Revenu universel, de l’idéologie à la pratique

Flash-éco 10 du 8 juin 2020

Revenu de base, universel, inconditionnel, de subsistance, d’existence, de citoyenneté, minimum d’insertion, ou encore impôt négatif: on parle ici d’une allocation versée à chacun selon un critère précis (résidence, nationalité, besoins vitaux). Cette notion donne un contenu réel à l’idée de liberté et fait confiance à la responsabilité.

Idéologie

La notion recouvre le principe de justice rawlsien [1] d’égale liberté, ici l’accès à l’emploi. C’est une vision néolibérale (courant dominant, facilitation quantitative, interventionnisme monétaire massif dès 2008), version égalitarisme libéral (droit du premier occupant sous réserve qu’il ne dégrade pas le droit d’un tiers).

Critiques: elle encourage à moins, à ne plus travailler, quand le travail reste la voie d’insertion sociale privilégiée; la même allocation distribuée à tous gaspille les fonds publics et problématise son financement.

Entre idéologie et pragmatisme

Le principe de justice rawlsien de différence pose que les inégalités sociales et économiques doivent être agencées de manière à être retournées au plus grand bénéfice des défavorisés et en même temps ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances.

Les critiques portent sur l’inclusion des oisifs. Pour Rawls, cette inclusion est exclue (touche à la dignité dans le travail). Pour Van Parijs [2], elle est incluse (le perfectionnisme équivaut à une idéologie impraticable). [3]

Avantage: le principe de différence ancre l’intuition de Friedman [4] du crédit d’impôt universel ou impôt négatif.

Débat politique

Le débat est chaud, les expériences sont peu convaincantes. On y a assisté en France, lors des présidentielles 2017, au Canada, en Namibie, en Finlande, au Brésil, en Espagne, en Suisse où l’initiative «Pour un revenu de base inconditionnel» a été rejetée le 5 juin 2016 (peuple 77%; tous les cantons), et même dans les propos du pape François [5].

Justification: réponse partielle à la crise de l’emploi (chômage involontaire de masse et de longue durée, emplois cumulatifs et à temps partiel); soutient l’évolution vers de nouvelles formes de travail.

Objections: rupture du lien travail – dignité, difficulté du seuil de pertinence, injustice de la linéarité.

Revenu d’existence ou crédit d’impôt universel ou aussi impôt négatif

Il est maximal pour les sans revenu. On prévoit aussi une réduction de l’impôt sur le revenu à payer pour les revenus les plus élevés ainsi qu’un crédit d’impôt ou montant d’impôt réduit pour les revenus intermédiaires.

Pas de discrimination, chacun peut compter sur son crédit d’impôt. Autres avantages: aucune démarche particulière pour le percevoir, absence d’effet de stigmatisation, garantie de disposer d’une réserve.

Conclusion

Le crédit d’impôt universel est un outil pragmatique pour corriger la fracture lente du pacte social (robotisation, intelligence artificielle, course technologique, mondialisation, ubérisation) qu’accélèrent les crises (2008 et COVID19).

Il préserve le principe d’égale liberté devant l’emploi et l’exigence du rapport travail – dignité dans le modèle libéral.

En pratique, il nécessite la refonte de l’appareil fiscal et, plus délicate encore, celle de l’aide sociale.

Jean-Marie Brandt, Dr ès sciences économiques

 

[1] John Rawls, 1921 – 2002, philosophe : A Theory of Justice, 1971
[2] Philippe van Parijs, 1951 -, philosophe, The Basic Income European Network, 1986
[3] Controverse des «surfeurs de Malibu» entre Rawls et Van Parijs in : Qu’est-ce qu’une société juste ? Introduction à la pratique de la philosophie politique, Paris, Le Seuil
[4] FRIEDMAN Milton, Capitalism and freedom, 1962
[5] Lettre du pape François aux Mouvement populaires d’Amérique du sud, 12 avril 2020