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Certains experts suggèrent que des audits conjoints obligatoires pourraient améliorer la fiabilité des données comptables. Mais quels coûts supplémentaires engendrent-ils, et le bien-fondé d’audits conjoints est-il vérifié?
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Cela fait des décennies que les auditeurs externes certifient les comptes des sociétés, disciplinant ainsi les dirigeants qui pourraient avoir un intérêt à manipuler leurs résultats. Ces auditeurs assurent une supervision indépendante des états financiers ainsi que des processus comptables et du contrôle interne. Ils se prononcent sur les éventuelles anomalies que pourraient comporter les états financiers, et produisent un rapport basé sur leurs observations. En fonction du cadre réglementaire, ils peuvent avoir l’obligation de signaler certaines anomalies aux autorités. Il peut également exister une obligation légale envers les tierces parties de la société auditée. De plus, les firmes qui procurent les services d’audit peuvent offrir d’autres services tels que le conseil fiscal, par exemple.
Bien que des délits financiers aient toujours eu lieu occasionnellement, les auditeurs ont globalement bien rempli leur rôle au siècle dernier. Toutefois, depuis l’an 2000, plusieurs scandales financiers ont ébranlé la confiance des investisseurs aux États-Unis et en Europe. De plus, la crise financière de 2008 a conduit les investisseurs à douter de la fiabilité, et donc de la qualité, des données comptables publiées par les sociétés.
Une fois la situation calmée après la crise financière de 2008, les gouvernements, praticiens et chercheurs universitaires se sont empressés d’en identifier des causes et de proposer des mesures susceptibles d’éviter des problèmes similaires à l’avenir. L’audit a été l’un des domaines des services financiers qui a fait l’objet d’un examen minutieux. Comme l’ont souligné certains commentateurs, dans de nombreux cas, les firmes d’audit n’ont pas signalé de problèmes particuliers pour des compagnies qui, par la suite, ont rencontré d’importantes difficultés financières. Les audits conjoints (deux auditeurs intervenant simultanément) obligatoires ont donc été proposés comme solution afin de procurer une supervision plus rigoureuse. Toutefois, comme le démontrent Paul André et Alain Schatt, professeurs de comptabilité à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne, et leurs collègues, la présence de deux auditeurs ne vaut pas nécessairement mieux que la présence d’une seul auditeur.
Alain Schatt, Paul André et leurs co-auteurs ont étudié l’impact des audits conjoints, en termes non seulement de coûts, dans un premier temps, mais aussi de qualité. Pour ce faire, les auteurs ont examiné des données de 2007 à 2011 de firmes situées en France, où les audits conjoints sont obligatoires, mais aussi de 142 compagnies en Italie et 279 au Royaume-Uni, deux pays où les audits conjoints ne sont pas imposés.
Les auteurs ont postulé que les audits conjoints s’avéreraient plus onéreux, en partie à cause des coûts supplémentaires induits par la coordination des actions des deux auditeurs. De plus, interviennent des coûts associés à la compensation pour le risque qu’un auditeur soit tenu responsable d’irrégularités apparaissant par la suite. Bien que dans le cadre d’un audit conjoint un auditeur adopte en général le rôle moteur, assumant en théorie le plus grand risque, en pratique, les deux firmes agissent de manière prudente et facturent des honoraires comme si elles assumaient les risques de manière égale.
Toutes proportions gardées, les honoraires facturés par les auditeurs devraient être plus élevés dans les pays où le régime réglementaire est plus sévère. Les honoraires d’audit en France devraient donc être du même ordre que ceux pratiqués en Italie, où le régime légal est similaire, mais moins élevés qu’au Royaume-Uni, où le régime légal est plus rigoureux.
Les résultats sont toutefois sans appel. Il s’avère que les compagnies françaises paient en moyenne des honoraires supérieurs de l’ordre de 35% à 60% aux tarifs pratiqués respectivement au Royaume-Uni et en Italie. Dans les cas où les auditeurs engagés ne font pas partie des Big Four (les quatre plus grandes sociétés internationales de services professionnels), les honoraires payés en France sont plus élevés de 50% environ que ceux payés en Italie et au Royaume-Uni. Si l’un des auditeurs fait partie des Big Four, les firmes françaises paient alors environ 25% de plus que les firmes britanniques et environ 55% de plus que les compagnies italiennes. Dans les cas où une firme française engage deux auditeurs Big Four, la différence est encore plus importante.
Il est bien sûr possible que les audits conjoints présentent une meilleure qualité de service et justifient une certaine augmentation des coûts. Les auteurs ont également examiné cette possibilité. Puisqu’il est difficile d’établir une évaluation qualitative dans cette situation, ils ont utilisé, à titre d’indicateur, la manipulation de résultats, et en particulier les accruals anormaux. La logique étant que les directeurs peuvent tenter de manipuler des résultats déclarés afin d’atteindre des objectifs personnels, qu’il s’agisse de maximiser les bonus, protéger leur poste ou encore gonfler le prix des actions.
En théorie, un processus de supervision d’audit devrait réduire les motivations à manipuler les résultats. Avec un audit de meilleure qualité, il devrait y avoir moins de manipulation de résultats. Toutefois, un examen des données concernant la manipulation de résultats suggère que des coûts supplémentaires ne peuvent pas être attribués à une amélioration de la qualité. Cela ne signifie pas qu’il n’y a aucun avantage supplémentaire aux audits conjoints, mais des recherches complémentaires sont nécessaires pour éventuellement l’établir.
Ce que la recherche démontre, toutefois, c’est que des audits conjoints sont nettement plus onéreux que des audits effectués par une seule firme. Les honoraires d’audit sont plus élevés en France qu’au Royaume-Uni ou en Italie, une observation inattendue au vu de la force relative des régimes légaux respectifs. Ayant pris en compte de nombreux autres facteurs, il semble fortement probable que l’augmentation des coûts s’explique par l’exigence d’un audit conjoint.
Au vu des constatations de l’étude, il est peut-être temps que les partisans des audits conjoints remettent en question l’équation coût-avantage de cet arrangement onéreux. Après tout, peut-être que plaider pour des audits conjoints n’en vaut pas la peine.
Papier de recherche original: Are Joint Audits Associated with Higher Audit Fees? European Accounting Review, Vol. 25, No. 2, 245–274. Paul André, Géraldine Broye, Christopher Pong & Alain Schatt (2016)