micropodcast numéro 2

Ça ne s’invente pas.
Après avoir envoyé un mail d’invitation à l’écrivain et performeur Alain Freudiger pour une lecture au Foyer le mardi 12 octobre 2016, je m’étonnais de ne pas recevoir de réponse bien qu’il me certifiât (par téléphone) qu’il m’en avait bel et bien envoyé une. La semaine suivante, je reçois un rapport de quarantaine de Mailcleaner m’affirmant qu’il avait considéré le message de Freudiger comme indésirable. Peut-être soudain pris d’un étrange remord, le programme, somme toute protecteur, me propose le choix suivant : je peux libérer le message de la quarantaine pour le rendre à nouveau désirable ou tout simplement le laisser là où il est, puisque sans action de ma part, le courrier retenu sera automatiquement supprimé 30 jours après réception, ce qui ne fait pas une quarantaine mais c’est une autre histoire. Sans hésiter, je libère donc la parole indésirable d’Alain Freudiger afin qu’elle ne soit pas supprimée le mois prochain.
Ça tombe bien, Alain Freudiger y confirme sa venue pour une courte mais non moins intense performance titrée Nouvelle Economie (de Moyens).
Une écriture sans écrivains
La particularité du texte lu par Alain Freudiger est que toute la matière première textuelle n’est pas de lui. Aucun mot ne provient de la plume même de l’écrivain. Bien sûr, le travail minutieux sur l’agencement des mots et des sons, la manière musicale de les faire se rencontrer ou se percuter fait que nous pouvons attribuer, sans aucun doute possible, le texte à la poésie de Freudiger. Et pourtant. Nous avons affaire ici à un montage de textes voire à un montage de mots ou d’injonctions numériques qui résonnent comme autant de slogans orwelliens.
La matière textuelle est entièrement issue de la novlangue des géants du web que l’on appelle GAFA (Google-Apple-Facebook-Amazon). Alain Freudiger sélectionne avec malice ce qui lui apparaît le plus absurde dans ce langage-action devenu quotidien pour des millions d’êtres humains. Tout y passe : « boutons » langagiers performatifs, menus déroulants, saisies semi-automatiques. Tentons l’expérience. Tapons sur le moteur de recherche Google « les Suisses sont… » et l’on s’apercevra qu’ils sont « nuls en drague », « racistes », « nuls en drague le matin » et « champions du monde de l’endettement » ! Le langage créé par les géants du web et leurs logarithmes s’impose à nous sans que nous en trouvions à redire. C’est un langage fonctionnel dont nous avons oublié jusqu’à la signification première. Qui s’étonne encore d’avoir 1545 amis sur Facebook mais seulement 15 qui viennent à notre anniversaire ? La force de la performance d’Alain Freudiger est de nous le rappeler.