Refléter des vices de la société

Par Judith Marchal

Une critique sur le spectacle :
La Fausse Suivante / Texte de Pierre de Marivaux / Mise en scène de Jean Liermier / Théâtre de Carouge / du 3 au 29 mars 2020 / Plus d’infos

© Carole Parodi

Le directeur du Théâtre de Carouge Jean Liermier se replonge dans l’univers de Marivaux et propose une Fausse Suivante. Sans en faire trop, la mise en scène se veut actuelle et efficace.

Quelle ironie d’ouvrir ce spectacle sur les célèbres paroles de Jacques Brel « Quand on a que l’amour à s’offrir en partage » diffusées par une vieille radio rouge. Il faut dire que la comédie de Marivaux parle d’amour, certes, mais pas sous ses plus belles facettes. Dans cette œuvre parue en 1724, il est avant tout question de manipulations, de trahisons et de cupidité.

Jean Liermier est un adepte du dramaturge français du XVIIIe siècle. A la suite d’une première rencontre avec Marivaux avec La Double Inconstance en 1999 à Carouge, il monte Les Sincères à la Comédie-Française en 2007. Une année plus tard, lorsqu’il prend la tête du théâtre carougeois, c’est avec Le Jeu de l’amour et du hasard qu’il marque son entrée. Après plus de dix ans passés sans son interlocuteur privilégié, Jean Liermier déclare avoir « éprouvé le désir de re-compagnonner avec Marivaux, mon contemporain universel ».

Et on ne regrette pas de voir renouer les deux hommes. Avec une mise en scène qui actualise la fable, Jean Liermier offre une actualisation subtile de La Fausse Suivante. Les costumes conçus par Rudy Sabounghi laissent planer une certaine incertitude temporelle, pouvant aussi bien évoquer les années 1950 qu’aujourd’hui. Les hommes sont en costume et long manteau, la comtesse en jupe mi-longue, collier de perles et pulls en cachemire dont les couleurs changent au fil des scènes.

Le public assiste ainsi aux fourberies de Lélio (Baptiste Gilliéron), qui s’est engagé contractuellement à épouser la Comtesse (Brigitte Rosset), une femme maniérée et sensible. Lorsqu’il apprend l’existence d’une « demoiselle de Paris », bien plus jeune et surtout bien plus riche, il cherche un moyen de rompre son engagement sans avoir à payer les dix mille livres de dédit prévus. Il ignore alors que le Chevalier (Rebecca Balestra), avec lequel il s’est récemment lié d’amitié, n’est autre que cette fameuse demoiselle, déguisée en homme pour l’observer tout à loisir. Au milieu d’un décor épuré, s’enchaînent alors les quiproquos sur fond de mensonges entre ces riches oisifs et leurs domestiques, allant du valet Arlequin (Pierre Dubey), au serviteur du chevalier Trivelin (Christian Scheidt). La scénographie propose une simple pièce aux murs nus – une boîte blanche – qui, pourtant, change drastiquement d’ambiance grâce aux lumières de Jean-Philippe Roy qui attribue à chaque acte sa couleur. L’ajout d’un meuble suffit par ailleurs à suggérer un changement de lieu. Il faudra attendre la dernière demi-heure pour que le château de la Comtesse s’ouvre sur une belle forêt de bouleaux enneigée, jusque-là suggérée au lointain.

Jean-Pierre Gos, présent au début dans le rôle de Frontin, apparaît ensuite furtivement, dans les intermèdes récités ou chantés. Ailes d’ange dans le dos et guitare à la main, il regarde, l’air perdu, les techniciens – visibles à plusieurs reprises – démonter le décor. Peut-être une manière de montrer la désillusion d’un Cupidon vieillissant face au délaissement des sentiments amoureux au profit de l’argent ? Bien que le thème soit sombre, le texte plein d’esprit de Marivaux et les traits comiques attribués à certains personnages, comme à la Comtesse et à Trivelin, déclenchent des vagues de rires dans les gradins. Avec ses six comédiennes et comédiens, Jean Liermier rend justice au texte du Marivaux en montrant que, trois cents ans plus tard, ce dernier garde toute sa pertinence en se faisant le reflet d’une société dont l’opportunisme et l’égocentrisme trouvent, auprès du public, une résonance malheureusement trop évidente. On pourrait déplorer l’apparition finale du chevalier sous son « vrai visage », celui de la « demoiselle de Paris » dont la féminité est manifestée par une robe très courte et des talons aiguilles – à moins que le metteur en scène ne suggère que le personnage ne fait que changer de déguisement…