Sur les flots de la mélancolie

Par Judith Marchal

Une critique sur la captation du spectacle :
Seule la mer / D’après le roman d’Amos Oz / Adaptation par Marie-Cécile Ouakil et Denis Maillefer / Mise en scène par Denis Maillefer / Disponible sur le site de la compagnie, URL : http://www.theatre-en-flammes.ch/category/spectacles/seule-la-mer/ et sur Viméo, URL : https://vimeo.com/channels/251961/89480546

© Catherine Monney

Alors que les théâtres espèrent pouvoir rouvrir leurs portes à la fin de l’été, les captations de spectacles accessibles en ligne permettent aux spectateurs de patienter jusqu’à la saison prochaine. Le spectacle Seule la mer se trouve sur la toile depuis plus de six ans. C’est en 2014, en effet, que le metteur en scène Denis Maillefer adaptait au théâtre le roman de l’auteur israélien Amos Oz. 

Sur une scène située en hauteur et découpée en « cinémascope », sept personnages se tiennent debout, face public. Ils s’apprêtent à rejouer des bribes d’existence qu’un narrateur, omniprésent et bienveillant, tressera ensemble (Pierre-Isaïe Duc). Tous les acteurs effectuent à vue le montage du spectacle en déplaçant des panneaux qui coulissent en bord de scène. Ce dispositif scénographique (conçu par Yangalie Kohlbrenner) permet de modifier à tout instant le cadre de scène, ouvrant des fenêtres comme autant de champs et de hors-champs, troublant la vision parfois par des stores à lamelles.

L’histoire prend place dans la ville de Bat Yam, en Israël. Albert Danon (Roberto Molo), un homme d’une soixantaine d’années, se retrouve seul après la disparition de Nadia, sa femme, emportée prématurément par la maladie. Néanmoins, Nadia (Anne Alvaro) vient parler en très gros plan, triste et sereine, grâce à des projections vidéo. Albert et Nadia ont eu un fils, Rico (Cédric Leproust), parti au Tibet pour trouver un sens à son existence suite à la mort de sa mère. Il laisse derrière lui une amoureuse volage, Dita (Caroline Imhof), qui décide d’emménager chez Albert avec qui elle développera une relation ambiguë. La situation déplaît à Bettine (Jacqueline Corpataux), une voisine esseulée qui convoitait Albert. À ce tableau s’ajoutent le superficiel Guigui (Baptiste Morisod), meilleur ami de Rico et amant occasionnel de Dita, un producteur de cinéma véreux (Joël Maillard) et Maria (Léa Pohlhammer), une prostituée pleine de sagesse que Rico rencontre à Katmandou. Tous ces êtres brisés soufflent sur les braises de leur désir d’aimer et de vivre.

D’une beauté rare, la scénographie est accompagnée par un travail époustouflant de la lumière et des projections (Laurent Junod) – qu’on regrette de ne pouvoir admirer qu’à travers un petit écran. La scène semble ainsi transportée tantôt sur les sommets de l’Himalaya en pleine nuit, tantôt au milieu d’une soirée d’été au Nord d’Israël. Parfois, l’ouverture de scène est entièrement occultée par les volets et laisse place à un vaste paysage désert. Malgré la détresse des personnages, une grande quiétude domine le plateau, entretenue par Nadia et par le narrateur, renforcée par la chanteuse lausannoise Billie Bird qui, située hors du cadre de plain-pied avec la salle, laisse flotter sa voix suave sur quelques notes jouées au piano ou à la guitare. Il est vrai que toutes ces médiations visuelles et sonores parviennent à estomper la médiocrité des personnages et les spectateurs se livrent à l’indulgence en reconnaissant, dans leurs actions discutables, les traces de leur propre détresse.

Seule la mer est un roman empreint de mélancolie que Denis Maillefer a parfaitement su matérialiser sur la scène théâtrale. L’origine littéraire du spectacle est subtilement manifestée par les phrases projetées qui introduisent chacune des courtes séquences qui s’enchaînent avec le rythme des vagues qui se succèdent sans fin sur un rivage.