L’encre voyageuse

Par Brian Aubert

Hiver à Sokcho/ D’après le roman de Elisa Shua Dusapin/ Mise en scène par Frank Semelet / Le Spot Sion / mardi 25 janvier 2022 / Plus d’infos.

© Yann Becker

Cinq ans après sa publication et quelques mois après avoir été le lauréat du National Book Award, le premier roman de la franco-coréenne Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho, voit le jour sur les planches. Après le Spot, à Sion, c’est au Théâtre de Beausobre, le 8 mars, et au Théâtre Populaire Romand les 10-11 mars que se présentera la pièce, avec Isabelle Caillat, Frank Semelet et Pitch Comment. Un voyage sensoriel à travers l’encre de l’auteure et de l’artiste-dessinateur.

Sokcho. Corée du Sud. Pension du vieux Park. Hiver. Une jeune femme franco-coréenne (Isabelle Caillat), employée de la pension, est en couple avec un futur mannequin, Jun-oh. Un jour, un auteur de bande-dessinée français, Yan Kerrand (Frank Semelet), fait intrusion dans le quotidien banal et machinal de la jeune femme dans cette ville portuaire déserte, en y restant quelques nuits pour trouver de l’inspiration. Un jeu du chat et de la souris se développe entre ces deux êtres solitaires, intrigués par l’un et l’autre, mais jusqu’où ?

L’artiste-dessinateur Pitch Comment, assis sur scène devant une tablette, dessine en live des illustrations projetées sur une énorme toile blanche située au milieu du plateau. Réception de la pension. Plage. Mémorial de guerre. Buanderie. Tant de dessins qui servent de décor en toile de fond, celle-ci devenant même, parfois, l’unique source d’éclairage, une lumière blanche, comme une luminothérapie pour supporter l’hiver glacial de Sokcho. Un lien se tisse entre les deux individus et les dessins nous donnent accès à l’intériorité de la jeune femme. Est-ce un fantasme ? De l’amour ? Du désir ?

Petit à petit, l’encre prend vie. Elle bouge. Elle adopte la couleur. Et l’histoire se dessine, au rythme de musiques électro-pop qui envahissent la salle. L’œuvre de Dusapin est amplifiée, sensoriellement. L’adaptation réussit à créer une symbiose hypnotique entre la musique et les visuels, pour nous faire vivre une expérience, par moments réaliste, par d’autres, onirique. Or, plus que la relation entre la jeune femme et le Français, plus que les personnages sur scène qui deviennent presque des clichés de ceux du roman, c’est avant tout une atmosphère qui nous emporte. Une atmosphère planante, aux touches mélancoliques, nous transportant chaleureusement dans un monde aux émotions dissimulées, au froid engourdissant. Même si les mots de l’auteure, au faible impact émotionnel, peinent à s’ancrer dans nos cœurs, la mise en scène les insuffle d’une vie nouvelle. C’est en les liant aux dessins de Pitch Comment que leur encre a de quoi plonger la salle dans une ambiance, celle d’un hiver à Sokcho. Musique. Un doux parfum de soupe aux nouilles se faufile lors des derniers applaudissements. Un morceau de Corée nous attend dans le foyer du théâtre.