Retourner à Valparaiso

Par Timon Musy

Ce texte est une création libre inspirée par le spectacle :

Tous les poètes habitent Valparaiso / Texte de Carine Corajoud / Conception et mise en scène par Dorian Rossel / Cie Super Trop Top / La Grange (Lausanne) / du 07 au 12 mars 2023 / Plus d’infos.

© Daphné Bengoa

(Cette tentative essaye de travailler le discours du personnage de Violeta, et pourrait à la fois servir de fin alternative ou s’intégrer en fragments plus tôt dans la pièce.)

Violeta :

Il faut retourner à Valparaiso. Valparaiso c’est joli, il y a les murs et les fleurs, les ascenseurs roulent toujours. C’est une ville de poètes, Valparaiso, couchée en plis sur la colline. Les étudiants étaient tous un peu poètes à cette époque-là, sinon ils l’auraient brûlé, ce journal… ou ils seraient restés chez eux. Mais maintenant Valparaiso, c’est plus calme, il faut y retourner… J’aimerais y retourner. Maintenant je vis ici, ça fait longtemps, les gens sont aussi un peu poètes parfois, pas tous, et pas de la même poésie non plus. Vous savez, on me dit souvent que j’ai le même nom que Violeta Parra, la chanteuse de Gracias a la vida. Elle aussi elle a vécu en Suisse, mais elle en est repartie. Plus poète que l’amour, peut-être. Des jours, vivre ici c’est añoranza, mais Valparaiso c’est añoranza aussi. Il faut retourner à Valparaiso mais Valparaiso c’est loin. Ils ont dû repeindre les murs, les poètes, je pense. Ils sont encore là-bas tous. Ils ont les mots, eux. Ce poème que je vous ai montré, c’est d’un poète de là-bas, moi je ne peux que le lire ici. Le papier est tout jaune maintenant.

Karim (qui a pris la place d’Alice derrière la petite table) :

On m’a montré une photo de ce poète une fois, elle était jaunie elle aussi. (Le personnage de Karim n’est pas supposé l’avoir vu, mais le comédien était présent dans l’espace au moment du cours de Scott Bloom.)

Violeta :

Les poètes aussi ont les dents jaunes. (Rires) Le jaune c’est la couleur de l’or et des couronnes, c’est sans doutes pour cela que c’est aussi la couleur du passé. Valparaiso, à l’époque, c’étaient des couleurs, Pinochet en photo c’est jaune, ou gris. C’est terrible pour un poète d’être si étroitement lié à la dictature. Un poète de Valparaiso, c’est un enfant des lumières et de la côte pacifique. Il faut retourner à Valparaiso, aujourd’hui ce n’est plus sépia, c’est solaire. Mon fils m’a trouvé une nouvelle photo de Valparaiso en couleur l’année dernière, c’est beau. La seule que j’avais pendant des années était aussi une vieillerie jaunie, ma Valparaiso au passé. Maintenant je respire à nouveau. Pinochet est parti, un jour je demanderai à mon fils de porter des bouquets sur la tombe des poètes des photos jaunes ou grises, les remettre en couleur.

(Sons de musique chilienne à bas volume)

Ce Martinez à la Croix-Rouge que vous avez trouvé, il a l’air sympathique, il écrit de beaux poèmes lui aussi. Et la Croix-Rouge… il doit être gentil. C’est bien de votre part de le mettre dans votre pièce, de ne pas l’oublier. Le pauvre, il doit se sentir bizarre. C’est surprenant qu’il ne soit jamais allé au Chili. Avec ses poèmes je l’aurais bien imaginé manifester à Santiago avec les autres, cet autre poète.

Fabien :

C’est pourtant le même !

Violeta :

Je ne sais pas, ce sont ses mots, mais tous ceux qui les ont connus se les sont réappropriés. Ni Martinez ni Martinez en fait. C’est une manchette de journal, c’est un cri, c’est le retour des fleurs, ce sont des mots vous savez. Il leur en a fait don malgré lui. Il leur. Donné un voyage vers l’ailleurs et à moi il me ramène encore mon pays.

Karim :

Qui ?

Violeta :

Martinez… Je ne sais plus ce que je disais, je ne sais plus où je voulais en venir. C’est loin les souvenirs, Genève, la Sorbonne, Pinochet. Qu’est-ce que je racontais déjà ?

Karim :

Vous clôturiez notre spectacle. (Fin des sons de musique chilienne)

Violeta (Lent fade out):

Ah oui, c’est ça ! Je disais qu’il faut retourner à Valparaiso. Valparaiso c’est joli, il y a les murs, les fleurs, les ascenseurs qui roulent de haut en bas. Ils semblent toujours ne faire que monter. C’est une ville de poètes, Valparaiso, couchée en plis sur les collines, les étudiants étaient tous un peu poète à cette époque-là, les étudiants plus âgés aussi. Ils me manquent. Il faut y retourner à Valparaiso. Vous savez, il paraît que j’ai le même prénom que Violeta Parra, la chanteuse de Gracias a la vida. Elle aussi elle a vécu au Chili, peut-être à Valparaiso si ça se trouve, puis elle est partie. Trop poète pour rester peut-être. Ne pas être là-bas, c’est añoranza, y vivre des jours c’est añoranza. Être un poète c’est beau, c’est pour ça qu’il faut retourner, toujours, à Valparaiso.