Pour une théorie du récit au service de l’enseignement

Cette recherche part d’un constat : un décalage de plus de cinquante ans semble s’être creusé entre les théories contemporaines du récit et les concepts enseignés dans les classes de français. Alors que l’acquisition d’un outillage critique pour étayer l’interprétation demeure une pratique courante et est souvent encouragée par les plans d’étude, il apparaît qu’aucun des concepts enseignés n’a fait l’objet d’un examen critique approfondi tenant compte des avancées de la théorie du récit, de la réalité du terrain de l’enseignement et de l’évolution du contexte des études littéraires.

Si les didacticien·ne·s condamnent souvent un excès de formalisme qui conduirait aux dérives de l’applicationnisme, elles ou ils ne vont pas jusqu’à examiner en détail les concepts incriminés et ignorent le plus souvent l’existence d’alternatives à la « boîte à outils » héritée de la période structuraliste. Quant aux narratologues, elles ou ils poursuivent généralement un objectif théorique qui les dispense de réfléchir aux prolongements pratiques de leurs travaux, la rédaction d’ouvrages de synthèse en français s’étant raréfiée au profit de la réédition inlassable de textes élaborés il y a plusieurs décennies. Cette situation de blocage débouche sur un dilemme : soit les enseignant·e·s continuent de recycler des outils datés, souvent mal définis ou dont la valeur interprétative est discutable, soit ils ou elles tournent le dos à l’outillage théorique au profit d’un rapport plus intuitif aux œuvres, et l’on passe alors des dérives de l’applicationnisme aux dangers d’une approche empirique purement intuitive.

La présente recherche, qui trouve son ancrage à l’intersection entre didactique et narratologie, vise à sortir de cette fossilisation de la théorie appliquée, pour la transformer en théorie discutée, mise à jour, enrichie et remotivée. En confrontant la vaste gamme des possibilités offertes par la narratologie contemporaine avec les réalités du terrain de l’enseignement et avec les orientations actuelles de la didactique de la littérature, nous avons l’ambition de rebâtir des ponts entre théorie du récit et enseignement, ce qui contribuera également à établir un lieu de convergence et de consolidation pour une discipline dont la cohérence, l’ancrage institutionnel et la visibilité en dehors des milieux spécialisés est devenue de plus en plus problématique.

Nous nous baserons notamment sur les avancées réalisées sous l’impulsion des approches linguistiques, rhétoriques, cognitives et transmédiales, pour montrer qu’aucune des notions aujourd’hui enseignées ne fait l’objet d’un consensus critique et que des alternatives ou des compléments existent pour chacune d’entre elles. Nous nous baserons également sur des données recueillies sur le terrain : non seulement en analysant les plans d’étude, les manuels et les ouvrages qui circulent dans les milieux scolaires, mais également en nous appuyant sur des questionnaires et des entretiens avec des enseignant·e·s du secondaire I et II de la région romande, de France, du Québec et de Belgique. Sur cette base empirique, nous tâcherons de faire évoluer l’outillage narratologique en le pensant au plus près des usages scolaires et des finalités actuelles des études littéraires. Il s’agira notamment de privilégier des concepts clairs et pertinents, permettant de mieux articuler l’analyse textuelle avec les expériences éthiques et esthétiques des lecteurs ou des lectrices, de mieux lier l’apprentissage de la langue à l’enseignement de la littérature et d’élargir les compétences littératiées des apprenant·e·s sur une échelle transmédiale. Un site internet proposant des ressources en libre accès, un ouvrage de synthèse critique ainsi qu’un colloque et des publications scientifiques permettront de diffuser les résultats de la recherche en touchant un public de narratologues, de didacticien·ne·s et d’enseignant·e·s.

Direction du projet
Raphaël Baroni, Professeur associé de didactique, École de français langue étrangère (EFLE)

Équipe de recherche
Gaspard Turin, collaborateur scientifique
Fiona Moreno, collaboratrice scientifique
Luc Mahieu, doctorant FNS

Durée du projet
2021-2025