MedTech: comment tirer parti du riche écosystème UNIL, CHUV et EPFL

En ce début d’été, j’aimerais revenir sur la richesse de notre écosystème local et la chance que nous avons à mes yeux de pouvoir collaborer avec des partenaires tels que le CHUV et l’EPFL. Ensemble, nous avons en effet la possibilité d’offrir aux chercheuses et chercheurs un environnement de travail riche en stimulations intellectuelles et en expertises pluridisciplinaires, qui leur permet de produire une science ultra-compétitive et de cocréer des dispositifs extraordinaires. 

Les MedTech (soit les technologies innovantes susceptibles d’améliorer la santé et la qualité des soins) sont une excellente illustration de cette synergie réussie que je souhaite entretenir ces prochaines années. 

Vous les avez certainement vu·e·s dans les médias tant leurs résultats sont spectaculaires : la professeure en neurochirurgie au CHUV/UNIL et professeure titulaire à l’EPFL Jocelyne Bloch, et le professeur en neurosciences à l’EPFL et professeur titulaire au CHUV/UNIL Grégoire Courtine ont réussi à faire remarcher un patient paraplégique. À la tête du laboratoire NeuroRestore (cofinancé par l’UNIL, le CHUV et l’EPFL), les deux scientifiques ont mis au point en collaboration avec des collègues grenoblois une sorte de « pont numérique », c.à.d. une interface cerveau-machine qui permet de transformer la pensée en pattern de stimulation de la moelle épinière pour contourner une lésion médullaire et ainsi transmettre des ordres aux jambes paralysées. Publiée dans Nature et menée par Henri Lorach, actuellement Professeur assistant en Faculté de Biologie et de Médecine à l’UNIL, cette percée sans précédent a nécessité plus d’une décennie de travail. Il a fallu décortiquer les mécanismes sous-jacents lors d’une rupture de connexion entre le cerveau et les membres due à des troubles neurologiques (que ce soit suite à un accident, à un AVC ou à la maladie de Parkinson), développer des implants spécialisés pour stimuler la moelle épinière, apprendre à extraire l’intention au niveau cérébral grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle, qu’on entraîne à décoder et à traduire l’activité électrique, puis comprendre comment stimuler le bon endroit au bon moment avec une latence très courte lors d’ordres complexes donnés par le patient. Résultat : une marche retrouvée, qui reproduit le mouvement naturel. Mais Jocelyne Bloch, Grégoire Courtine, Henri Lorach et leurs équipes ne veulent pas s’arrêter en si bon chemin. D’abord, parce que leur résultat, visibilisé en 2023, représente une preuve de concept, mais cela ne garantit pas encore son accessibilité universelle. Or, si les scientifiques souhaitent que leurs avancées puissent profiter au plus grand nombre, le passage de 1 à 1000 patient·e·s équipé·e·s de ce pont digital peut être tout aussi difficile, voire davantage, que celui de 0 à 1. Ensuite, parce que NeuroRestore espère pouvoir faire repousser à terme les fibres nerveuses afin de réparer la moëlle épinière endommagée. Pour ce faire, seule la combinaison de la neuromodulation et de la thérapie génique permettra d’avoir un réel impact. 

Du côté de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, le défi de taille relevé par Thomas J. Wolfensberger, Médecin chef et Professeur ordinaire à l’UNIL, et par Diego Ghezzi, Responsable du groupe « Ophthalmic and Neural Technologies » et ancien Professeur assistant en bio-ingénierie à l’EPFL (chaire Medtronic de neuro-ingénierie), c’est de redonner partiellement la vue aux personnes aveugles et malvoyantes touchées par des maladies génétiques qui entraînent une dégénérescence des cellules. L’idée ? Mettre au point un dispositif qu’on fixe sur les tissus résiduels de la rétine pour capter la lumière et la transformer en électricité (un peu comme ce que font les panneaux solaires), ce qui génère une image, même imprécise, via le nerf optique. Les premiers implants, datant des années 80, permettaient de récupérer une vision de 10 à 15 degrés (ce qui équivaut à fixer son propre point le bras tendu). Un résultat largement insuffisant pour améliorer l’autonomie des patient·e·s. Dans un article à paraître, les deux scientifiques montrent en effet que la clé, ce n’est pas la résolution, mais le champ visuel. Aujourd’hui, les smartphones et l’intelligence artificielle prennent en effet en charge 80% des besoins des personnes malvoyantes, notamment la lecture, grâce à des lunettes qui déchiffrent les textes en temps réel. Ce qui manque encore, c’est une meilleure vision ambulatoire pour mieux s’orienter à l’extérieur et repérer les objets à l’intérieur. Or, les implants de Thomas J. Wolfensberger et Diego Ghezzi permettent de récupérer un angle de vision de 45 degrés, ce qui accroît la qualité de vie de façon significative. Seul hic, leur dispositif, testé avec succès sur des souris et des cochons, dont l’œil est très proche de celui de l’humain, n’a pas encore pu être implémenté sur des patient·e·s, car il manque les financements nécessaires pour passer aux essais cliniques. Comme il s’agit d’un marché de niche et que les retours sur investissement sont moindres (pas de dépendance à long terme à un médicament), les boîtes pharmaceutiques sont malheureusement peu enclines à investir dans ce genre d’avancée médicale. 

Une autre collaboration entre l’UNIL et l’EPFL dans le domaine de l’humain augmenté, c’est celle que représente le cours Hommes/Machines I et II dispensé par Dominique Kunz Westerhoff, Professeure associée en littérature française, et Romain Bionda, Maître assistant en littérature française et comparée à l’UNIL, dans le cadre du Collège des Humanités de l’EPFL. Il y est aussi question d’implants et de cyborgs, d’abord dans un enseignement frontal, ensuite, au cours d’un travail de Master en Sciences humaines et sociales, qui dissèque la proximité quotidienne entre l’humain et les technologies. Selon Romain Bionda, la mise en relation de l’homme et de la machine ne date pas d’hier, puisque Descartes et La Mettrie faisaient déjà le lien par le biais de la métaphore. La littérature s’est passionnée de longue date pour la figure des humanoïdes artificiel·le·s, reproduit·e·s ou rafistolé·e·s, du golem aux clones, qui finissent régulièrement par se soulever contre leur créateur. Certain·e·s, comme le monstre de Frankenstein (1818), né d’un conglomérat de cadavres animé par l’électricité, jouissent d’une solide célébrité. D’autres, maintenu·e·s en esclavage dans la pièce de théâtre R.U.R. de Karel Čapek (introduisant au passage le terme « robot » dans le vocabulaire mondial en 1921), anéantissent l’humanité et permettent de poser la question de son éventuel remplacement. Après la création de Superman au début du 20e siècle, que l’on surnommait notamment l’« homme d’acier », des super-héros améliorés, comme Iron Man, font leur apparition et popularisent certaines questions liées aux gains et aux pertes propres à l’augmentation mécanique et à l’hybridation avec les machines – d’une toute autre manière que le texte dysphorique Blood and Iron (1917) de Perley Poole Sheenan et Robert H. Davis, écrit aux alentours de la Première Guerre mondiale, où des blessés de guerre sont « restaurés » par un scientifique pour servir à nouveau au combat. Le cyberpunk et son roman fondateur Nécromancien(William Gibson, 1984) ont ensuite vu germer des fictions postapocalyptiques où l’humain doit lutter pour se faire une place dans des sociétés polluées, gangrénées par la criminalité et contrôlées par l’intelligence artificielle, et où les technologies d’hybridation peuvent aussi servir de vecteurs aux discriminations (par exemple grâce à l’implant de puces sous-cutanées interdisant l’accès à des espaces privilégiés). Plus proche de nous, la série Black Mirror (2011-présent) a exploré à deux reprises le motif d’implants oculaires chargés de filmer la réalité et leurs conséquences en matière de surveillance et de rapport au réel, confirmant le rôle crucial de la fiction dans la réflexion éthique et l’expérimentation imaginaire de scénarios futuristes.  

Si les chercheuses et chercheurs en MedTech de l’UNIL et de l’EPFL s’activent aujourd’hui à réparer les dommages causés à l’être humain et non pas à l’améliorer (se distinguant ainsi du transhumanisme), les sonnettes d’alarme tirées par les médecins, neurochirurgien·ne·s et spécialistes en neurosciences sont ironiquement les mêmes que les craintes qui hantent nos imaginaires collectifs : il existe un risque tangible de voir se développer une société à deux vitesses, où les avancées technologiques en matière de santé pourraient n’être réservées qu’à une poignée de nanti·e·s, et où certains champs de recherche, moins lucratifs, pourraient être délaissés au détriment des personnes atteintes. Ce type de mécanisme va à l’encontre de mes convictions, puisque le « plancher social » fait partie des objectifs à atteindre pour repenser une économie plus juste et plus sûr qui s’inscrive dans les limites planétaires. Dans un monde où la réalité a désormais les capacités de rattraper la fiction, j’espère que nos institutions de recherche et de formation pourront continuer longtemps à soutenir les scientifiques qui ont à cœur que leurs inventions pionnières profitent à chacun·e, sans être guidé·e·s par une logique unilatérale de profit.

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