Read in English: Anglais
Dans un monde où l’innovation coûte toujours plus cher, rester seule n’est pas toujours la meilleure option pour une entreprise qui souhaite lancer un nouveau produit. Mais comment ses dirigeants peuvent-ils savoir à partir de quand s’allier à d’autres représente la meilleure stratégie?
4 min de lecture
Xavier Castañer, Louis Mulotte, Bernard Garrette et Pierre Dussauge, amènent des éléments de réponse.

L’innovation représente peut-être la route vers le succès, mais les organisations doivent de plus en plus souvent accepter que la source de cette innovation se trouve peut-être hors des frontières de leur entreprise. Certaines sociétés ont probablement connu un temps où il était encore possible d’acheter ou de rassembler toutes les ressources nécessaires pour un produit donné. Mais la sophistication technologique, les contraintes financières et la mondialisation impliquent que si une société souhaite introduire un produit innovant, elle aura peut-être besoin de collaborer avec d’autres entreprises déjà établies sur le même marché (opérateurs historiques) et pas seulement avec ses fournisseurs ou distributeurs. L’une des décisions stratégiques que l’entreprise doit prendre consiste donc à savoir si elle reste seule ou si elle forme une alliance pour un projet particulier (fabriquer ou s’allier).
Gouvernance autonome vs gouvernance collaborative
Xavier Castañer de HEC Lausanne et ses coauteurs, Louis Mulotte, Bernard Garrette et Pierre Dussauge, ont étudié certains des facteurs importants impliqués dans cette prise de décision et les conséquences, en termes de performances, du choix d’être seul décisionnaire du nouveau produit ou de partager les décisions avec un opérateur historique du secteur, parfois concurrent. Nous nous trouvons là face à deux scénarios différents. Dans le premier cas, l’entreprise décide de tenter l’aventure commerciale en solo en prenant à sa charge tous les coûts et risques, et en concentrant toute l’autorité décisionnaire (gouvernance autonome). Dans le second cas de figure, les entreprises partagent les coûts, les risques et l’autorité décisionnaire avec un ou plusieurs autres opérateurs (gouvernance collaborative).
Le lancement d’un nouveau produit passe par les phases de conception, de fabrication et de marketing. Prenons l’exemple de l’industrie aéronautique. Plus spécifiquement, les auteurs ont considéré tous les nouveaux modèles d’avions de chasse, d’avions à turbopropulseurs, d’hélicoptères et d’avions cargo ou de transport de passagers commercialisés par les sociétés occidentales entre 1942 et 2000, avec une seule société en tant qu’entrepreneur principal ou, au contraire, deux ou plusieurs sociétés se partageant ce rôle. Cela représente 291 projets d’avions et 334 décisions d’innovation produit réalisées par 129 sociétés.
Afin de mesurer les performances d’un nouveau produit, les auteurs ont examiné à la fois les coûts et les bénéfices en utilisant respectivement les délais de mise sur le marché et le nombre d’unités vendues.
La résolution conjointe de conflits technologiques peut permettre d’obtenir des solutions plus efficaces
Les auteurs suggèrent que les alliances stratégiques présentent à la fois des avantages et des inconvénients en termes de performances. D’un côté, la collaboration horizontale peut avoir un impact positif sur les performances. Par exemple, elle peut créer des synergies grâce à la mutualisation des ressources et avoir un effet positif sur l’innovation. La résolution conjointe de conflits technologiques peut également permettre d’obtenir des solutions plus efficaces. On pourrait donc imaginer que cette collaboration horizontale conduise à des bénéfices supérieurs à ceux des projets similaires menés en gouvernance autonome.
Dans le même temps pourtant, les coûts de coordination et de résolution des conflits sont susceptibles d’être plus importants dans le cadre d’une collaboration horizontale qu’en mode de gouvernance autonome, où les conflits peuvent être résolus par l’autorité hiérarchique, là où des partenaires auront besoin de négocier. Les auteurs prévoient donc que la collaboration horizontale entraîne des coûts supérieurs à ceux de la gouvernance autonome. Pour résumer, les avantages de la collaboration s’accompagnent inévitablement d’inconvénients liés à la gouvernance.
Les auteurs se sont également intéressés à l’impact de la forme de gouvernance sur les performances. Ils ont exploré la possibilité que l’impact sur les performances puisse varier selon que l’on décide de collaborer ou de tenter sa chance en solo, en fonction de la pertinence du mode de gouvernance choisi (autonome ou collaboratif) étant donné les ressources existantes de la société, les ressources nécessaires pour l’entreprise conjointe et les risques inhérents à l’échange de ressources au moment du choix.
Comme les auteurs l’avaient prévu, on constate, par rapport aux firmes en solo, que celles ayant opté pour la collaboration bénéficient d’une augmentation du nombre d’unités vendues. Pourtant, dans le même temps, les délais de mise sur le marché sont plus longs pour les produits des sociétés en collaboration par rapport aux sociétés autonomes. Toutefois, si les firmes choisissent le mode de gouvernance le plus approprié en fonction des ressources dont elles disposent et de celles dont elles ont besoin, elles améliorent à la fois le nombre d’unités vendues et le temps de mise sur le marché par rapport à celles qui ont fait des choix moins judicieux.
Collaborer avec d’autres opérateurs bien établis manquant également de ressources
Le choix optimal pour les sociétés qui manquent de ressources pour lancer un produit particulier est de collaborer avec d’autres opérateurs bien établis manquant également de ressources, plutôt que de tenter de développer en interne les ressources nécessaires. Étant donné que les entreprises impliquées reconnaissent qu’elles ont besoin des ressources de leurs partenaires, elles sont plus enclines à se montrer accommodantes dans le processus collaboratif ainsi qu’à générer des solutions technologiques et commerciales plus abouties que celles auxquelles elles auraient pu prétendre si elles avaient tenté l’aventure en solo. Grâce à la collaboration, ces sociétés bénéficient donc de produits d’un meilleur rapport qualité-prix et, par conséquent, d’un plus grand nombre de ventes, ainsi que d’un délai de mise sur le marché moins long que si elles avaient décidé de rester seules.
De la même manière, les firmes possédant suffisamment de ressources pour fabriquer un produit particulier ont plus intérêt à le faire seules. Cela leur évite des négociations inutiles et chronophages avec des partenaires stratégiques à propos de « qui fait quoi » ou de quelles options technologiques et commerciales il convient de déployer. Cela évite également l’apparition des conflits qui surviennent lorsque des sociétés qui collaborent tentent d’empêcher leurs partenaires d’obtenir certaines ressources.
Les dirigeants doivent tenir compte, pour prendre leur décision, de l’état des ressources de l’entreprise, ainsi que des ressources nécessaires pour mener à bien l’activité envisagée.
Pour les dirigeants qui hésitent entre alliance stratégique et innovation autonome, le message est clair. Comme le montrent les auteurs, la collaboration est à double tranchant et entraîne inévitablement des avantages comme des inconvénients, tous susceptibles d’impacter directement les différents aspects de la performance. Cependant, il est possible d’optimiser les atouts de la collaboration afin d’en tirer un avantage concurrentiel sur le marché. Pour cela, les dirigeants doivent tenir compte, pour prendre leur décision, de l’état des ressources de l’entreprise, ainsi que des ressources nécessaires pour mener à bien l’activité envisagée. Ce n’est qu’au terme de cet examen qu’ils devront décider si, pour obtenir un avantage stratégique et innovant, il vaut mieux s’allier à d’autres opérateurs ou tenter l’aventure en solitaire.
Lire le travail de recherche original: Governance Mode Vs. Governance Fit? Performance Implications of Make-Or-Ally Choices for Product Innovation in the Worldwide Aircraft Industry, 1942-2000 par Xavier Castañer, Faculté des HEC, Université de Lausanne, Louis Mulotte, Tilburg University, Bernard Garrette et Pierre Dussauge, HEC Paris.
Crédit photo: Christopher Badzioch / istockphoto