Restauration de la biodiversité : des projets locaux sous la loupe

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Gretchen Walters, Institut de géographie et durabilité

Quelle est l’efficacité des nombreux projets locaux de conservation et de restauration de la biodiversité ? Que pouvons-nous apprendre des initiatives menées par les peuples autochtones et les communautés locales ? Grâce à des méthodes écologiques, mais aussi sociales, Gretchen Walters (IGD), Olivier Hymas (CIRM) et Jenny Kelleher (IUCN) lancent au printemps 2022 « NARROW : Narratives on Restored Water », une recherche transdisciplinaire et transsectorielle. Elle examinera le fonctionnement des restaurations menées localement.

NARROW est financé par une action ERA-NET COFUND, mise en place par deux réseaux européens : BiodivERsA et Water JPI. Ces réseaux visent à développer une collaboration durable et une vision commune des défis de la biodiversité et des écosystèmes aquatiques.

Quel est l’objectif principal de « NARROW » ?

GW : Nous voulons examiner l’efficacité de la conservation et de la restauration de la biodiversité menée par les peuples autochtones et les communautés locales. Nous déterminerons si ces projets locaux répondent aux critères des AMCEZ (« Autres Mesures Efficaces de Conservation par Zone »), désormais reconnus par la Convention sur la diversité biologique.

Sur la base de cas en Finlande et en Suède, avec la collaboration de différents secteurs de la société (les communautés locales, comme le Peuple Sami, les universitaires, les acteurs étatiques), nous abordons une question critique : quelles sont les valeurs écologiques, culturelles, sociales et spirituelles qui incitent les communautés locales à restaurer et à protéger des écosystèmes ? Comment ces valeurs apparaissent et se déploient dans un certain contexte politique national et international ?

Cette zone humide à Salojenneva (Finland) a été réensauvagée par SnowChange Cooperative, un partenaire du projet. (credits: Mika Honkalinna, Snowchange Cooperative)

Les personnes et les communautés locales ont-elles un rôle à jouer dans l’atténuation du changement climatique ?

GW : Bien sûr, surtout lorsqu’il s’agit de la restauration des terres et eaux communales ou autochtones. À un moment donné, un groupe de personnes prend la décision de restaurer ses terres et ses eaux. Lorsque cela se produit, elles contribuent directement à atténuer le changement climatique par leur action, mais cette initiative crée également un lien avec les terres et les eaux qu’ils restaurent. Dans ce projet, nous examinerons l’importance d’« espèces culturelles clés » dans la restauration. Ces espèces ont une valeur culturelle profonde pour les gens, les connectant aux écosystèmes et aux lieux.

Vous utiliserez des « récits ». Qu’est-ce que cela signifie ?

GW : Dans NARROW, nous considérons que les récits sont des histoires que les gens utilisent pour expliquer l’importance d’idées et de lieux. Comment les gens ont-ils perçu au fil du temps leurs liens avec les lieux qu’ils restaurent ? En plus des données de gouvernance et des données biologiques, nous identifierons les récits fondamentaux sur la nature restaurée qui s’expriment localement. Ces récits nous éclaireront sur le rôle que jouent les espèces culturelles clés, et comment les populations locales vivent les nouvelles relations et valeurs qui émergent de la restauration et du réensauvagement.

Plutôt que d’imposer par le haut la création d’un parc, les projets locaux peuvent être qualifiés d’AMCEZs (Autres mesures efficaces de conservation par zone). Ils émanent directement de la « base » : des communautés, des municipalités ou du secteur privé. Ici vous pouvez voir le projet de restauration Trunsta (Suède). (Crédit: Håkan Tunón, Swedish University of Agricultural Sciences). 

Comment l’idée de ce projet a-t-elle émergé ?

GW : Ce projet est né du partenariat existant entre l’UNIL et l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature). Il était clair, dès l’appel à projets, que la meilleure façon d’adopter une perspective de politique environnementale appliquée était de travailler ensemble.

Nous réunissons donc une équipe de scientifiques et de praticiens interdisciplinaires de l’Université de Lausanne, de l’Université suédoise des sciences Agricoles, de la Coopérative Snowchange (Finlande) et de l’Union internationale pour la conservation de la nature (Suisse). Cette collaboration nous permet de faire converger les perspectives locales et internationales.

En quoi ce travail est-il important pour la restauration de la biodiversité ?

GW : Malgré les appels à inclure les points de vue culturels dans la restauration, cette prise en compte est rare. Grâce à NARROW, nous réunissons ces différents éléments : nous analyserons pourquoi et comment des gens décident à un moment donné de restaurer un lieu, et pourquoi cela compte pour eux. Mais nous évaluerons aussi si la restauration a un impact concret sur le flux des gaz à effet de serre et le stockage du carbone. 

En examinant conjointement les valeurs culturelles et biologiques de la restauration, nous ancrons ainsi des objectifs globaux de politique environnementale dans des préoccupations locales – c’est-à-dire des préoccupations qui ont un sens pour les gens et leurs écosystèmes. 

Nos résultats amélioreront la prise en compte des AMCEZs dans les milieux politiques internationaux et nationaux, ainsi que la manière dont elles sont mises en œuvre. Comme nous travaillons directement avec l’UICN, qui influence le travail mondial sur les AMCEZs, les résultats de NARROW auront un impact sur la politique et la pratique de la conservation internationale.

D’ici 2030, de nombreux pays vont s’engager à porter à 30 % la superficie des zones protégées. Cette augmentation ne sera possible que si un changement stratégique s’opère. De nombreuses stratégies gouvernementales visant à renforcer la conservation de la nature proposent de favoriser les AMCEZs – notamment la Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 et le Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. Mais pour être bénéfiques à la biodiversité, les AMCEZs doivent faire la preuve d’une gouvernance efficace. D’où l’importance de notre projet, qui permettra de mieux les comprendre.

Quel est le principal défi à relever ?

GW : Nos équipes sont interdisciplinaires. Un des défis consiste à comprendre les méthodes des sciences sociales et biologiques et à les rassembler en un tout cohérent. 

Heureusement, plusieurs personnes dans l’équipe bénéficient d’une formation polyvalente. Un autre défi est l’éloignement entre le travail de terrain – effectué en Suède et en Finlande – et le travail politique – effectué en Suisse. Cette distance pourrait entraîner une difficulté à faire valoir les contextes locaux et leur valeur dans les forums internationaux. Nous surmonterons ce problème en organisant des visites conjointes sur le terrain dans chaque pays et en invitant les membres de la communauté à participer aux principaux événements politiques internationaux.

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