Bord de scène

Par Théo Krebs

Ce texte est une création libre inspirée par le spectacle :

Tous les poètes habitent Valparaiso / Texte de Carine Corajoud / Conception et mise en scène par Dorian Rossel / Cie Super Trop Top / La Grange (Lausanne) / du 07 au 12 mars 2023 / Plus d’infos.

© Daphné Bengoa

Aurélie. –  Et comment finit la pièce ?

Jean-Louis (le  faux). – La pièce finit comme ça.

Aurélie quitte Jean-Louis et reprend sa place sous la chaise où elle dialoguait avec Violetta. La lumière baisse et la voix de la Chilienne retentit.

Violetta. – Oui, oui, Valparaiso était une ville parfaite pour les poètes avec ses vieux ascenseurs et toutes ses couleurs. Oui, je crois que c’était facile de devenir poète à Valparaiso.

La lumière tombe doucement sur le plateau, les applaudissements retentissent dans la salle. Alors que le public s’apprête à descendre, entre le metteur en scène.

Le metteur en scène. – Voilà, je vous remercie pour tous vos applaudissements, mais je vous invite à rester encore un moment pour un bord de scène, car nous avons ce soir le plaisir d’avoir avec nous le vrai Jean-Louis ! Et puis, si cela ne vous intéresse pas, n’hésitez pas à vous en aller, on ne va pas vous obliger à rester.

Le public continue à sortir, mais certains spectateurs restent pour assister au bord de scène. Le metteur en scène attend seul et Jean-Louis n’arrive toujours pas.

Premier Spectateur. – S’il met si longtemps à venir, je ne sais pas si on a bien fait de rester.

La Spectatrice. – Imagine qu’il ne vienne pas et que cela fait encore partie du spectacle.

Premier Spectateur. – Dans ce cas, je dirais qu’ils auraient mieux fait de finir à la scène d’avant, tout simplement, parce que là, ça commence à devenir long.

La scénographe (rôle muet) et la dramaturge entrent et se placent aux côtés du metteur en scène.

Le metteur en scène. –  Voilà, alors Jean-Louis met un peu de temps à arriver, mais je peux d’ores et déjà vous présenter Carine qui s’est occupée de l’écriture, et de la mise en dialogue de notre texte ainsi que Delphine qui s’est occupée de… (il hésite) de la mise en scène. Oui, je crois qu’on peut dire ça.

Pendant que le metteur en scène parle, le Jean-Louis en question entre à son tour.

Le metteur en scène. – Et puis, les comédiens ne vont pas tarder, ils se changent seulement, boivent un peu d’eau, et caetera, vous vous doutez que ce qu’ils viennent de faire était fatiguant. (Il aperçoit Jean-Louis.) Ah ! Et voilà Jean-Louis ! Comment vas-tu ?

Jean-Louis ne répondra pas. Dès que le metteur en scène termine sa phrase, des applaudissements retentissent. Jean-Louis effectue quelques petits saluts avant de mimer des gestes de gêne.

Jean-Louis. – Non, non, arrêtez, je ne mérite pas tous ces applaudissements. Moi je n’y suis pour rien, j’ai seulement vécu ma vie. Et il se trouve que, par chance, il y avait de quoi en faire une pièce de théâtre. Mais réservez vos applaudissements aux comédiens et à l’équipe artistique.

Il lance lui-même les applaudissements, suivi par le public.

Le metteur en scène. – Bon, eh bien, je vous propose de vous laisser parler. Peut-être, tout simplement, en vous laissant la parole. Je ne sais pas si vous avez des questions ?

Premier spectateur. – Vous êtes vraiment le vrai Jean-Louis ?

Jean-Louis. – Évidemment. Et toute la pièce est inspirée de ma vie. Je suis moi-même allé au Chili, j’ai rencontré la veuve de Juan Luis Martinez – le chilien – j’ai également rencontré sa fille, et… je ne sais pas si on peut le dire…

Le metteur en scène. – Oui, vas-y seulement.

Jean-Louis. – Bon, voilà, on ne l’a pas mis dans la pièce parce qu’on s’est dit que c’était un peu trop gros, mais quand je suis allé au Chili rencontrer la famille de Juan Luis, au moment de partir, j’étais avec sa fille, je suis rentré dans le métro et alors que les portes se fermaient entre elle et moi, elle m’a dit : « Adieu papa ». Bon alors, on ne l’a pas mis, parce que oh, ah, hein, bon !

La spectatrice. – Et comment avez-vous entendu parler de cette folle histoire ?

Jean-Louis. – En fait, je ne suis pas le seul personnage… la seule personne… enfin, vous comprenez que c’est compliqué… disons que le personnage de Jean-Louis n’est pas le seul personnage inspiré par de véritables personnes, et c’est la personne qui a inspiré le personnage de Scott Bloom qui m’a contacté, comme dans la pièce… Cette histoire est tout de même une histoire assez folle, avec encore bien des points d’ombres, même après avoir rencontré la famille de ce Juan Luis.

Deuxième spectateur. – Moi je voulais avant tout vous féliciter, c’était vraiment très bien comme pièce, vraiment très intéressant, et je me posais une question sur… comment dire, excusez-moi, j’essaie d’organiser mes idées en parlant. Oui, voilà, on sait que Juan Luis Martinez est un poète très exigeant, très expérimental, on a par exemple retrouvé un de ses recueils de poèmes plein de collages de différentes œuvres qui n’étaient pas les siennes, dans une sorte d’interrogation constante sur la place de l’auteur et sur son identité, d’ailleurs, je trouve que vous rendez vraiment très bien compte de ce prisme dans la pièce, et voilà, je me posais une question, notamment par rapport à l’enregistrement que vous présentez dans la pièce qui a l’air d’être un véritable témoignage d’une Chilienne sous le régime de Pinochet, et je trouvais un peu bizarre que ce grand poète exigeant qu’est Juan Luis Martinez ait été comme ça mobilisé lors des révoltes chiliennes. Alors voilà, je me demandais quelle était la réaction des personnes que vous avez pu interroger quand vous leur parliez de ce poème.

Le metteur en scène. – Il faut dire qu’on a peut-être un peu exagéré l’importance de ce poète.

La dramaturge. – Pour être honnête, beaucoup des Chiliens et Chiliennes que l’on a pu interroger pour préparer la pièce n’avaient jamais entendu parler de ce poète, et…

Le comédien et la comédienne reviennent sur scène. Le Deuxième spectateur coupe la dramaturge.

Deuxième spectateur. – Et je me posais une autre question. Sur votre méthode de travail. C’est-à-dire, est-ce que vous travailliez à partir d’improvisation, est-ce c’est une sorte d’écriture collective, de plateau, ou… ?

Jean-Louis. – et bien, déjà, ils travaillaient à partir de ma vie…

Le metteur en scène, le coupant. – que l’on a mis en chaîne et qu’on a organisée, si je puis dire. C’est un peu à ça que sert le théâtre, pas vrai ? La vie c’est un grand flou – et c’est vrai que le début de la pièce rend un peu cette impression également – mais au théâtre, on organise au moins un tout petit peu. On a essayé d’organiser un peu ce grand fatras. Et peut-être, je l’espère, peut-être a-t-on réussi un tant soit peu à lever ce grand voile de brouillard qui trainait sur notre histoire et qu’on a mis des petites cases ici et là.

La spectatrice (au Premier spectateur). – Il n’a pas répondu…

La dramaturge. – Et pour répondre un peu plus clairement à votre question, on est arrivés, avec Dorian, aux répétitions, avec déjà des scènes écrites et un grand squelette, mais on a également fait beaucoup de recherche avec les comédiens et comédiennes.

La comédienne. – Par exemple, on a improvisé beaucoup de scènes entre Scott et sa directrice de thèse, mais finalement, on n’en a presque rien gardé.

Le comédien. – Il y a encore des questions, ou on va boire des coups ?

Le troisième spectateur s’apprête à poser une nouvelle question, mais est coupé par le comédien.

Le comédien. – Pas de réponse ? Très bien ! Dans ce cas, on va boire des coups !