« Et après … »
Au cœur de la crise de santé que nous connaissons, nous sommes inondés d’informations, de conseils et de témoignages. C’est pourquoi je ne veux pas être trop long. Je souhaite juste soumettre une pensée qui me traverse tous ces temps. La voici.
Si je m’accommode plus ou moins bien du confinement imposé, y trouvant parfois même quelques avantages, une question ne cesse néanmoins de me tarauder: de quoi ma vie sera faite à la sortie de la crise? vais-je retrouver mes habitudes d’avant? et si ce n’est pas possible, le changement me sera-t-il supportable?
Cela me fait penser à la question de certains patients que j’ai suivis en psychothérapie et qui me demandaient parfois au terme d’une séance: «Docteur, que me conseillez-vous de faire pour que ça aille mieux?» J’aimais bien leur répondre: «Essayez de faire tout comme avant, mais juste un peu différemment…»
Réponse certes ambiguë et énigmatique, mais qui véhiculait implicitement le message suivant: si toute crise est un moment de déséquilibre, causé par une situation de vie antérieure difficile, c’est une illusion de croire qu’elle sera vraiment maîtrisée par un seul «retour à la normale» (tout comme avant), à l’aide des moyens utilisés jusqu’alors. La crise sera dépassée, pas tellement avec les anciennes solutions dont certaines vont s’avérer caduques, mais avec de nouvelles surtout, qu’il s’agit d’inventer en fonction d’un contexte de vie différent. Evidemment, on aimerait bien retrouver ce qu’on a connu avant la crise et se comporter comme on le faisait alors, mais un «bon» changement n’est possible que si l’on fait un peu différemment et qu’on accepte ainsi de ne pas être tout à fait le même qu’avant.
Voilà pour la philosophie du changement. Encore faut-il que ça suive dans la pratique … C’est ce à quoi je m’essaie de temps à autre durant mon confinement: puis-je envisager une manière un peu différente de vivre à l’avenir, en inscrivant ma responsabilité individuelle dans un mouvement collectif qui devrait aider l’humanité à vivre son destin de manière moins abrupte et violente que ce que nous connaissons aujourd’hui?
Je n’aime pas les discours des prophètes charismatiques de tout bord, qui, à la faveur de la pandémie du coronavirus dont ils se réjouissent même, culpabilisent à mort et forcent les humains à la conversion, avec l’arme menaçante de l’effondrement ou de la fin du monde. Il reste que dans ce processus de changement possible que constitue tout temps de crise, je m’interroge personnellement sur ce que je suis prêt à changer dans l’emploi de mon temps, dans mon rapport à la nourriture comme dans mon utilisation de la Nature. Je m’interroge aussi sur les concessions que je suis disposé à faire en ce qui concerne mon statut de personne relativement « privilégiée », ainsi que sur les limites à mettre à mon existence compte tenu de mon âge de vie. Etre à la recherche d’une qualité de vie un peu différente, au profit d’un développement durable, comme on dit aujourd’hui, dans un « usage pauvre de nos besoins », comme le suggérait un conférencier entendu il y a peu et qui m’avait marqué. Mais c’était encore avant la crise …
Nicolas Duruz,
psychologue-psychothérapeute, professeur honoraire de psychologie clinique UNIL