettmeralp, offre no 7), (3) brochure « Gletscher und Wasserversorgung Riederalp – Fiescheralp », faisant partie de la collection Excursions hydrologiques en Suisse (offre no 27), (4) poste de l’itinéraire A de l’application mobile « Guide Climat Jungfrau » entre Bort et Unterer Lauchbühl (Grindelwald, offre no 16), (5) maquette d’une vallée glaciaire au musée World Nature Forum à Naters (offre no 1), (6) plaquette du sentier didactique « sehen & verstehen. Ein Themen- und Lehrpfad zu Klima und Gletscherlandschaft », accompagnée par une brochure, dans la marge proglaciaire du Langgletscher (Blatten, Lötschental, offre no 9).
Photos : J. Bussard, 2021
18Une lecture croisée des critères d’évaluation basée sur des coefficients de corrélation linéaire (r) permet d’affiner la lecture des résultats. La plus forte corrélation (r = 0,91) est observée entre le degré de détail (critère no 15) et la démonstration de l’intérêt géoscientifique du site (no 21). Les offres détaillées sont aussi celles dont le contenu scientifique est le mieux documenté (no 16 ; r = 0,71) et la place de la géomorphologie (no 14) y est souvent plus importante (r = 0,52). Par contre, les offres détaillées sont généralement moins vulgarisées (no 17 ; r = -0,57). Les offres qui démontrent le mieux l’intérêt géoscientifique sont celles dont le contenu scientifique est le mieux documenté (r = 0,65), qui accordent une place importante à la géomorphologie (r = 0,55), mais qui sont généralement moins vulgarisées (r = -0,51) et légèrement moins visibles sur place (no 37 ; r = -0,31). Une corrélation entre le degré de vulgarisation et la visibilité sur place est aussi observée (r = 0,66).
19Cette analyse des plus fortes corrélations permet d’établir deux groupes de critères qui, de manière générale, sont corrélés avec ceux du même groupe et inversement corrélés avec ceux de l’autre groupe. Il s’agit, d’un côté, de la démonstration de l’intérêt géoscientifique, du degré de détail, de la qualité du contenu scientifique et de la place de la géomorphologie (axe horizontal sur la figure 6), et de l’autre, du degré de vulgarisation et de la visibilité sur place (axe vertical). La figure 6 montre où se situent les 33 offres de l’inventaire sur ces deux axes composés de la somme des scores pour les critères des deux groupes précités.
Figure 6. Classification des offres selon deux axes : abscisses = démonstration de l’intérêt scientifique + degré de détail + qualité du contenu + place de la géomorphologie ; ordonnées = degré de vulgarisation + visibilité sur place. Les chiffres renvoient à la liste du tableau 2. Les cinq types d’offres (A, B, C, D, E) sont décrits dans le texte.
20Le type A (Fig. 4) regroupe des offres qui proposent peu d’explications géoscientifiques, mais qui sont bien visibles et dont le contenu est très vulgarisé. Il s’agit surtout de géomorphosites aménagés (gorges, cascades). Le type B (Fig. 5-2) rassemble les offres visibles et bien vulgarisées, mais dont les explications peu détaillées, peu centrées sur la géomorphologie, parfois peu documentées ne démontrent que partiellement l’intérêt géoscientifique du site. Pour cette raison, elles peuvent être qualifiées d’offres peu spécifiques, ou peu distinctives. Le type C (Fig. 5-4, 5-5 et 5-6) regroupe les offres qui sont à la fois visibles, vulgarisées et intéressantes du point de vue du contenu géoscientifique. On y retrouve notamment les deux musées payants (Fig. 5-5), plusieurs sentiers didactiques et deux guides audio édités par des scientifiques. Les offres de type C pourraient être désignées comme des offres spécifiques et vulgarisées. Le type D (Fig. 5-1) regroupe des offres dont le contenu géoscientifique est d’un intérêt moyen et qui ne sont pas très visibles ni vulgarisées. Ces quatre offres ont comme point commun d’être des applications mobiles ; leur visibilité sur place est nulle, car il n’y a pas d’indications particulières à leur sujet. Les offres de type D sont des applications mobiles peu spécifiques. Enfin, le type E (Fig. 5-3) rassemble des offres intéressantes d’un point de vue du contenu géoscientifique, mais peu visibles et peu vulgarisées. Ces six offres sont toutes éditées et gérées par des scientifiques. Elles s’adressent donc essentiellement à un public d’initiés et peuvent être qualifiées d’offres géotouristiques spécifiques et spécialisées. La carte de synthèse (Fig. 7) montre la localisation des 33 offres ainsi que leur appartenance aux catégories d’offres décrites ici.
Figure 7. Carte des offres de médiation de la géomorphologie autour du bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch selon le type d’offre.
Les numéros renvoient à la liste du tableau 2.
21La diversité des offres de médiation indirecte, dont la forme, le contenu et la répartition géographique sont très hétérogènes, pose la question de savoir si elles appartiennent toutes au champ du géotourisme – et à celui du tourisme scientifique. La place accordée à la médiation scientifique dépend en effet beaucoup du type d’offre considéré : les offres que nous avons appelées spécifiques et vulgarisées (type C) placent la médiation scientifique au cœur de leur contenu et des scientifiques sont souvent impliqués dans la réalisation de l’offre. Elles jouent donc leur rôle d’interface entre un public et une connaissance géoscientifique, ce qui les place dans le domaine du géotourisme. À l’inverse, les brèves descriptions proposées dans les offres peu spécifiques (types A, B et D) contribuent peu à la diffusion de connaissances produites par les géoscientifiques. Faut-il donc les considérer comme des offres géotouristiques participant au processus de patrimonialisation, ou plutôt comme des stratégies de commercialisation du site, à l’image des Gorges de la Fou (Pyrénées françaises), aménagées de manière peu soucieuse des aspects géopatrimoniaux, sans médiation ni protection du paysage (Suchet, 2010) ?
22Les géomorphosites sont souvent décrits comme des monuments naturels d’une grande valeur esthétique (Reynard, 2021). Cela est particulièrement le cas dans le bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch : son « importance esthétique exceptionnelle » est un des critères de sélection du bien. La valeur esthétique des paysages glaciaires alpins semble être prédominante dans les motivations des visiteurs (Salim et Ravanel, 2020). Les paysages glaciaires connus pour leur beauté particulière attirent donc des visiteurs qui sont autant de personnes potentiellement intéressées à en apprendre davantage sur les caractéristiques géomorphologiques des sites visités. Toutefois, si le caractère esthétique et spectaculaire d’un site draine des visiteurs vers des sites géopatrimoniaux, il comporte aussi le risque de dissimuler l’intérêt géoscientifique de ces sites (Reynard, 2021). Se pose alors la question, soulevée par Calya et al. (2012), de savoir comment surmonter le « masque du pittoresque » qui tend à éclipser les autres intérêts patrimoniaux d’un site. Les offres peu spécifiques (types A, B et D), soit plus de 40 % des offres de notre inventaire, sont, en ce sens, sans doute insuffisantes, car elles ne permettent pas, ou seulement partiellement, de démontrer l’intérêt géoscientifique des sites. Dans le cas des géomorphosites aménagés, tels que les gorges et les cascades, avec une médiation scientifique pratiquement inexistante (type A), l’activation ressourcielle l’emporte largement sur les considérations patrimoniales. Il est donc difficile de parler de géotourisme dans ce cas.
23La répartition géographique des offres de médiation indirecte (Fig. 7) montre que le glacier d’Aletsch attire une très forte attention, en particulier dans la catégorie des offres spécifiques et vulgarisées. Leur contenu est par conséquent peu original, les informations présentées étant parfois redondantes, mais elles interrogent sur les conséquences du changement climatique, plaçant les visiteurs face à l’évidence du recul des glaciers. La région de Grindelwald et de Lauterbrunnen, au pied de la Jungfrau, concentre également un nombre élevé d’offres. Les offres situées dans ces deux régions — Aletsch et Jungfrau, qui sont les plus visitées du périmètre étudié — sont celles qui atteignent potentiellement le plus large public. Elles peuvent donc participer significativement à la sensibilisation des visiteurs (Reynard et Coratza, 2016), à condition que la médiation scientifique intègre les dimensions patrimoniales.
24À l’inverse, certains sites ne font l’objet d’aucune valorisation, alors que leur intérêt géoscientifique est élevé. Il s’agit notamment des vallées glaciaires suspendues de la rampe sud du Lötschberg (au nord de Viège, Fig. 7), intégrées dans l’inventaire des géotopes suisses (https://www.geotope.ch), du Gasteretal (au sud-est de Kandersteg) et de la région du Grimsel (entre Guttannen et Münster), dont les héritages glaciaires, entre autres, sont remarquables. Ces sites font partie intégrante du périmètre inscrit au patrimoine mondial et sont décrits dans l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale. Cela montre qu’une reconnaissance patrimoniale n’est pas nécessairement accompagnée d’une mise en tourisme.
25Cet article apporte un éclairage sur les offres de médiation indirecte du patrimoine géomorphologique du bien UNESCO Alpes suisses Jungfrau-Aletsch. Les 33 offres inventoriées ont des caractéristiques très diversifiées, tant sur la forme que sur le fond. La moitié d’entre elles parviennent, de manière plus ou moins détaillée et vulgarisée, à démontrer l’intérêt géoscientifique des sites présentés. La médiation scientifique permet dans ce cas de révéler leur dimension patrimoniale et de dépasser le « masque du pittoresque » (Cayla et al., 2012) qui tend à dissimuler l’intérêt scientifique des sites derrière leurs caractéristiques esthétiques. Ces offres, pleinement intégrées dans le champ du géotourisme, interrogent aussi les visiteurs sur les conséquences du changement climatique en donnant des clés de lecture des paysages glaciaires affectés par le recul des glaciers, une augmentation des instabilités de versants, etc. En revanche, plus de 40 % des offres ne démontrent pas, ou que partiellement, l’intérêt patrimonial des sites présentés. Dans certains cas, l’activation ressourcielle n’est pas accompagnée d’une prise de conscience patrimoniale, ce qui exclut les offres concernées du champ du géotourisme tel qu’il est défini dans la littérature.