Ancienne médecin spécialiste en prévention et santé publique (IUMSP), Françoise Dubois-Arber a été, dès le début et pendant des années, en charge de l’évaluation de la stratégie de lutte contre le sida en Suisse. L’arrivée du Covid-19 n’a pas manqué de lui rappeler certaines choses… Dans ce texte, elle évoque ce qui lui semble semblable ou différent.
Fin 1986: début des campagnes de prévention du VIH/sida en Suisse. Depuis plusieurs années, une nouvelle maladie, mortelle, touche certains segments de la population: homosexuels, consommateurs de drogues par injection, personnes transfusées. C’est assez tardivement que la communauté internationale prend conscience qu’il s’agit d’une pandémie, qu’elle sévit insidieusement, a déjà infecté de larges populations en Afrique et menace l’ensemble des populations et des pays.
Il y a bien sûr beaucoup de différences entre l’épidémie de VIH/sida et celle de Covid -19, mais il y a aussi des analogies.
Les différences
Le VIH était beaucoup moins contagieux que le Covid-19 (quoiqu’on l’ignorait au début) et il n’a jamais été question de confiner la population.
L’infection, invisible, était d’évolution lente mais conduisait inexorablement à la maladie, puis à la mort; elle touchait surtout les jeunes adultes sexuellement actifs.
Le virus était essentiellement transmis par voie sexuelle, par le sang, et non par les gestes de la vie quotidienne. En conséquence, la prévention était en principe simple (usage de préservatifs, pas d’échange de seringues, sécurisation des dons de sang, fidélité mutuelle chez ceux qui le souhaitaient) et ne demandait pas de grandes modifications de la vie de tous les jours.
Toutefois, le VIH touchant des domaines tabous de la vie (sexualité-s, drogues), la mise en œuvre de la prévention ne fut pas toujours facile…
Les similitudes
Les analogies entre les deux épidémies se trouvent surtout dans les réactions qu’elles ont provoquées et la mise en œuvre des politiques de lutte contre l’épidémie:
Peur
La peur était très présente, de même que l’impression d’une grande menace sur la société, d’autant plus qu’au début, on ne savait que peu de choses sur le nouveau virus (degré de contagiosité, manque de précisions sur les voies de transmission, par exemple).
Les craintes ont pu générer des demandes de «sécurité» excessives, comme la tentation de tester toute la population, l’isolement des personnes infectées.
L’incertitude était mal comprise et mal vécue, et il existait, comme actuellement, des querelles d’experts sur la manière d’aborder tel ou tel aspect de l’épidémie.
Des rumeurs sur l’origine de la maladie circulaient.
Stigmatisation
Dans les deux situations, des réactions de stigmatisation ou de mise à l’écart ont existé: stigmatisation des personnes séropositives dans le cas du VIH, ressenti d’exclusion des personnes à risque – soignants, aînés, par exemple – dans le cas du Covid-19.
Et dans les deux situations, des mouvements de solidarité très forts se sont mis en place (la solidarité était d’ailleurs un des thèmes de la prévention du VIH/sida).
Rôle décisif de l’Etat
Dans les deux situations, l’Etat a joué un rôle décisif dans la mise en œuvre d’une prévention efficace et la Confédération a su prendre la main, en concertation avec les cantons, pour mettre en place une information forte, claire, raisonnable, avec des messages cohérents entre les différents acteurs.
Cette manière de faire – nouvelle pour la Suisse au moment de l’épidémie de VIH/sida – a certainement contribué à la confiance accordée par la population à la politique menée et au peu de réactions négatives enregistrées.
La coopération internationale, dans le partage d’informations et la recherche, sont aussi une constante.
Inégalités sociales
Enfin, dans les deux cas, l’épidémie a été le révélateur d’inégalités sociales et de santé préexistantes et elle a frappé davantage les populations vulnérables, les populations pauvres, les pays où les inégalités sont fortes.
Les enjeux pour le futur résident – ont résidé pour le VIH – dans la capacité de mettre à disposition de tous les futurs vaccins ou traitements, sans parler de la mitigation des effets économiques des épidémies.
Dans le cas du VIH il faut se rappeler que, au moment de l’arrivée de traitements efficaces, ils n’étaient accessibles que dans les pays riches et aux populations disposant d’une sécurité sociale. Il a fallu une mobilisation de la communauté internationale – et particulièrement des associations de personnes concernées – pour faire pression sur l’industrie pharmaceutique et obtenir les licences d’exception permettant de fabriquer les médicaments à moindre coût. Et même dans cette situation, avec un programme de l’ONU dédié et après des années de lutte, 13.5 millions de personnes dans le monde sur 38 millions atteintes du VIH ne sont toujours pas traitées (ONUSIDA 2019).
Il est donc impératif de préparer dès maintenant une politique de répartition équitable des traitements/vaccins contre le Covid-19.
Françoise Dubois-Arber,
médecin spécialiste en prévention et santé publique (IUMSP, Institut de médecine sociale et préventive) et responsable de l’évaluation de la stratégie de lutte contre le sida en Suisse, membre de la Commission des cours de Connaissance 3