La vie, c’est une grande suite de rencontres

Par Isabelle Fasnacht

Une critique sur le spectacle :

Ainsi va la vie / Texte et mise en scène Samuel Perthuis / Théâtres Les Halles Sierre Hors-les-murs / du 22 mars au 2 avril 2022 / Plus d’infos.

© TLH Sierre

Le comédien et metteur en scène Samuel Perthuis, diplômé de la Manufacture, s’intéresse à la découverte de l’intime et de la personnalité par le biais de l’exploration participative d’un lieu de vie – en l’occurrence, l’intérieur d’une maison –, réitérant ainsi l’expérience qu’il avait proposée dans son projet de master « Ce matin, je me suis remise à vivre » (2020). Dans « Ainsi va la vie », trois spectateur.rices à la fois se promènent dans un appartement en écoutant le récit de Blanche Jacquemin, aimable retraitée sierroise qui se croit toujours en 2012. Un spectacle très touchant qui aborde les thèmes de la vieillesse et du lien humain, tout en renforçant notre propre capacité à développer ce lien.

Je reçois un casque relié à un petit Ipod dans une pochette, des instructions simples (rien à faire du côté technique, tout est réglé) et suis prévenue que les deux autres spectatrices et moi ne suivrons pas exactement le même parcours – tout le reste est à découvrir et expérimenter avec l’aide de notre hôtesse fictive. Et pour cause, avant même de passer sa porte, c’est la voix de Blanche (jouée par Véronique Mermoud) qui accueille les invitées en nous enjoignant de sonner pour qu’on nous ouvre ! Elle me proposera ensuite très vite des chaussons en m’indiquant précisément où ils se trouvent – « vous serez certainement plus confortable, enfin, je ne vous force pas… », mais ne voit pas d’inconvénient à ce que je garde mes chaussures. Un peu interdite, je quitte mes baskets pour me mettre dans l’ambiance mais n’ose pas toucher aux chaussons.

C’est une fois installées au salon que Blanche nous raconte (à toutes les trois, sans doute) des évènements de son passé ainsi que de nombreuses petites anecdotes de sa vie quotidienne actuelle. Elle se perd un peu dans les dates et les noms mais fait de son mieux pour nous transmettre ce qui compte pour elle et que l’on se sente bien accueilli.e. Bien sûr, elle n’est physiquement pas dans la pièce avec nous, mais on finit par oublier ce détail et ne jamais douter de sa présence : quand elle m’aide à jouer à une partie de scrabble, disposée sur la table entre nous trois, j’ai l’impression qu’elle est penchée par-dessus mon épaule pour lire mes lettres et réfléchir avec moi.

Je l’accompagne ensuite de pièce en pièce, au fil de ses paroles. Elle veut me montrer beaucoup de choses, m’en donner d’autres, et me demande parfois mon aide pour des petites tâches. J’ai l’impression d’écouter une grand-mère que je n’ai pas connue, d’être sa petite-fille à qui elle raconterait une énième fois les mêmes histoires de famille alors que je les découvre pourtant à l’instant. Je vis ses joies mais aussi ses peines, et un thème plus sombre se dessine d’indice en indice : atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle est très consciente de sa propre fin tout en étant face à l’inconnu. Lucide, elle me parle des dispositions qu’elle pense prendre.

L’appartement est aménagé jusque dans les moindre détails – chaque titre de livre, chaque meuble, chaque décoration construit le personnage de Blanche. J’ai ressenti une grande impression de familiarité tant les pièces semblaient vivantes, avec de nombreux objets laissés comme en cours d’utilisation – jeux, livres, ustensiles de cuisine, boîtes de thés. Et pourtant, c’est aussi une sorte d’arrêt sur image constant : les pièces sont immobiles, vides de vie humaine, excepté les trois nôtres et la présence silencieuse d’une invitée supplémentaire qui remet les choses en place après notre passage. C’est nous, en tant que spectateur.rices, qui peuplons cet appartement, et pourtant nous nous en savons étrangement détaché.es, petites âmes venues d’un temps autre que celui de Blanche.

Contrairement à certains autres spectacles « avec casques » dans lesquels ceux-ci, bien que connectés, tendent à éloigner le.a spectateur.rice d’une sensation de communauté en l’isolant des autres, ici, on a bien conscience dès le début de n’être pas nombreux.ses mais on se rapproche d’autant plus. Les trois personnes ne suivent pas le même parcours mais vivent des expériences similaires et surtout construisent ensemble les scènes : guidé.es par Blanche au creux de l’oreille, chacun.e place son mot au scrabble, sert le vin à l’apéro, inspire l’autre à se lever pour regarder un objet. La synchronisation des trois audios est si fine que nous nous croisons parfois à peine, avant de nous retrouver une pièce plus loin pour une sorte de « scène d’ensemble ». La beauté de ce spectacle réside enfin dans sa capacité à favoriser l’échange et l’ouverture : à la fin de l’expérience, nous avons tout d’abord retrouvé le metteur en scène et la scénographe, avec qui nous avons pu discuter très librement, poser de nombreuses questions et partager nos expériences. À la sortie enfin, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer mes deux co-participantes, avec qui la conversation a été particulièrement agréable, drôle et émouvante, tant nous avions ce soir été habituées à partager les réflexions les plus intimes sans gêne ni barrière. Humainement comme techniquement, ce spectacle est capable de toucher et connecter des spectateur.rices différent.es tout en sensibilisant à des thèmes importants.