Read in English: Anglais
On pourrait penser que les organisations adhèrent aux normes et standards généralement acceptés de façon réactive, en réponse aux pressions extérieures et pour éviter d’être pénalisées. Mais une étude de Déborah Philippe et Rodolphe Durand, portant sur la réputation et les pratiques environnementales, montre que la conformité des organisations est en fait une une activité complexe, toute en nuances, qui peut avoir un intérêt stratégique si elle est correctement menée.
4 min de lecture

Les histoires de sociétés anticonformistes qui réussissent ou échouent en refusant de se comporter comme les autres, sont souvent mises en lumière par les médias. La dynamique des agents du changement ou des entreprises qui s’écartent et brisent la norme, a également fait l’objet de nombreuses études de management. Mais que dire de ces sociétés qui suivent le troupeau, se conformant aux normes sociales et comportementales en faisant exactement ce qu’on attend d’elles ? Que penser des conformistes ?
Se conformer à la norme est souvent considéré comme une attitude non stratégique, une réponse passive aux pressions institutionnelles exercées sur les entreprises. Ces pressions peuvent venir de l’environnement réglementaire, par exemple, ou encore, des attentes des parties prenantes. Dans les deux cas, les entreprises s’y conforment parce que c’est ce qui est attendu de leur part.
Mais Déborah Philippe et Rodolphe Durand ont eu l’intuition que la conformité pourrait bien être plus nuancée et stratégique qu’on ne l’imagine. Ils ont entrepris d’examiner la conformité dans le domaine des pratiques environnementales responsables et, en particulier, la transparence environnementale et son impact sur la réputation des sociétés.
Afin d’évaluer le degré de conformité d’une société en matière de transparence environnementale, les chercheurs en ont étudié deux dimensions: le respect par la société de l’objectif écologique (la société fait-elle «ce qu’il faut» en matière de responsabilité environnementale?), et son niveau d’engagement dans l’adoption de procédures socialement admises (dans quelle mesure la société utilise-t-elle des méthodes contraignantes et transparentes pour rendre compte de ses performances environnementales?).
Les sociétés peuvent se conformer aux normes tout en restant considérablement discrètes sur les actions mises en œuvre pour y parvenir
Déborah Philippe et Rodolphe Durand ont observé que les sociétés pouvaient se conformer aux normes tout en restant considérablement discrètes sur les actions mises en œuvre pour y parvenir. À partir des deux dimensions étudiées, ils ont regroupé le comportement des sociétés en quatre types différents.
Les actions conformes à l’objectif écologique et qui témoignent d’un fort engagement vis-à-vis des procédures de compte rendu sont qualifiées de comportements de renforcement. Ces entreprises font ce qui est bien et s’efforcent d’exposer leur comportement environnemental. Le fait de se conformer à l’objectif sous-jacent, mais en affichant peu d’engagement en matière de procédures de compte rendu est qualifié de comportement de respect. Même si elles font ce qui est bien, ces entreprises respectueuses n’accompagnent pas leurs actions d’un engagement fort pour en rendre compte.
Le comportement de ciblage désigne quant à lui celui des sociétés qui ne respectent pas totalement l’objectif sous-jacent (parce que leurs actions ne sont pas toutes favorables à l’écologie), mais qui font preuve d’un fort engagement à rendre compte des procédures mises en place. Enfin, on parlera de comportement de polissage pour les entreprises qui ne se conforment pas totalement à l’objectif sous-jacent et le dissimulent en limitant au maximum les comptes rendus. Ces dernières font rarement ce qui est bien et cachent leur inaction en l’évoquant le moins possible, mais elles se conforment néanmoins en partie à la norme de transparence environnementale.
Pour évaluer les avantages potentiels ou l’impact négatif de la conformité pour l’entreprise, les auteurs se sont concentrés sur sa réputation. La réputation d’une entreprise est considérée par ses parties prenantes comme une indication de sa capacité à produire de la valeur par rapport à ses pairs et concurrents. Une réputation solide offre à l’entreprise un avantage stratégique et constitue un élément important de ses performances et de sa survie. En outre, depuis quelques années, les performances environnementales de l’entreprise se trouvent associées à sa réputation.
Les auteurs prévoyaient que les quatre types de comportements pourraient impacter la réputation d’une entreprise de différentes manières. Les entreprises adoptant un comportement de renforcement ou respectueux, pensent-ils, pourraient recueillir les fruits de leur bonne attitude en termes de réputation. En outre, le comportement de renforcement qui consiste à faire ce qui est bien et à le faire savoir, serait plus payant pour la réputation qu’une attitude respectueuse plus discrète. Les auteurs prédisaient également que les entreprises qui font du ciblage ou du polissage seraient pénalisées pour ne pas avoir fait ce qui est bien. Le ciblage, qui, au moins, présente une dimension de compte rendu, serait néanmoins moins touché que le polissage.
L’étude portait sur les données liées aux performances environnementales de 90 sociétés américaines exerçant leur activité dans 11 secteurs différents, sur une période allant de 2001 à 2004. Pour évaluer les performances en termes de réputation, ils ont utilisé les classements du magazine Fortune, publiés avec la liste des «Sociétés américaines les plus admirées». Ces données ont permis de construire un certain nombre de modèles, afin de tester les prédictions des auteurs, tout en contrôlant les variables.
La conformité partielle à une norme suffit à se faire accepter par la société
Comme prévu, il s’est avéré que les comportements de renforcement et de respect ont permis d’améliorer le score de réputation de l’entreprise, celles qui affichaient un niveau élevé d’engagement envers l’objectif et la procédure de la norme bénéficiant d’un avantage par rapport à celles qui faisaient preuve d’un engagement moindre pour la procédure de compte rendu. Mais, contrairement à leurs prévisions, les auteurs ont découvert que les entreprises qui divulguaient des informations partiellement négatives sur leur comportement écologique (ciblage et polissage) n’étaient pas sanctionnées. En fait, les entreprises pratiquant le ciblage étaient même récompensées, ce qui suggère que la conformité partielle à une norme suffit à se faire accepter par la société. Toutefois, les auteurs ont également découvert que l’absence de conformité avec l’objectif des industries écologiquement sensibles était sévèrement sanctionnée.
La conclusion de Déborah Philippe et Rodolphe Durand est donc que, loin d’être une réponse passive non stratégique à des pressions extérieures, la conformité est en réalité complexe, stratégique et nuancée, marquée par différents types de comportements de conformité qui affectent, chacun à des degrés différents, la réputation de l’entreprise. Cela signifie que, en matière de pratiques environnementales, les entreprises doivent soigneusement veiller à leur comportement vis-à-vis de la conformité, afin de trouver celui qui correspond le mieux à leur stratégie générale, qu’il s’agisse d’optimiser les avantages qui en résultent en termes de réputation ou autre.
Dans la plupart des cas, se conformer à la norme s’avère payant, mais l’étendue des profits qu’elle en tire dépend de l’attitude de l’entreprise en la matière.
Lire le travail de recherche original: The Impact of Norm-Conforming Behaviors on Firm Reputation par Déborah Philippe, faculté des HEC de l’Université de Lausanne (HEC Lausanne) et Rodolphe Durand, HEC School of Management, Paris, Department of Strategy and Business Policy. Strategic Management Journal (2011).
Crédit photo: Özgür Mülaz?mo?lu / Flickr CC