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Les décisions d’investissement dans le secteur du capital-risque se prennent toujours à huis clos et, malgré quelques études sur le sujet, leur mécanique reste un mystère. Mais aujourd’hui, avec un accès sans précédent aux informations concernant les transactions en temps réel, Jeffrey S. Petty et Marc Gruber sont en mesure de nous apporter quelques réponses concernant le processus décisionnel en matière de capital-risque.
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Ce faisant, ils identifient d’importantes leçons à retenir pour les entrepreneurs comme pour les investisseurs qui les accompagnent.

Les investisseurs en capital-risque jouent un rôle essentiel dans la vie économique, notamment en matière de création d’entreprises de haute technologie. En leur apportant du capital et en leur donnant accès à un puissant réseau de ressources, ils permettent à des milliers d’entrepreneurs de concrétiser leurs rêves : créer et développer de nouvelles entreprises. Évidemment, les activités liées aux transactions des investisseurs en capital-risque font l’objet d’une attention considérable. Ces derniers recevant des milliers de propositions commerciales, mais n’investissant que dans quelques entreprises chaque année, le processus de décision de ces investisseurs en capital-risque présente un intérêt notable.
Cependant, les études qui existent sur le sujet sont relativement limitées. Des méthodes telles que l’évocation d’expériences vécues par les investisseurs eux-mêmes, ou le recours à des scénarios tentant d’imiter artificiellement l’évaluation de la transaction, présentent d’importants inconvénients. Elles peuvent amener des distorsions, ne pas tenir compte de la compréhension limitée du processus de décision des investisseurs et échouer à répliquer l’environnement et le contexte dans lesquels les décisions d’évaluation des transactions sont prises dans la vie réelle.
Quels sont les critères de décision les plus importants pour les investisseurs en capital-risque ?
En conséquence, les connaissances sur de nombreux aspects du processus d’évaluation des transactions par les investisseurs en capital-risque, restent vagues. Quels sont les critères de décision les plus importants? Ces critères changent-ils à différentes étapes du processus d’évaluation des investisseurs et, si oui, comment?
Jeffrey Petty et son coauteur, Marc Gruber, ont décidé de remédier à ces lacunes en adoptant une approche innovante de l’étude des prises de décisions des investisseurs en capital-risque et en étudiant de vraies décisions, prises dans leur contexte réel.
Les deux chercheurs ont passé au crible 11 années de données liées à des transactions contemporaines d’une société de capital-risque européenne, spécialisée dans les entreprises du secteur de la haute technologie et à forte croissance. Au cours de cette période, la société a reçu 3’631 propositions et a réalisé 35 investissements de portefeuille dans deux fonds – légèrement décalés dans le temps, avec un taux d’acceptation moyen de 1%, soit le taux d’acceptation moyen pratiqué parmi les investisseurs en capital-risque.
Les données étaient issues d’e-mails et de mémos aux formats électronique et papier, provenant des dossiers de transactions archivés, ainsi que des données saisies dans les bases relatives aux transactions de la société et destinées à consigner les informations fondamentales les concernant. Les transactions étaient indiquées comme « ouvertes » (en cours d’examen), « ok pour investir » ou « à abandonner ».
Laisser la porte ouverte
L’analyse révèle des informations intéressantes. D’abord, un « non » ne doit pas être pris pour un rejet définitif. Pour 146 décisions de rejet, la porte n’a pas été totalement fermée à une nouvelle soumission. Ces rejets étaient généralement accompagnés d’une indication selon laquelle l’investisseur en capital-risque pourrait reconsidérer sa décision à l’avenir, expliquer les raisons du rejet, préciser les axes intéressants pour la firme et le temps accordé à la société pour déposer une nouvelle demande, ainsi que les conditions à remplir à des fins de réévaluation. Malgré ce retour encourageant de la part de l’investisseur, seules 22 propositions ont été soumises une deuxième fois.
Au total, 438 propositions ont été soumises plus d’une fois. Cependant, malgré le rejet initial et, dans la plupart des cas, en l’absence de retour encourageant, le taux d’acceptation des nouvelles soumissions était approximativement le même que celui des premières propositions.
Un taux étonnamment élevé (10%) des 3 631 transactions ont été classées comme « à abandonner » parce que les conditions requises pour poursuivre n’étaient pas réunies pour la firme d’investissement en capital-risque. Près de la moitié n’ont pas répondu aux demandes d’informations complémentaires de l’investisseur. Le reste a semble-t-il changé d’avis sur le financement par un investisseur en capital-risque.
Les études précédentes identifiaient régulièrement les caractéristiques du produit/service et du marché cible, le potentiel financier et l’équipe de direction comme des critères utilisés par les investisseurs en capital-risque pour prendre leur décision. L’étude des auteurs a confirmé l’importance des trois premiers critères (et notamment, les caractéristiques du produit/service) dans les raisons expliquant le rejet d’une proposition. Les caractéristiques de l’équipe de direction se sont par contre révélées beaucoup moins significatives pour expliquer le rejet d’une transaction. Comme l’a fait remarquer l’un des investisseurs en capital-risque cela pouvait peut-être s’expliquer par le fait que: « Nous avons une liste de gestionnaires expérimentés à laquelle nous pouvons toujours faire appel pour renforcer une équipe de direction ».
Le critère globalement le plus important dans la décision relative au rejet des transactions était lié aux fonds des investisseurs en capital-risque
Cependant, le critère globalement le plus important dans la prise de décision relative au rejet des transactions était lié aux fonds des investisseurs en capital-risque: un aspect largement négligé dans les recherches antérieures. Cela incluait, par exemple, le rejet de transactions du fait des contraintes ou des conflits imposés par le caractère du portefeuille existant. On a également pu constater plus de cinquante cas pour lesquels des propositions potentiellement viables ont été rejetées, parce que l’investisseur estimait que l’évaluation, le suivi ou la gestion de la transaction prendrait trop de temps.
Dans cette étude, il est intéressant de noter que l’importance relative des critères utilisés par les investisseurs en capital-risque variait entre les deux fonds étudiés: dans le cas du second fonds, les considérations propres au fonds d’investissement ont pris toujours plus d’importance vers les dernières années du fonds. Alors qu’en parallèle, les considérations propres au marché et aux finances devenaient moins significatives. Les investisseurs ont également gagné en efficacité, passant moins de temps à prendre des décisions de rejet et à identifier les propositions dont l’examen méritait d’être approfondi.
Les entrepreneurs doivent maintenir la communication avec les investisseurs lorsque ceux-ci ont exprimé leur intérêt, même si la transaction a été rejetée une première fois
Les auteurs concluent par quelques recommandations à l’attention des entrepreneurs et des investisseurs en capital-risque. Par exemple, les entrepreneurs doivent maintenir la communication avec les investisseurs lorsque ceux-ci ont exprimé leur intérêt, même si la transaction a été rejetée une première fois. Il est également dans l’intérêt des entrepreneurs de faire preuve de diligence raisonnable suite aux commentaires des investisseurs, afin de pouvoir établir une proposition sur mesure par rapport à la stratégie du portefeuille de la firme, au moment opportun. Deux firmes possédant des stratégies d’investissement similaires peuvent considérer différemment la même proposition parce qu’elles se concentrent sur d’autres critères en fonction de la phase du cycle de vie de leur propre fonds.
En ce qui concerne les investisseurs, Jeffrey Petty et son coauteur leur suggèrent d’évaluer leur capacité de gestion, en matière de développement de stratégies afin de traiter des propositions à évaluer, lors de pointes d’activité. Le fait qu’ils ne puissent conclure des transactions intéressantes en raison de contraintes liées au temps de gestion pourrait s’avérer très dommageable pour eux en termes d’occasions manquées. Après tout, l’une de ces propositions rejetées pourrait bien finir par devenir l’affaire du siècle!
Lire le travail de recherche original: « In pursuit of the real deal » A longitudinal study of VC decision making. Jeffrey S. Petty, Faculté des HEC de l’Université de Lausanne (HEC Lausanne) et Marc Gruber, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), College of Management of Technology. Dans le Journal of Business Venturing 26 (2011) 172–188.
Crédit photo: Erik Ludwig / Flickr CC