Here and rire…

Par Johanna Codourey

Une critique sur le spectacle :
HERE AND NOW / Création et mise en scène de Trân Tran / TLH – Sierre / du 8 au 10 octobre 2020 / Plus d’infos

© Trân Tran

Dans un cadre qui rappelle les jeux vidéo, Trân Tran – prononcé /tian-tian/ – propose une création partiellement improvisée au théâtre Les Halles de Sierre. Reprise du stand up du même nom créé par Ellen Degeneres, le spectacle, par la parodie et le recours à différents supports, dénonce les discriminations liées au genre et à la sexualité.

Sur une scène composée de deux espaces distincts – un cercle de la taille de la comédienne et un grand rectangle, marqués au sol par une bande blanche – Trân Tran, artiste vietnamienne, présente un spectacle au rythme très contrasté. À l’aide d’un écran géant placé en arrière-scène, de cartons disposés en tas côté cour, d’une voix off (qui sera la seule voix de la pièce), et d’une comédienne en complet noir matérialisant l’ombre de l’artiste, Trân Tran, silencieuse, élabore une pièce aux allures de jeu vidéo dans laquelle le spectateur est libre de choisir les scènes qu’il veut voir représenter : son mode de jeu. Un ensemble de propositions, présentées comme relevant de trois niveaux de jeu, permet au spectacle de prendre vie en fonction des choix. Sous la forme d’improvisations (tout de même bien balisées), la pièce se veut plutôt légère et divertissante même si l’artiste insère, ça et là, quelques réflexions sur le genre – la condition féminine par exemple – en retraçant notamment l’histoire du clitoris au cours d’une brève saynète.

La pièce débute par une petite autobiographie à la tonalité parodique, avec, notamment, la présentation des proches de Trân Tran par le biais d’une vidéo de leurs fêtes un peu loufoques : six membres de sa famille réalisent une petite chorégraphie traditionnelle vietnamienne au bord du lac Léman, avant d’entonner un chant en espagnol dans des déguisements traditionnels mexicains, et de finalement parodier la célèbre chanson de La Reine des neiges « Libérée, délivrée ». La comédienne donne donc tout de suite le ton de la pièce et le public est déjà charmé – ou plutôt hilare. Une création aux airs de show télévisé du dimanche soir, dans laquelle l’artiste caricature constamment la culture populaire et artistique de ces dernières années, comme par exemple le cirque ou certaines mises en scène déjantées à l’instar de la Conquête de l’inutile d’Oscar Gomez Mata.

C’est ensuite au tour du public d’entrer graduellement dans le jeu sur la base d’une question posée dès l’introduction, simple mais essentielle à l’existence du théâtre : pourquoi sommes-nous, spectateurs, venus voir cette pièce ce soir ? Des propositions, variées, sont affichées sur l’écran du fond pendant que la comédienne attend côté jardin dans son petit cercle, avec un sourire niais dans un mouvement répétitif de marche sur place qui s’accélère au fur et à mesure que sont proposés différents “niveaux” de réponses.  Le spectateur est lui aussi de plus en plus sollicité : au niveau un, il est spectateur-observateur, choisissant de « ne pas tout comprendre », de « découvrir une histoire », ou encore « d’être surpris ».  Dès le deuxième niveau, il participe activement au déroulement de la pièce, en criant, suivant les consignes de la voix off, s’il veut signaler qu’il est venu pour « soutenir les artistes ». Dans le dernier niveau, la comédienne accorde sa confiance au public entier qui, par deux fois, est amené à la guider dans l’espace, notamment grâce à des bruits prédéfinis du type « yipii, woopwoop ». À tous les niveaux, c’est tantôt la comédienne elle-même qui se meut dans la zone centrale, tantôt le personnage représentant son ombre qui prend place dans le rectangle blanc ; quelquefois la régie assombrit l’espace du public, mais plus souvent, elle laisse les projecteurs allumés, affaiblissant le quatrième mur et incitant à un plus grand investissement des spectateurs.

À travers ces petites scènes, qui durent parfois quelques secondes seulement, la comédienne sollicite surtout les émotions du spectateur, majoritairement son rire, mais aussi sa tristesse. C’est le cas lorsqu’elle joue l’option : je suis venu au théâtre ce soir « pour voir quelqu’un pleurer ». Trân Tran pleure alors sur scène, dans son cercle, en regardant son ombre danser sur une musique mélancolique et entraîne avec elle les larmes du public qui laisse un temps, une fois la chanson terminée, avant de reprendre le jeu et de choisir une nouvelle proposition. C’est le cas aussi lorsque la voix off raconte quelques anecdotes autobiographiques de l’artiste, comme sa frustration et son sentiment d’être désemparée face aux violences gratuites qu’elle subit à cause de son orientation sexuelle ; celles-ci lui permettent de revenir sur l’une des thématiques centrales du spectacle, un peu laissée de côté dans la plupart des autres «improvisations ».

Le spectateur, entre deux éclats de rire, montant de niveaux, tend peut-être à se demander où compte nous emmener la comédienne et ce qu’elle veut signifier à travers ce spectacle. Mettant fin au jeu vidéo, Trân Tran reprend alors place dans le rectangle et la voix off expose soudainement les raisons qui l’ont menée à un tel projet. Enchaînant très rapidement les allusions – Stone Wall, les femmes trans noires, Boys don’t cry, et bien d’autres – elle mentionne l’influence d’Ellen Degeneres, exclue d’une émission pour son homosexualité. Suivant la philosophie de cette humoriste américaine, Trân Tran tente ainsi d’aborder la cause des minorités LGBT+ et des femmes « avec le sourire » plutôt que par le « tragique » qu’elle trouve trop commun.

Son message est donné : « Be kind to one another » lance la voix off à un public censé, à la fin de la représentation, s’offrir un peu d’amour – bien sûr, pas en se prenant dans les bras comme l’aurait désiré l’artiste (et comme l’annonce l’écran), mais en portant des lunettes placées sous les sièges, qui diffractent la lumière de manière à créer des cœurs sur toutes les bougies et guirlandes présentes désormais sur la scène.

Bien que l’explication détaillée de sa démarche, dans la scène finale, rende le propos de la pièce un peu rebattu, le spectacle offre un merveilleux instant de joie et de détente. La meilleure explication de notre présence à cette pièce, parmi toutes les propositions possibles, pourrait être simplement : pour passer un bon moment.