Voir le monde à travers le prisme de l’autisme

Par Emma Chapatte

Une critique sur le spectacle :

Le bizarre incident du chien pendant la nuit / Tiré du roman de Mark Haddon / Adaptation dramatique de Simon Stephens / Mis en scène par Julien Schmutz / Théâtre des Osses / Du 27 avril au 14 mai 2023 / Plus d’infos.

©Julien James Auzan

Du 27 avril au 14 mai, Julien Schmutz entraîne le public du Théâtre des Osses dans l’investigation rocambolesque de Christopher, un garçon attachant et pas tout à fait comme les autres. Tiré du roman à succès de l’auteur britannique Mark Haddon paru en 2003, et adapté en texte théâtral par le dramaturge britannique Simon Stephens, Le bizarre incident du chien pendant la nuit nous invite à voir le monde du point de vue d’une personne vivant avec un handicap mental.

Neufs comédiens et comédiennes sur scène, vêtues façon années cinquante. Trois panneaux de bois, noirs d’un côté et monochromes de l’autre, montés en triptyque, sur roulettes, modulables à l’infini. Et un cadavre de chien transpercé par les pics d’une fourche : qui a bien pu tuer Wellington, le chien de la voisine ?

Christopher, quinze ans et passionné de mathématiques, est bien décidé à investiguer – pour reprendre son propre terme. Comme tous les adolescents, il a des rêves plein la tête : plus tard, il en est sûr, il sera astronaute. Rapidement, on réalise que Christopher n’est pas tout à fait un garçon comme les autres : il ne supporte pas qu’on le touche, dit toujours la vérité sans fioriture – même quand il vaudrait mieux se taire – il ne mange pas d’aliment jaune et connaît une quantité impressionnante de nombres premiers, qu’il récite dans l’ordre pour se calmer quand il en ressent le besoin. On l’a deviné, Christopher est autiste.

Durant plus de deux heures, le public suit les péripéties du jeune homme dont on ne perd pas une miette. Il faut dire que la performance de Simon Bonvin, qui incarne Christopher, est particulièrement touchante. La scénographie n’est pas en reste, elle se déploie et se réinvente sans cesse : les comédien.ne.s déplacent les panneaux de bois pour en faire naître mille et une merveilles – commissariat, métro londonien, train, intérieur de maison – dans une multiplicité de formes qui laisse toute la place à la créativité.

Percevoir son environnement à travers le prisme de l’autisme

C’est ici la vraie force de ce spectacle : Julien Schmutz ne se contente pas simplement de montrer les aventures d’un jeune homme autiste ; alternant monologues de l’adolescent – tantôt pris en charge par le personnage de Christopher, tantôt par un.e autre comédien.ne.x – et scènes faisant intervenir les autres personnages, l’action adopte le point de vue d’une personne autiste. Le public est englobé dans la perception du monde de l’adolescent : on mesure la distance qui sépare les raisonnements de Christopher des nôtres, à nous neurotypiques. Et on se rend compte de la richesse de sa perception et la logique imparable de ses réflexions.

L’inclusivité – au théâtre comme ailleurs – passe par les représentations

Car c’est aussi de la vaste et actuelle question de l’inclusivité dont il est question. À l’heure où toujours plus d’institutions culturelles mettent en place des politiques d’accès facilité pour les personnes en situation de handicap, par exemple en proposant des ateliers de médiations culturelles spécifiques ou en rédigeant des brochures en texte facile à lire et à comprendre (FALC), la question de l’accès pour touxtes aux lieux de culture est devenue centrale. Or, si l’inclusion passe bien entendu par ces mesures précieuses et nécessaires, elle passe également par les différentes représentations que les spectacles véhiculent. Il faut non seulement pouvoir aller au théâtre, mais également y être représenté, s’y reconnaître et y être reconnu.

À ce titre, l’interprétation proposée ici du Bizarre incident du chien pendant la nuit est innovante – par le choix du sujet et du texte de Simon Stephens, mais aussi par le traitement qui en est fait : la mise en scène de Julien Schmutz est efficace et salutaire. Lui qui voulait faire « comprendre et ressentir la différence » déjoue le piège de la caricature stéréotypée. Christopher n’est pas réduit à son handicap, il est aussi figuré comme un jeune garçon qui rencontre les mêmes problèmes que bon nombre d’adolescent.e.x.s de son âge, pris en porte-à-faux dans les problèmes des adultes, ce qui donne aussi une touche universelle à son histoire.