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Deux professeur·e·s étudient la question controversée de savoir si les garderies pour les très jeunes enfants (moins de trois ans) offrent des avantages par rapport à une garde à domicile. Et si oui, si les avantages pour les enfants varient selon les circonstances.
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Durant ces dernières décennies et dans de nombreuses économies développées, l’on a observé que le nombre de mères de jeunes enfants allant travailler augmentait. En parallèle, les décideurs·euses politiques ont tenté d’augmenter le nombre de places en crèches par différentes initiatives – gouvernementales ou dictées par le marché et parfois les deux. Alors que davantage d’enfants en bas âge passent plus de temps loin de leur mère, gardés par des tiers, la question s’est posée de connaître l’impact des garderies d’enfants sur leur développement. Les garderies ont-elles un impact sur la vie future des jeunes enfants ou ne sont-elles qu’un substitut de la garde à domicile? Les avantages pour les enfants diffèrent-ils selon les circonstances?
Voilà quelques questions que se sont posées les professeur·e·s Rafael Lalive (Faculté des HEC de l’Université de Lausanne) et Christina Felfe (Université de St-Gall) en étudiant l’impact des garderies sur le développement des enfants de moins de trois ans. Ils ont pu le faire grâce aux circonstances particulières en Allemagne, qui leur ont permis de comparer les performances d’ enfants élevés à la maison et de ceux placés en garderie.
La garde d’enfants de moins de trois ans est assurée en Allemagne occidentale par des centres de garde gérés par l’État. Ces centres suivent une mission éducative claire: l’accent est mis sur le développement des compétences analytiques, linguistiques et motrices, suivant des lignes directrices strictes. Des réglementations sévères régissent les horaires, la taille des groupes, le ratio enfants/personnel et les qualifications du personnel. Les garderies reçoivent d’importants subventionnements du gouvernement.
En 2013, tous les enfants de un à trois ans avaient légalement droit à une place en crèche. Auparavant, la demande excédait l’offre, le nombre de places augmentant peu à peu après la mise en œuvre d’un programme d’expansion débuté en 2005.
Les professeurs Lalive et Felfe ont étudié divers aspects du développement des compétences infantiles de six groupes d’enfants placés en garderie de 2003 à 2011. Il s’agissait d’une période d’expansion «modeste» de la fréquentation des garderies, de 7% à 27%. Ils ont étudié le développement des enfants dans leurs compétences linguistiques, motrices et socio-émotionnelles, toutes testées en Allemagne occidentale lors d’un contrôle médical obligatoire à l’âge de six ans.
Ces trois facteurs sont des indicateurs du futur succès social et économique, de réussite scolaire et de performance sur le marché du travail. D’un intérêt particulier, la composante socio-émotionnelle étudie des questions comme les problèmes comportementaux, l’instabilité affective, l’hyperactivité et les relations avec leurs pairs. Ce facteur ne fait pas partie de la mission éducative des crèches, contrairement aux compétences linguistiques et motrices.
Après avoir étudié les performances des enfants placés entre 2003 et 2011, ils ont aussi procédé à une estimation des résultats d’une période simulant une augmentation «progressive» de 27% à 50% de la fréquentation des garderies, afin de déterminer les implications de diverses approches politiques d’expansion des garderies.
Les auteurs ont aussi pu distinguer l’impact des garderies sur les enfants selon des caractéristiques telles que le genre, le statut de migrant, le niveau d’instruction des parents, ou encore l’attitude des parents face au placement de leurs enfants en crèche.
L’impact positif des garderies
Les résultats confirment un fort intérêt pour une offre étendue de garderies abordables et de bonne qualité. Dans le cas de la réforme modérée, lorsque la fréquentation des garderies a passé de 7 à 27%, couvrant une croissance moyenne pour la période 2009 à 2014 et les groupes d’enfants étudiés, les garderies ont profité à tous les enfants dans leur développement moteur. De même, l’impact des garderies dans ces conditions sur le développement du langage est aussi positif, bien que plus modeste, les enfants immigrés en bénéficiant le plus.
Peut-être que le plus intéressant se trouve au niveau de l’impact des garderies sur la composante socio-émotionnelle. Dans le cas de la réforme modérée, les avantages socio-émotionnels des garderies sont faibles pour tous les enfants, même moindres pour les garçons. Cependant, lors d’une expansion progressive, les garçons, les enfants de parents moins instruits et les immigrés bénéficient tous notablement des garderies quant aux compétences socio-émotionnelles.
On pourrait expliquer ces résultats par la probabilité pour les parents d’avoir recours aux garderies. Dans le cas de la réforme modérée, les places en garderie allant aux premiers arrivés, les enfants placés sont ceux des parents les plus déterminés à obtenir une place pour leur enfant et qui en attendent le plus. Mais lorsque les places disponibles augmentent dans le cas de la réforme progressive, il y a plus d’enfants placés sans attente des parents quant aux garderies.
Les parents les plus susceptibles de placer leurs enfants, même lorsque les places sont rares, comprennent peut-être mieux les requis du développement socio-émotionnel: voir régulièrement d’autres familles, aller à l’aire de jeux du quartier, ou rencontrer d’autres enfants, par exemple. Ils encourageront ce type d’activités indépendamment du placement en garderie, ce qui réduit la différence des avantages entre enfants placés ou non.
En revanche, les parents plus susceptibles de placer leurs enfants lorsque les places sont plus faciles à obtenir ne peuvent peut-être pas offrir les expériences appropriées au développement socio-émotionnel à la maison. Dès lors, leurs enfants tirent plus d’avantages des garderies. Cela vaut en particulier pour les garçons, les immigrés et les enfants des familles peu instruites.
Les avantages comparatifs des garderies par rapport à la maison peuvent sembler peu significatifs étant donné le jeune âge des enfants étudiés. Il existe cependant une documentation de recherche qui apporte de fortes preuves sur le fait que, même à ce jeune âge, l’impact positif des garderies se prolonge dans l’enfance puis à l’âge adulte. (1)
Ces résultats ont d’importantes implications pour les décideurs·euses. Les garderies contribuent à l’égalité des chances pour les enfants issus de milieux modestes, augmentent celles des garçons dans la vie, de même qu’elles augmentent les performances scolaires et la contribution des générations futures à la prospérité économique des nations. Ces résultats soulèvent en outre la question de savoir à quelles mesures donner du poids pour évaluer les bénéfices des garderies.
(1)Voir le rapport de Heckman et Masterov (2007). James J. Heckman & Dimitriy V. Masterov, 2007. « The Productivity Argument for Investing in Young Children« , Review of Agricultural Economics, American Agricultural Economics Association, vol. 29(3), pages 446-493, 09.
Papier de recherche:
Christina Felfe, Rafael Lalive (2018), Does early child care affect children’s development?, Journal of Public Economics, 159:33-53.
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