La récession post-COVID, anamnèse, diagnostic

Flash-éco 13 du 28 juin 2020

La récession sévère qui s’installe en principe sur deux ans, comme le radar routier, envoie deux flashs coup sur coup: nécessité de conversion; disponibilité des moyens. Chronologie.

Avant

Condition-cadres en détérioration systémique dès les années 2000: baisse du pouvoir d’achat, détérioration de la qualité de l’emploi, hausse du chômage de masse, de longue durée (jeunes et seniors), épuration des seniors, augmentation des inégalités, perte du pouvoir régalien en faveur des GAFAM [1] et banques d’affaires, fracture intergénérationnelle, biodiversité compromise, épuisement des ressources, fibrose démocratique, hyperréactivité des dictatures, coordination marchande et financière devenue confrontation, contraction de la classe moyenne, déni de finitude, démesure de la précaution, ubris technocratique, prétention post-humaniste.

Diagnostic: le modèle post-libéral financiermaintient depuis 2008 l’économie en survie au prix de la dégradation des conditions-cadres sans rétablir croissance et prospérité.

Pendant

Le modèle libéral applique deux politiques:

  1. Etats-Unis, France. Interventionnisme monétariste massif: déficits budgétaires illimités, zéro vision long terme. Le modèle post-libéral (école monétariste [2], facilitation quantitative [3]) accouche d’un nouveau modèle,le MMT [4]: la monnaie injectée (la drogue) shoote le cerveau (la confiance) et booste le cœur (les liquidités). La Banque centrale ad libitum finance le déficit, rachète la dette, maintient le taux d’intérêt à zéro. Les investissements futurs sont compromis.
  2. Allemagne, Suisse. Interventionnisme étatique mesuré, hybride: monétarisme et néo-keynésianisme. La crise porte sur l’offre (production, flux mondiaux) et sur la demande (confinement, mesures barrières, chômage, faillites, crainte, thésaurisation), soit:
    • monétarisme. Traitement de l’offre. L’Etat cautionne ; finance le chômage partiel; procure des stimuli (baisse de la TVA, primes diverses, sauvetage d’entreprises: Lufthansa, Swiss),
    • néo-keynésianisme. Traitement de la demande. L’Etat stimule les investissements, en partie dans la transition écologique. La Commission européenne (750 milliards), l’Allemagne (1100 milliards) coordonnent mesures monétaires, budgétaires, fiscales: tir de barrage avant le débarquement espéré d’une politique de relance massive par l’investissement responsablequi stimulerait production, salaires, demande dans le respect des affordanceshumaines et terrestres. La Suisse demeure plutôt au stade monétariste (43 milliards utilisés à 60%): absence de besoin, manque d’imagination, ou lobbying financier?

Après

Il n’y a pas d’après. C’est maintenantque la récession nécessite une coordination mondiale des politiques monétaires, fiscales et budgétaires centrées sur l’investissement dans la transition écologique, la prise de contrôle des pôles financiers (GAFAM, banques d’affaires), la reconnexion des chronologies électorales et économiques, la priorisation des affordances humaines et terrestres, la limitation des politiques monétaristes, le lynchage du MMT, le démasquage du green washing, la refiscalisation du private equity.

Rien n’empêche la Suisse de prendre l’initiative. En 1945 elle fut écartée des Accords de Bretton Woods et du plan Marshal. Parions que ce sera encore le cas. Prenons nos responsabilités. Refoulons les rêveries idéologiques. La crise montre qu’il faut se convertir maintenant et que nous disposons des moyens économiques (modèles postkeynésiens), financiers (liquidités), technologiques (Big data, net, IA).

Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques

 

[1] Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft
[2] Milton Friedmann 1912 – 2006
[3] Crise de 2008 à ce jour
[4] Modern Monetary Theory

Principe de subsidiarité, sésame universel

Flash-éco 12 du 21 juin 2020

Le savoir économique a voulu quitter les rives de la sociologie pour l’Eldorado de la science. Il a gagné en absolu ce qu’il a perdu en humanité. Gagner en absolu est illusoire: l’absolu vit en soi et rien que pour soi [1]. Perdre en humanité signifie déboulonner l’éthique.

Le principe de subsidiarité, sous forme de savoir économique, subsiste.

Issu de la tradition de l’Alliance de solidarité [2], il ouvre la caverne du fécond, du productif, du rentable. Il répartit compétences, responsabilités, tâches dans une solidarité verticale: agir incombe en premier lieu à la base (plus proche), qui remet son trop plein à plus haut (plus compétent), et ainsi de suite (individu, famille, commune, canton, Confédération). Dans le modèle néolibéral : individu, entreprise, Etat régalien. Dans la version libérale non financiarisée de l’économie, le monde de la banque est l’un de ces échelons.

En pratique:

  • Echelon 1: l’entrepreneur.
    Il a la compétence et la responsabilité du choix économique. Ce choix repose sur la valeur qui s’exprime, depuis l’abandon du troc (pas d’intermédiaire dans l’échange), en termes financiers (CHF: intermédiaire de l’échange).
  • Echelon 2. La banque.
    Sa compétence et sa responsabilité sont plus larges (le marché) et spécifiques (le crédit). Elle juge pouvoir faire crédit à l’entrepreneur, crée la monnaie «fiduciaire» qu’elle confie à l’entrepreneur selon sa crédibilité. Fiduciaire pour confiance, crédit pour digne de foi.
  • Echelon 3. La Banque nationale (BNS).
    Elle émet la monnaie officielle. Indépendance et compétence déterminent la confiance en sa politique et en sa monnaie. Elle crée et distribue la masse monétaire selon les besoins du marché et de la politique économique ou monétaire. Elle peut (mesures d’exception, mais qui semblent s’installer [3]) soutenir en direct des Etats ou des entreprises.
  • Echelon 4. L’Etat.
    Son image en compétence et responsabilité interviennent dans le degré de confiance attribué à la monnaie et à l’avenir.

Le processus fonctionne également de haut en bas:

  • Echelon 1. La BNS crée 1000, crédite son passif (elle doit 1000), débite son actif (elle prête 1000 aux banques). La masse monétaire créée est fonction des besoins globaux (macro-économie).
  • Echelon 2. Les banques jugent des besoins de crédit individuels et collectifs (quand, combien, comment, qui?) et répartissent la monnaie en conséquence (micro-économie). Sur base des dépôts de la BNS, elles créent la monnaie «fiduciaire» en fonction des besoins de crédit (1000 à la puissance X). Le peuple suisse a donc bien fait de refuser l’initiative «monnaie pleine» qui faisait de la BNS la seule compétente en la matière (juin 2018) et fracassait la subsidiarité.

La subsidiarité est un sésame universel pour la société (démocratie directe suisse: communes, cantons, confédération), l’armée, l’entreprise, l’enseignement social de l’Eglise [4], le COVID (la confédération décide, les cantons appliquent).

A l’inverse, la France: Le processus de renouvellement macronien est bloqué par l’ignorance du principe de subsidiarité. Jouer le sésame de la subsidiarité est une question de confiance et de mentalité.

Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques

 

[1] Voir Petit Robert
[2] Alliance Créateur – créature, libre-arbitre, Réforme protestante, capitalisme, économie de marché (voir Flash-éco précédents)
[3] Voir Facilitation quantitative (Banque Centrale européenne, Federal Reserve Bank)
[4] COMPENDIUM de la doctrine sociale de l’Eglise, St-Maurice, Ed. St-Augustin, 2005, p. 103 ss.

 

NB: Jean-Marie Brandt proposera un cours d’économie pour Connaissance 3, « Et si les sciences économiques nous devenaient indispensables », en novembre 2020.

OMC: un mécanisme de haute précision menacé d’obsolescence

Flash-éco 11 du 14 juin 2020

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) [1], à Genève, est l’un des mécanismes qui a réglé la prospérité d’Après-guerre. Un composite d’ingrédients idéologiques (libre-échange, non-discrimination) et pragmatiques (négociations concrètes, réciprocité). Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques, fait le point.

Historique

1944, le Monde libre se reconstruit dans l’esprit de la pax americana. Comme à Rome, administration et droit sont de source impériale et d’application libérale. A Rome, la tolérance est religieuse, à Bretton Woods, elle est démocratique — obligatoirement démocratique (un oxymore). Vae victis devient felix humanitas. Les outils: BIRD [2], FMI [3], 1947 GATT [4] remplacé en 1995 par l’OMC.

Oui, la prospérité s’est construite dans cet esprit et a édifié notre classe moyenne. Oui, la mondialisation a confié le témoin aux pays en développement. Oui, la Chine a calibré le tout et produit une classe moyenne massive. Oui, tous nous en avons profité.

Mécanisme

(en grec, mékani: invention ingénieuse, machine de guerre, expédient, machination)

L’invention ingénieuse

Mécanisme lubrifié à l’huile de culture libérale judéo-chrétienne: liberté, responsabilité, progrès et l’éthique «technique» du principe de non-discrimination.

Trois axes:

  1. clause de la nation la plus favorisée: A et B conviennent que si l’une d’elles conclut avec Cun traité de commerce accordant à Cdes avantages particuliers, ils seront accordés ipso facto au contractant initial.[5]
  2. clause du traitement national: A concède à l’ensemble des contractants les mêmes avantages qu’elle s’accorde à elle-même (empêche que la clause 1 ne tourne au protectionnisme institutionnalisé)
  3. principe de réciprocité [6]: équivalence des bénéfices, des concessions dans la perspective de l’équité. Réciprocité spécifique: une taxe marchandise contre une autre, ou diffuse: un service contre une marchandise. Depuis l’Uruguay round (1995), la libéralisation des services finalise la déréglementation (marchandises, propriété intellectuelle, règles d’origine, marchés publics, services financiers, technologie de l’information, règlement des différends)
La machination

L’OMC est instrumentalisée; le règlement des différends est bloqué. Les Etats-Unis jouent les exceptions (matières premières, télécommunications satellitaires, extraterritorialités du $ et de la loi). La Chine abuse du statut réservé aux pays en développement et ne joue pas la réciprocité (brevets, propriété industrielle, actionnariat).

Aujourd’hui

L’esprit de coopérationest remplacé par une volonté de confrontationqu’exacerbent les crises (2008, 2020). Du multilatéralisme qui parie sur l’égalité des chances pour la paix, on est passé au rapport de force qui vassaliseles plus faibles.

Demain

Un mécanisme à réformer pour négocier l’indispensable tarification écologiqueet empêcher que «le monde ne soit plus une communauté globale, mais une arène où [les acteurs] entrent en compétition pour leur avantage propre» [7].

Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques

[1] Organisation Mondiale du Commerce
[2] Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement
[3] Fonds Monétaire International
[4] General Agreement on Tariffs and Trade
[5] BRANDT Jean-Marie, Les atouts de la Suisse face à l’Europe, Lausanne, Editions Favre, 1990, p. 51
[6] Dito, p. 38
[7] Discours de l’administration Trump, mai 2017 in: CHARBONNIER Pierre, Abondance et liberté, une histoire environnementale des idées politiques, Paris, La Découverte, 2020, note 7, p. 398

Revenu universel, de l’idéologie à la pratique

Flash-éco 10 du 8 juin 2020

Revenu de base, universel, inconditionnel, de subsistance, d’existence, de citoyenneté, minimum d’insertion, ou encore impôt négatif: on parle ici d’une allocation versée à chacun selon un critère précis (résidence, nationalité, besoins vitaux). Cette notion donne un contenu réel à l’idée de liberté et fait confiance à la responsabilité.

Idéologie

La notion recouvre le principe de justice rawlsien [1] d’égale liberté, ici l’accès à l’emploi. C’est une vision néolibérale (courant dominant, facilitation quantitative, interventionnisme monétaire massif dès 2008), version égalitarisme libéral (droit du premier occupant sous réserve qu’il ne dégrade pas le droit d’un tiers).

Critiques: elle encourage à moins, à ne plus travailler, quand le travail reste la voie d’insertion sociale privilégiée; la même allocation distribuée à tous gaspille les fonds publics et problématise son financement.

Entre idéologie et pragmatisme

Le principe de justice rawlsien de différence pose que les inégalités sociales et économiques doivent être agencées de manière à être retournées au plus grand bénéfice des défavorisés et en même temps ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances.

Les critiques portent sur l’inclusion des oisifs. Pour Rawls, cette inclusion est exclue (touche à la dignité dans le travail). Pour Van Parijs [2], elle est incluse (le perfectionnisme équivaut à une idéologie impraticable). [3]

Avantage: le principe de différence ancre l’intuition de Friedman [4] du crédit d’impôt universel ou impôt négatif.

Débat politique

Le débat est chaud, les expériences sont peu convaincantes. On y a assisté en France, lors des présidentielles 2017, au Canada, en Namibie, en Finlande, au Brésil, en Espagne, en Suisse où l’initiative «Pour un revenu de base inconditionnel» a été rejetée le 5 juin 2016 (peuple 77%; tous les cantons), et même dans les propos du pape François [5].

Justification: réponse partielle à la crise de l’emploi (chômage involontaire de masse et de longue durée, emplois cumulatifs et à temps partiel); soutient l’évolution vers de nouvelles formes de travail.

Objections: rupture du lien travail – dignité, difficulté du seuil de pertinence, injustice de la linéarité.

Revenu d’existence ou crédit d’impôt universel ou aussi impôt négatif

Il est maximal pour les sans revenu. On prévoit aussi une réduction de l’impôt sur le revenu à payer pour les revenus les plus élevés ainsi qu’un crédit d’impôt ou montant d’impôt réduit pour les revenus intermédiaires.

Pas de discrimination, chacun peut compter sur son crédit d’impôt. Autres avantages: aucune démarche particulière pour le percevoir, absence d’effet de stigmatisation, garantie de disposer d’une réserve.

Conclusion

Le crédit d’impôt universel est un outil pragmatique pour corriger la fracture lente du pacte social (robotisation, intelligence artificielle, course technologique, mondialisation, ubérisation) qu’accélèrent les crises (2008 et COVID19).

Il préserve le principe d’égale liberté devant l’emploi et l’exigence du rapport travail – dignité dans le modèle libéral.

En pratique, il nécessite la refonte de l’appareil fiscal et, plus délicate encore, celle de l’aide sociale.

Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques

 

[1] John Rawls, 1921 – 2002, philosophe : A Theory of Justice, 1971
[2] Philippe van Parijs, 1951 -, philosophe, The Basic Income European Network, 1986
[3] Controverse des «surfeurs de Malibu» entre Rawls et Van Parijs in : Qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie politique, Paris, Le Seuil
[4] FRIEDMAN Milton, Capitalism and freedom, 1962
[5] Lettre du pape François aux Mouvement populaires d’Amérique du sud, 12 avril 2020

Décryptage du plan de relance de la Commission européenne

Flash-éco 09 du 31 mai 2020

La Commission européenne (propositions du 27 mai) puise dans l’inconscient politique et court-circuite la raison économique.

L’Union Européenne est une union douanière qui repose sur la libre circulation des personnes, services, biens et capitaux. Son cerveau politique (Conseil) juxtapose 27 têtes qui jouent l’unanimité pour les décisions de souveraineté nationale. Son cervelet (Commission) assure le contrôle moteur et la coordination. Son cœur économique (espace Schengen, la Suisse en fait partie) irrigue le plus grand marché unique (530 millions de consommateurs) après l’Empire du Milieu [1].

Propositions du 27 mai (milliards d’Euros)

250 mia €: prêts de substitution (ne laissent pas dupes) en faveur des Etats membres, à commencer par les plus lourdement endettés. Cela aggravera leur dette, limitant autonomie, solvabilité, rating (mise sous tutelle ? Cas d’école: la Grèce en 2012).

500 mia €: subventions aux Etats membres dès 2021, non remboursables. Trop tard: la relance doit démarrer maintenant et casser l’effet domino des faillites. Trop flou: arrosage économique, contestations, disputes, rancœurs.

1’100 mia €: budget supplémentaire pluriannuel de la Commission (2021 – 2027). Même le budget ordinaire n’a pas pu encore être décidé.

Le marché ne peut admettre une Commission (aux revenus insignifiants) emprunteuse que si les Etats membres se portent cautions pour le tout. Emprunteurs et garants à la fois? Chacun pour le tout? Pour sa part? Jusqu’à quelle limite? Si l’un ou l’autre défaille, qui payera à sa place? La pratique est d’emprunter quand on a les ressources pour rembourser. Certes, un remboursement par ressources propres est envisagé, mais tardif (2028 à 2058) et sur des concepts vagues (taxes numériques, taxes carbone, impôts plastique) qui impliquent un cadre technique différent pour chaque Etat, lesquels doivent à chaque fois se prononcer à l’unanimité.

Conclusion

La Commission joue sur trois niveaux d’inconscient: l’opinion publique, le monde d’avant COVID19, les fantasmes d’un macronisme en déroute administrative et économique.

Mais cette idée de relance par l’investissement responsable [2] qui relaie les mesures jusqu’ici appliquées est une vision keynésienne économiquement correcte (les marchés l’ont saluée positivement le lendemain). C’est le flou politique du mode de solidarité d’une union douanière qui la compromet.

Dernière minute

Le marché attend une annonce de la BCE [3] : augmenter son aide de 750 à 1’250 milliards (pour financer les emprunts supranationaux proposés par la Commission ci-dessus?)

Elle s’ajoutera aux mesures déjà prises (quantitativistes: court terme, mais permettrait de financer les emprunts de la Commission européenne :

  • UE SURE [4] 100 ; Fonds de Garantie aux Entreprises 200 ; MES [5] 200
  • BCE Injection de liquidités et rachats de dettes 750

Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques

[1] Le vrai nom de la Chine
[2] Mécanismes keynésiens, voir Flash-éco 08
[3] Banque Centrale Européenne
[4] Support to Mitigate Unemployment Risks in an Emergency
[5] Mécanisme Européen de Stabilité, fonds créé à la suite d’el crise de 2008, destiné à l’origine à devenir banque de développement européenne.

La confiance: mot-clé de l’économie et passe-partout de cambrioleur

Flash-éco 08 du 24 mai 2020

Cette semaine, Jean-Marie Brandt revient sur un élément évoqué précédemment: la confiance.

Flash-éco 03: la confiance carburant du système libéral n’est toujours pas restaurée.

Flash-éco 04: les liquidités se perdent dans le puits de la spéculation financière

Définition de la confiance

Un sens ambigu: sécurité, foi et crédulité, présomption.

Etymologie

Un sens univoque. En grec [1], moyen et but: gage et crédit, persuasion et fidélité, preuve et confiance; un sens politique (démocratie). En latin [2], ciment contractuel: bonne foi, loyauté, promesse, assurance, patronage, conscience, foi; un sens juridique (légalité).

Economie monétaire

La confiance mesure le degré d’assurance (de risque) monétaire perçu par l’agent (vous, moi, l’Etat, la banque, le marché). Franc suisse, Dollar: confiance forte. Euro: confiance moyenne. Bolivar: confiance négative. La confiance monétaire est celle de l’Etat (rating) et de sa Banque centrale.

Un thermomètre: le taux d’intérêt, sensible au point de varier dans la même monnaie.
La Grèce emprunte 3.5 milliards d’Euros à 3.9% (2019), l’Allemagne à taux négatif (reçoit pour emprunter). L’emprunt grec coûte 400 fois plus cher! Avec des prévisions de croissance à 2.3%, le remboursement par l’inflation est impossible. Les Grecs assument une «perte», les Allemands un «gain». Les médias fanfaronnent: «Le peuple grec retrouve sa dignité!».

Politique monétaire

La confiance est aux soins intensifs. Pas de vaccin, pas de guérison.

Depuis 2008 – 2010, l’injection de milliers de milliards — on parle de «liquidités» — dans le marché n’a pas restauré la confiance, ni le crédit d’investissement dans les infrastructures (long terme), ni la croissance qui n’a reposé que sur la consommation (court terme). Crise du Covid-19, l’interventionnisme monétaire soigne, mais ne guérit pas.

Politique budgétaire et fiscale [3]

La monnaie est le déclencheur de confiance.

L’Etat investit dans les infrastructures, accroît la masse salariale, stimule la consommation; le multiplicateur du crédit (l’économiste le calcule) développe l’investissement, les salaires, le pouvoir d’achat, la consommation, la croissance qui à son tour ajoute à la confiance. La confiance est le moteur des Trente Glorieuses, jusqu’à l’échec inflationniste des années 1970 quand confiance et demande ont dépassé l’offre.

Covid-19, Merkel – Macron: accord de principe pour un crédit européen d’appoint remboursable (500 milliards), qui s’ajoute (s’il est confirmé) aux 500 milliards prévus par l’UE. But: redonner confiance, relancer la consommation via l’investissement et le salaire.

Conclusion

Les liquidités injectées n’ont relancé ni la confiance ni l’économie. L’annonce d’un accord Merkel – Macron et celle d’un vaccin Moderna ont redonné confiance au marché financier (à court terme New-York 5%, Suisse 3%: c’est le passe-partout du cambrioleur). En cas de confirmation, la confiance peut renaître et le passe-partout devenir la clé de l’économie (à long terme). En économie, la confiance se gagne sur des années et se perd en un jour.

Jean-Marie Brandt, dr ès sciences économique et en théologie

[1] pistis
[2] fides
[3] Hjyalmar Schacht (Allemagne hitlérienne), John Meynard Keynes (Alliés)

Multinationales: je vous aime, moi non plus

Flash-éco 07, du 17 mai 2020

Qu’est-ce qu’une multinationale?

C’est une entreprises avec unités de production dans au moins trois pays. Critères:

  • détient un actif intangible: brevets, modèles, marques, droits d’auteur, logiciels, bases de données, permis miniers, quotas sucriers, laitiers, d’importation, autorisations d’exploiter (pharmacies, grandes surfaces, atterrissages) soit un avantage compétitif transférable à l’étranger;
  • délocalise la production, se rapproche de la demande finale, choisit en fonction du coût;
  • externalise ses activités selon les opportunités.

Poids mondial des multinationales

Essor dès 1990 (8 puis 35% du PIB mondial). Explosion dès 2008 (3 fois plus vite que le commerce mondial). 2019, 80 000, (840 000 filiales), 80 millions de salariés, 2/3 du commerce mondial.

Excroissance GAFAM[1] plus puissante que les Etats, clients captifs par milliards, capitalisation boursière en milliers de milliards, liquidités financières surabondantes

Facteurs déclenchants

1990: conversion mondiale au libéralisme, ouverture de la Chine, privatisation d’internet, crise internet et immobilière (1998 – 2000), extra-territorialité états-unienne sur l’autoroute du post-libéralisme et du dollar, globalisation de la finance libéralisée, privatisation des mouvements spéculatifs, essor des paradis fiscaux ; avec la crise de 2008 : technologie financière.

Avantages comparatifs

Rentabilité, optimalisation des processus, pôles d’innovation, attractivité pour les cerveaux, captation des flux financiers, prépondérance des centres off-shore défiscalisés (profits non rapatriés : 3 mille milliards), mondialisation, déréglementation.

Vision locale et globale, souplesse adaptative, alliances et mandats, anticipation et gestion des crises  (localisation – délocalisation), lobbying politique, capitalisme cognitif.

Les multinationales en Suisse

Je vous aime….[2]

  • 25.500 multinationales (5% des 580.000 entreprises). 14.000 suisses, 11.500 filiales d’étrangères (majorité Etats-Unis, Allemagne, France) dont 20 % administratives ou écrans.
  • 25 – 30 % de l’emploi créé; emploi direct: 1.3 millions de personnes (Suisses : 850.000) : 1 emploi sur 4, (emplois indirects : multiplier par 2) ; les PME suisses sont majoritairement connectées aux multinationales et donc mondialisées.
  • 40% du PIB des cantons de Genève et de Vaud.
  • Impacts économique, pédagogique, social déterminants (grandes écoles, collèges privés, tourisme, sports, rentrées fiscales), réseautage mondial.

Moi non-plus

  • Déséquilibre des prix (logements, scolarités).
  • Volatilité systémique selon: stabilité, sécurité, ressources technologiques et financières, équivalences administratives (Union Européenne, Etats-Unis, Chine).
  • Implantations à l’arrêt: immobilisme politique, menaces institutionnelles (OCDE, UE), contestation idéologique, équivalences, concurrence fiscale des places off-shore (Zone Euro, Etats-Unis).

Conclusion

Une chance dans la récession 2020 et la transition écologique, besoin criant de justice fiscale et de respect de la personne et de l’Etat.

Dernière minute

Sanofi-France, qui dit prioriser les Etats-Unis pour un vaccin anti-Covid19, montre la piste: travailler avec et pas contre les multinationales, mais pas à n’importe quelles conditions.

Jean-Marie Brandt, dr ès sciences économique et en théologie

[1] Google, Apple, Facebook, et Amazon. Microsoft, fondé par Bill Gates, un des philanthropes les plus riches du monde, se sentant mis de côté, on a ajouté son initiale (GAFAM, Big five). En concurrence avec les BATX chinois : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi

[2] Voir Swissinfo 28 août 2018

Phénomènes paradoxaux en quête de justification

Flash-éco 06, du 11 mai 2020

Revenu universel, helicopter money, New-Deal vert. La crise (récession 2020) [1] stimule l’inspiration prophétique et rappelle la nécessité morale.

Revenu universel (revenu individuel de base inconditionnel, salaire universel, revenu citoyen)

L’Etat vers à tout citoyen une allocation régulière. But: couvrir les besoins essentiels (définis par la Loi). Financement: par transfert (elle ne coûte rien) des prestations sociales (assurance chômage, aide sociale, AVS); au besoin complétée par la TVA; un impôt progressif sur le revenu.

En 2016, une enquête sociale européenne le «plébiscite» [2]; le peuple suisse le refuse [3]. En 2020, il est à l’essai en Finlande et  appliqué en Espagne.

Trois partisans de choix

Pape François [4] : rend leur dignité aux «invisibles du marché» sans qui il n’y aurait de marché pour personne.

Philipp Hildebrand [5] vice-président de BlackRock [6]: les politiques quantitatives des banques centrales, budgétaires et fiscales des Etats sont épuisées (septembre 2019!)

Economistes postkeynésiens [7]: stabiliser une économie décidément instable. [8] Nuance: c’est le travail qui est garanti avec le revenu et non pas le revenu sans le travail.

Trois détracteurs choisis

Jean-Jacques Friboulet, professeur émérite, Université de Fribourg: le pape François est mal inspiré. [9]

Guy Ryder, patron de l’Organisation internationale du Travail: le revenu universel de base représente un abandon du travail. [10]

Economistes néo-classiques, néolibéraux, quantitativistes (courant actuel): l’économie est autorégulatrice, le chômage un facteur d’équilibre, les crises percent les abcès ou sont exogènes.

Opinion personnelle

Le revenu universel met en question notre rapport culturel à la dignité. Il nécessite une conversion: prendre acte du handicap lourd de l’économie post-libérale (financière).

Helicopter money

L’Etat distribue ponctuellement une somme fixe à chaque citoyen (Milton Friedman, monétariste ultra-libéral) [11] Idée: relancer la consommation et donc l’économie. Défaut: réflexe d’épargne en temps de crise

En avril 2020 aux Etats-Unis, l’Etat distribue 150 millions de chèques non imposables ($ 1200) aux citoyens gagnant moins de $ 75000.

Critique: aide d’urgence justifiée en l’absence de bouclier social; administrativement peu efficace.

New Deal vert

L’économie de marché rend obsolètes les énergies fossiles remplacées d’ici 2028 par les énergies renouvelables que la technologie rend compétitives (gratuites). Une condition suffisante: un cadre démocratique libéral et ultra-connecté. [12]

Critique: habillage trompeur d’une réalité complexe.

Conclusion

En temps de mise en cause du modèle économique, est vitale toute vision prophétique purgeant le dogme et rappelant la vérité.
Pour la première fois dans l’histoire l’économie est sacrifiée sur l’autel de la santé. Ce pourrait être une version prémonitoire de la Brebis perdue (la transition écologique).

Jean-Marie Brandt, dr ès sciences économique et en théologie

 

[1] Voir Flash-éco 05
[2] Initiatives revenu de base (UE, 28 États, janvier 2016-mars 2019, Shanahan, Smith and Srinivasan (2020)
[3] 5 juin 2016, participation 46%, non 77%
[4] Lettre du pape François aux Mouvements populaires, 12 avril 2020
[5] Bloomberg, 16 août 2019
[6] Le plus grand investisseur au monde: 7900 milliards (nos fonds de pension sont clients)
[7] Ecole de la relance par la demande
[8] BERR Eric & alibi, L’économie postkeynésienne, histoire, théories et politiques, Paris, Seuil, 2018 p, 322
[9] Cath.ch, 19 avril 2020
[10] Travail, la révolution, Geopolitis, 3 février 2019
[11] Prix Nobel d’économie 1976
[12] RIFKIN Jeremy, Le New Deal vert mondial, Les Liens qui Libèrent, octobre 2019

Du W au U asymétrique

Flash-éco 05, du 3 mai 2020

Après sept semaines le diagnostic économique se confirme sous deux hypothèses (référence chinoise): sortie du confinement dès maintenant; pas de deuxième vague de pandémie.

Diagnostic

  • Récession 2020 sans pareille depuis la 2ème Guerre mondiale ; pas de dépression (voir Flash-éco 01):
    contraction de 30 à 40% du PIB[1] trimestriel
  • impact systémique sur l’économie développée (Etats-Unis, Europe, Japon)[2]
  • chute du PIB annuel mondial 4.1%, Etats-Unis 8.5%, Zone euro 9%, Suisse 7.5%
  • récupération délicate étalée jusque fin 2022.
  • marché des actions (capacité des entreprises à s’autofinancer):
    – perte 30 %; une petite moitié pour l’instant récupérée,
    – perspectives moroses: faillites en cascades, suppressions de dividendes, reports des investissements.

Le soutien sans limite des banques centrales et des gouvernements (5.200 milliards!) n’est en théorie pas artificiel: il équivaut aux milliards effacés du marché (5.300 milliards). Le modèle économique serait donc toujours crédible. Sauf que:

  • la valeur ex ante du marché depuis 2008 est dopée par l’injection de liquidités à hautes doses des mêmes banques centrales. Au lieu de fertiliser l’économie, redonner confiance et financer la vision à long terme de l’investissement, les liquidités se perdent dans le puits de la spéculation financière (le marché boursier)[3],
  • les Etats-Unis ont le vertige: PIB ex ante, 23.000 milliards; ex post, diminution de 8.5%. Injection budgétaire: 2.300 milliards (en gros $1 de perdu pour $1 de réinjecté!). Ainsi le vaccin demeure financier et le virus politique contamine des banques centrales en voie de perdre l’indépendance qui conditionne leur santé, leur crédibilité, celle de la monnaie, celle de la capacité de refinancement de l’Etat et de son économie.

Ces injections massives ne risquent pas de générer l’inflation des années septante. Aujourd’hui le bras de levier du crédit —multiplicateur que les banques apportent à la circulation de la monnaie émise par la banque centrale et déposée chez elles — se situe dans un rapport de 1 à 3 (nos banques créent CHF 3 sur la base du dépôt BNS de CHF 1). Les économistes tablent sur un rapport de 1 à 9 pour une pandémie inflationniste. Donc pas d’inflation au menu pour l’instant et des taux d’intérêt qui restent à de très bas niveaux. Mais le pouvoir d’achat diminue tout de même (augmentation des prix).

Conclusion

Flash-éco 01 évoque un W dont la pointe médiane est la plus basse. Aujourd’hui les économistes décrivent un U asymétrique: chute, puis longue remontée en ligne brisée jusque fin 2022.

Le rôle des multinationales devient critique maintenant et pour la transition écologique. Nous y reviendrons.

Jean-Marie Brandt, dr ès sciences économique et en théologie

[1] Produit Intérieur Brut: valeur de marché de l’ensemble des biens et services (voir Flash-éco 02)
[2] La Chine se considère pays en développement: elle évite ainsi l’obligation de réciprocité de l’Organisation Mondiale du Commerce
[3] Le marché boursier ne représente aujourd’hui qu’une petite part des transactions financières: nous y reviendrons

Les signes doivent être lus et en économie, ils ne mentent pas

Flash-éco 04, du 26 avril 2020

Les signes ne mentaient pas avant la crise de 2008, ils ne mentent pas non plus dans la récession 2020. Quels sont-ils?

Crise de 2008

A- Spéculation massive à la hausse: acquisition de millions de maisons individuelles (100% de crédit, taux zéro) lancée par le président américain. Au lieu de doubler, le prix des maisons a chuté, les banques ont mis à la porte les débiteurs défaillants (42 millions d’américains de toutes professions).

B- Spéculation massive sur la protection (hedging) des valeurs boursières: mondiale et déréglementée, elle devient un but en soi.
La finance se libère de l’économie, multiplie à l’infini ses opérations, vampirise les valeurs économiques. Dans l’heure où la bulle spéculative a crevé, les liquidités irriguant l’organisme économique ont disparu; avec elles, la confiance. Sans l’interventionnisme immédiat de l’Etat américain, le système économique libéral serait tombé en cessation de paiements.

C- Spéculation massive à la baisse:
– Ventes à terme généralisées (vente en avril pour Fr. 100 d’un objet qu’on ne possède pas, livrable en décembre, qu’on pense acheter pour Fr. 50 d’ici à fin novembre).
– Ventes à terme de la dette de pays en difficulté (Grèce): on spécule que leur prix va baisser, on décrédibilise la dette et le pays, on fait baisser la valeur de ses emprunts et grimper en flèche le taux débiteur.

La crise éclate avec l’assèchement brutal des liquidités financières. Les banques créancières de la Grèce risquent le dépôt de bilan (les banques françaises dans l’immédiat, les allemandes plus tard).

Sans l’intervention des banques centrales américaine et européenne et des Etats, le système bancaire se serait effondré.

La finance mondialisée et déréglementée, découplée de ses objectifs économiques (à long terme et de société) se consacre à ses buts égoïstes (à court terme, spéculatifs), confinant l’économie (la gestion de la maison, de la société) dans une croissance rachitique.

Crise de 2020

Quand éclate la crise du Covid-19, la confiance — carburant du système libéral — n’est toujours pas restaurée: l’économie occidentale entame sa treizième année dans la molle inconscience de la mort cérébrale et de l’alimentation artificielle (facilitation quantitative illimitée des banques centrales). Le fait que cette fois-ci les causes sont exogènes à l’économie n’exonère pas les économistes de leur responsabilité éthique (contrairement à ce que prétend la doctrine):

A- Le coma artificiel de l’économie depuis 2008 est le signe d’une maladie chronique: «on a appris à vivre avec et non à bien la vivre» (voir facteurs de récession, Flash-éco 03),

B- Les tensions entre unilatéralisme chinois et ré-actionnisme américain, exacerbées par la crise sanitaire et la récession économique 2020 s’ajoutent aux signes révélateurs du début de la fin de la coopération dans les échanges mondiaux.

Les signes ne mentent pas. Les hommes oui.

Dernière minute

Les tractations de l’UE pourraient aboutir à une politique économique différente à double détente: la sortie de la récession 2020; le soutien à la transition écologique.

Jean-Marie Brandt, dr ès sciences économique et en théologie