Comment les psychiatres et neurologues suisses se sont-ils emparés, au XXe siècle, du médium filmique dans leur pratique de médecins, d’enseignants et de chercheurs ? Que disent ces films sur la maladie, les patient·e·s et les thérapeutes et, inversement, que révèlent-ils du cinéma en tant qu’outil participant à la construction des phénomènes observés ? Ce projet entend répondre à ces questions principalement sur la base d’une étude de différents corpus filmiques réalisés au sein et autour de l’hôpital psychiatrique de la Waldau à Berne, entre 1920 et 1990.
Le but consiste à mettre en évidence le rôle majeur joué, tant au niveau national que transnational, par la Waldau dans l’usage du médium filmique à des fins de recherche, d’enseignement et de vulgarisation scientifique, avec, comme point de départ de l’analyse, les 97 courts métrages réalisés à l’initiative du psychiatre allemand Ernst Grünthal entre 1934 et 1965 au Hirnanatomisches Institut de l’hôpital psychiatrique de Waldau – un fonds du Psychiatrie-Museum Bern déposé à la Cinémathèque suisse et dont une partie importante sera progressivement numérisée en cours de projet.
La projet s’articule en trois axes principaux :
- étudier la contribution d’Ernst Grünthal à la constitution d’un patrimoine filmique dont l’ampleur et la nature sont uniques en Suisse et probablement en Europe ;
- reconstituer et analyser la circulation transnationale de ces films et reconstituer le réseau scientifique et culturel de savoirs, d’objets et de personnes qui font de la Waldau et de la Suisse un épicentre en matière de sciences médicales ;
- observer, à partir d’un examen des caractéristiques formelles, sémantiques et esthétiques des films, comment les médecins s’emparent de cet outil pour forger une nouvelle forme d’expertise scientifique et d’identité professionnelle située à cheval entre sciences, médias et culture du spectacle.
Cette recherche s’inscrit dans deux champs propres aux études cinématographiques : d’une part, l’histoire du film neuropsychiatrique qui s’est enrichie depuis une vingtaine d’années de la découverte de productions que l’on croyait disparues ; et, d’autre part, le champ du film utilitaire dit useful cinema ou Gebrauchsfilm, qui a permis de valoriser des œuvres longtemps négligées par l’histoire canonique du cinéma en raison de leur caractère marginal. Pensée dans la logique d’une histoire croisée du cinéma et de la (neuro)psychiatrie, l’approche proposée envisage leurs échanges dans une perspective constructiviste, dans la mesure où ce genre de film contribue à construire le savoir médical et inversement : tandis que le cinéma élabore certaines images de la maladie mentale, mettant en jeu des modes de narration spécifiques au cinématographe, à leur tour les médecins plient la technologie à leurs besoins spécifiques.
Par leur ampleur et leur homogénéité, ces ensembles filmiques offrent une occasion unique d’interroger les enjeux historiques et épistémologiques présidant à l’emploi du cinéma dans le secteur de la santé mentale, en Suisse et en Europe. C’est pourquoi ce projet espère éclairer un fragment important de l’histoire à la fois de la psychiatrie helvétique (en plein essor au XXe siècle, sur son versant tant biologique que psychothérapeutique) et du cinéma (dans l’une de ses applications scientifiques les plus originales et les moins étudiées).
Direction du projet
Mireille Berton, Maître d’enseignement et de recherche, Section d’histoire et esthétique du cinéma
Équipe de recherche
Raphaël Tinguely, doctorant FNS, Section d’histoire et esthétique du cinéma
Elodie Murtas, chercheuse FNS senior
Durée du projet
2021-2025
Blog du projet
https://waldau.hypotheses.org/