Le projet

Présentation générale

Les régions de montagne sont parmi les plus affectées par le réchauffement climatique qui s’accélère. Il entraîne un profond bouleversement des milieux alpins : disparition annoncée de la plupart des glaciers, perturbation des écosystèmes avec l’extinction de certaines espèces comme les galliformes de montagne, et chamboulement des représentations et des activités humaines en lien avec ces entités en train de disparaitre.

Ce projet a pour objectif principal de rendre compte des transformations des manières d’habiter les territoires de montagnes face à ces profonds bouleversements en s’intéressant aux processus d’extinctions en cours.  Il s’intéressera à deux études de cas : les glaciers alpins et les galliformes de montagne. Il s’agit d’étudier l’ensemble des éléments amenés à disparaitre et/ ou à se réinventer en lien avec la disparition de ces entités. Une première partie du travail s’intéressera à qualifier les phénomènes d’extinction, à voir comment ce processus entre dans la sphère publique au fil du temps et en fonction des lieux et comment il marque les récits. Le contexte historique, sociopolitique, économique et culturel qui a favorisé la qualification d’extinction de l’entité non humaine sera interrogé. Dans un deuxième temps, il s’agira de documenter les récits liés à ces extinctions et collecter les savoirs vernaculaires permettant d’analyser les interrelations entre expériences d’extinction et extinctions d’expérience. Il s’agit d’identifier, en lien avec les acteurs en prise directe avec le phénomène d’extinction, ce qui disparaît, pour qui et selon quels processus, en documentant les expressions les plus manifestes de ces deux formes d’expériences. Enfin il s’agira de comprendre comment se réorganisent les agencements entre différents acteurs et les relations aux glaciers et galliformes, ainsi que les récits qui en sont faits, en identifiant ce qui est définitivement perdu, oublié ou au contraire réinventé.

En s’appuyant sur des cas d’études de processus d’extinction particulièrement symptomatiques dans les Alpes, cette recherche apportera un éclairage nouveau sur les manières d’habiter les Alpes aujourd’hui.

Cas d’étude Glaciers Alpins

Cette étude de cas permettra tout d’abord, notamment à partir d’archives, de documenter le basculement récent vers la notion d’extinction glaciaire, alors que le discours dominant jusqu’à récemment s’inscrivait dans un récit de fin du petit âge glaciaire.

L’analyse des discours et l’observation fine des situations d’interactions sensibles avec les entités non-humaines montagnardes aidera à mieux saisir l’expérience de lieux en train de disparaître comme les langues terminales des glaciers, et de montrer comment les acteurs parcourent une montagne abîmée.
Il s’agit aussi de documenter les manières de faire avec ces extinctions glaciaires, dans la multiplicité de leurs formes : renouvellement des perceptions, évolution des pratiques, pertes de certitudes, déplacements des intérêts, mise au défi du rapport esthétique (et comment ce rapport esthétique peut se voir reconfiguré par d’autres relations, d’attachement, de soin, de compréhension des processus).

La perception des temporalités est aussi enjeu : les temps géologiques peuvent parfois être convoqués pour relativiser des extinctions qui ne seraient que temporaires, liées aux périodes interglaciaires. La possibilité d’un renouvellement plus profond du rapport au milieu sera aussi interrogée : à partir de la construction d’un certain imaginaire de la montagne, puis d’expériences de la transformation de la montagne, un dépassement de l’imaginaire moderne de conquête serait-il en germe ? Avec peut-être l’avènement de nouvelles formes de relations plus personnalisées avec des entités montagnardes autres qu’humaines, comme pourraient l’anticiper les premières cérémonies d’hommage aux glaciers disparus. Focalisée sur les extinctions en cours, cette étude de cas permettra aussi de recueillir et d’analyser des données vernaculaires sur l’expérience de la montagne et sa transmission intergénérationnelle.

Cas d’étude Galliformes de Montagne

Les galliformes de montagne vivant dans les Alpes (lagopède alpin, tétras lyre, perdrix bartavelle et gélinotte des bois) font face à de nombreuses menaces : dérangement lié aux activités humaines, perte d’habitats, changement climatique etc.
Parallèlement à ces phénomènes écologiques, les pratiques humaines concernant ces oiseaux emblématiques de la faune alpine sont en pleine recomposition, avec un effacement progressif de la chasse, une forte attention scientifique et gestionnaire, et des pratiques d’observation en progression (photographie animalière, ornithologie).
Dans un contexte global d’attention grandissante à l’égard de la sixième extinction de masse et de la perte de diversité culturelle, la situation des galliformes de montagne cristallise les bouleversement écologiques et socio-culturels qui redessinent les Alpes.

Cette étude de cas se propose ainsi d’étudier l’évolution des relations entre humains et galliformes de montagnes, et avec elle, la transformation des manières d’habiter les territoires alpins dans un contexte d’extinction bioculturelle.
Une approche historique permettra de cerner l’émergence des discours autour du déclin de ces oiseaux, ainsi que l’évolution dans le temps des pratiques et connaissances les concernant.
Par ailleurs, une enquête ethnographique menée auprès des différents acteurs (chasseurs, gestionnaires d’espaces naturels, scientifiques, photographes, naturalistes amateurs), nous éclairera sur les différentes formes de savoirs et de relations entretenues avec les galliformes et les espaces qu’ils occupent. Elle permettra également d’analyser la façon dont les acteurs se positionnent face à l’extinction bioculturelle, et de documenter ce qui est perdu, ce qui se transforme et ce qui apparait en termes de pratiques, de représentations et de connaissances.