Marie-Hélène Lafon / Espace rural et langue carnée

micropodcast numéro 3

Marie-Hélène Lafon et Jérôme Meizoz au Foyer, octobre 2016

Écouter parler Marie-Hélène Lafon de ses livres est une activité passionnante et poétiquement nourrissante. Il y  a des auteurs comme ça où l’on aimerait que soit offert, en plus du livre acheté à la librairie, un DVD, par exemple, qui compilerait tous les entretiens donnés sur le livre en question, ici Joseph. Oui. Écouter Marie-Hélène Lafon parler de son livre Joseph est une activité passionnante. Allez la voir, allez sur internet, cherchez !

Une « affaire de viande »

A l’oral, chez Lafon, les mots sont précis, minutieusement choisis et parfois imprégnés d’une surprenante, mais ô combien jouissive, radicalité. Cette radicalité n’est pas forcément politique au sens gauche-droite du terme. C’est une radicalité d’engagement dans – à l’intérieur même et jusqu’au cou – la littérature. On ne devient pas écrivain par plaisir des idées, de la démonstration et de la rhétorique. Savoir raconter des histoires, d’accord, mais de quelle manière et à partir de quelle nécessité. Dans tout entretien, Marie-Hélène Lafon se doit de rappeler que l’acte d’écrire est avant tout une affaire de corps : il faut extraire les mots des entrailles, retrouver le souffle de l’oralité dans une chorégraphie précise des phrases. C’est un labeur d’une extrême exigence. A l’instar de Louis-Ferdinand Céline qui parlait de l’écriture et du style comme une entreprise dangereuse qui contraint l’écrivain à mettre sa peau sur la table, Marie-Hélène Lafon, héritière des stylistes de l’oralité (Ramuz, Calaferte, Céline), file la métaphore de l’ouvrier et de l’artisan pour mettre en exergue le travail de la matière textuelle. Pour Lafon, la table devient l’établi, la plume se transforme en outil et servent, ensemble, à mieux travailler la phrase.

« Empoigner » le monde agricole

Ecouter parler Marie-Hélène Lafon sur la langue et le style, c’est aussi prendre acte du tiraillement profond de l’écrivain entre deux mondes opposés : celui de son enfance dans le Cantal, rural et paysan, et celui lié à son statut actuel de professeur de lettres classiques à Paris, plus intellectuel et urbain. Si les thématiques de ses livres peuvent se lire comme une quête de ses origines modestes et agricoles, c’est dans l’écriture même que semble se jouer cet affrontement entre une  langue écrite classique et normative et une langue rurale plus inventive, émotive et personnelle. Tout se passe comme si la belle langue apprise dans les écoles ne suffisait plus à rendre compte de la vie de la campagne sans torsion stylistique, c’est-à-dire en habillant la phrase de chair pour mieux l’incarner. Il en résulte un flux dansant, minutieusement oralisé comme une chaussure saligotée qu’on poserait sur une nappe en dentelle. Il ne reste alors au lecteur plus guère de choix : soit il accepte de se faire empoigner et fouetter au corps, soit il en refuse le souffle préférant se mirer dans les livres qu’il a soigneusement mis sous vide et rangés dans sa bibliothèque.

Le 20 octobre 2016, la section de français recevait Marie-Hélène Lafon, écrivain, au Foyer de La Grange de Dorigny pour une rencontre publique dans le cadre du séminaire des professeurs Jérôme Meizoz et Antonio Rodriguez: Vies imaginaires: biofictions contemporaines. Dans ce podcast, Jérôme Meizoz nous parle de Lafon et de son livre Joseph.

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