Des pollens pour reconstruire le climat : un nouveau projet Spark

Cette publication est également disponible en : English

La paléoclimatologie — étude des climats passés à partir d’enregistrements sédimentologiques — pourrait-elle fournir des outils cruciaux pour tester nos modèles de prévision de changements climatiques ? Le nouveau projet SPARK « More uncertainties for more certainty: using uncertainties to connect fossil pollen records in space and time and better reconstruct past climate dynamics » relève ce défi. 

De gauche à droite : Manuel Chevalier et Fabio Oriani

Manuel Chevalier, qui a conçu le projet, nous explique ses motivations et ses ambitions. À l’Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST), Fabio Oriani sera responsable de développer le projet.

Quel est l’objectif principal de votre projet Spark ?

MC : Notre but est de reconstituer la variabilité passée du climat. Pour cela, nous allons développer une méthode peu conventionnelle d’analyse de pollen fossile. Les premières analyses de ce type remontent au début des années 1970 . Et bien que les méthodes d’analyse aient largement évolué depuis, l’approche conceptuelle de la reconstitution climatique, n’a quant à elle pas changé : chaque enregistrement (chaque échantillon de pollen même !) est considéré indépendamment des autres. Les reconstitutions dites « ponctuelles » produites sont généralement associées à l’endroit où les sédiments ont été prélevés. Or les échantillons de pollens fossiles ne fournissent pas un enregistrement unique et précis, tel un thermomètre ou un pluviomètre dans votre jardin. Les échantillons de pollens fossiles sont des traces de la biodiversité végétale présente et de sa dynamique pour un certain laps de temps et une certaine région — plus particulièrement toute la région d’où peuvent provenir les grains de pollen observés dans les sédiments — et ne peuvent donc pas être traités indépendamment. 

L’objectif central de ce projet Spark est donc de développer un modèle d’analyse statistique capable de prendre en compte ces caractéristiques spatiales (le « bassin d’attraction pollinique » de chaque enregistrement) et de les utiliser à bon escient. Nous produirons ainsi des reconstitutions climatiques spatialisées, à partir d’enregistrements polliniques fossiles ponctuels. 

L’instrument Spark soutient des projets originaux et à fort impact. En quoi votre projet possède-t-il ces qualités ?

MC : Intégrer l’information spatiale et temporelle des enregistrements polliniques dans la reconstitution du climat : c’est l’innovation centrale de ce projet. Cette approche est résolument à contre-courant de ce qui se fait depuis un demi-siècle. 

Les méthodes d’analyse classiques tendent plutôt à minimiser ces effets spatio-temporels. Ici au contraire, nous allons essayer d’en extraire le plus d’informations possible. Outre l’avantage de produire une modélisation plus proche de la réalité, cette approche va permettre de « connecter » les reconstitutions entre elles. Ainsi, lorsque leurs bassins d’attraction se chevauchent, nous pourrons créer les premières reconstitutions climatiques continues et spatialisées, et ainsi produire des reconstitutions à large échelle « sans trous ». 

Une fois le modèle développé, l’objectif est à moyen terme de créer une nouvelle génération de reconstitutions paléoclimatiques plus robustes un peu partout dans le monde. Cela nous aidera à mieux comprendre la dynamique passée du climat et ainsi mieux appréhender les changements climatiques qui nous attendent dans les prochaines décennies.

Quel sera le principal défi de ce projet et quelles sont vos forces pour le relever ?

MC : Ce projet est complexe pour de nombreuses raisons. Le problème principal que l’on va rencontrer va probablement être lié à la définition d’un modèle qui va bien prendre en compte les caractéristiques spatiales des enregistrements polliniques. Nous allons devoir trouver un bon équilibre entre une trop grande complexité — qui rendrait notre méthode peu généralisable (et possiblement trop gourmande en temps de calcul !) — et une trop faible complexité — qui ne permettrait pas ce saut conceptuel entre reconstitution ponctuelle et reconstitution spatialisée. 

Fabio et moi allons donc attaquer le problème avec des compétences différentes, mais complémentaires, ce qui devrait nous permettre de trouver la bonne formule ! Fabio a une bonne connaissance des méthodes de modélisation spatiale, ce qui va nous permettre d’élaborer une approche statistique avancée. De mon côté, mon expérience des reconstitutions climatiques ponctuelles et des données polliniques va nous permettre de structurer l’information a priori pour informer les modèles et d’assurer que les résultats sont cohérents d’un point de vue paléoenvironnemental.

Les enregistrements polliniques existants dans le monde (gauche) et les reconstitutions climatiques qui en sont dérivées (droite) sont répartis de manière très hétérogène entre différentes régions. Notre projet permettra de produire des reconstitutions dans ces régions sous-représentées, avec un premier accent sur l’Afrique et l’Amérique du Sud (en vert).

Comment le projet a-t-il vu le jour ?

MC : La première fois que j’ai eu cette idée — ou en tout cas une des versions de cette idée — date d’il y a quelques années déjà. Je regardais une carte de tous les enregistrements polliniques fossiles en Europe dans le but d’effectuer des reconstitutions. Le constat le plus évident était que certaines zones avaient une densité de points plutôt élevée et d’autres plutôt clairsemées. Il me fallait donc trouver une façon de « créer de l’information » là où il n’y en avait pas, afin de produire des reconstitutions homogènes dans ma zone d’étude. 

Une solution est d’aller faire des prélèvements sédimentaires dans les régions sous-échantillonnées, et ainsi de produire ces données manquantes… Mais quand on travaille à l’échelle européenne, comme c’est le cas pour ce projet, la logistique à mettre en place est coûteuse en temps, en argent et en personnel ! 

Une approche alternative est de maximiser le potentiel de ce qui est déjà disponible en travaillant sur la modélisation. L’avantage de développer ainsi de nouvelles méthodologies est qu’elles peuvent produire des résultats beaucoup plus rapidement. En outre, elles peuvent servir dans d’autres régions que l’Europe et ainsi avoir un impact beaucoup plus global.

Comment allez-vous vous assurer que ces reconstitutions dans des zones vides de données polliniques soient correctes ?

MC : Nous aurons plusieurs possibilités pour vérifier nos prédictions climatiques. En particulier, la première étape du projet sera entièrement dédiée à l’analyse d’enregistrements de pollen modernes. L’avantage de ces échantillons modernes est que l’on connait le climat qui leur est associé. On pourra donc comparer nos reconstitutions avec la réalité. La même logique s’appliquera pour nos reconstitutions des régions sans données. En utilisant le modèle spatial avec des données modernes, on pourra aussi y mesurer la précision de nos reconstitutions. C’est d’ailleurs de cette façon que l’on pourra affiner notre modélisation pour produire des résultats aussi proches que possible de la réalité, et ces résultats nous donneront un degré de confiance dans nos reconstitutions passées.

En quoi l’IDYST est-il le bon endroit pour réaliser votre projet ?

MC : Bien que l’étude des fossiles pollens fossiles — et la reconstitution climatique associée — ne soit pas un axe de recherche développé à l’IDYST, le cœur de ce projet va être en réalité très technique. Pour cela, il est important d’avoir une structure où nous pourrons trouver un support adapté. Je me suis donc tout naturellement adressé au Prof. Mariéthoz pour lui proposer de nous accueillir dans l’équipe GAIA. Son expertise dans le développement de méthodes stochastiques pour caractériser la variabilité spatiale et temporelle des systèmes naturels est un atout pour le projet. Fabio et moi avons travaillé à l’IDYST depuis plusieurs années maintenant et nous savons comment fonctionne l’institut. Nous n’avons aucun doute que c’est un excellent endroit pour réaliser ce projet. Du point de vue technique, le département nous fournit aussi les ressources computationnelles nécessaires pour calibrer des modèles statistiques complexes et mettre en place des stratégies de big data.

En quoi ce projet est-il important pour vous ?

MC: Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est la première fois que je réalise un projet avec mes propres fonds et c’est pour moi une grande fierté de pouvoir développer ma propre recherche. Ce projet va me permettre de développer et tester un modèle unique de reconstitutions spatialisées dans différentes conditions afin de comprendre les conditions dans lesquelles il est le plus performant. 

De façon plus générale, ce projet représente pour moi la première pierre d’un objectif de recherche plus large et que je veux développer au cours des prochaines années. Un de mes axes de recherche est de reconstruire l’histoire du climat dans des régions où elle est généralement manquante. En particulier, les régions tropicales de l’Afrique et l’Amérique du Sud sont largement sous-étudiées, malgré leur importance dans la régulation du climat global. Décrire de manière robuste le paléoclimat dans ces régions va avoir un impact significatif sur notre compréhension de la dynamique du climat tropical, et par extension du climat mondial. 

Nos reconstitutions serviront également à tester les modèles prédictifs actuels, qui tentent d’estimer les changements climatiques dans les années et décades à venir. Nous serons en mesure de comparer à large échelle nos simulations paléoclimatiques avec ces modèles prédictifs. En identifiant où et quand les données fossiles et les modèles prédictifs concordent, ou ne concordent pas, nous mettrons en évidence les forces et les faiblesses de ces modèles et pourrons ainsi affiner notre capacité à mieux prédire les changements climatiques futurs.

Pour aller plus loin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *