Anti-charisme opérant et autres tribulations au travers d’une représentation

Par Océane Forster

Proposition de critique créative sur le spectacle :
Imposture posthume / Texte, mise en scène et jeu de Joël Maillard / Arsenic – Centre d’art scénique contemporain / du 26 au 31 mars 2019 / Plus d’infos

© Gregory Batardon

Tu es déjà en scène quand le public fait son entrée. Tu verras tu vas être surpris parce que ce n’est pas très souvent qu’on en fait l’expérience dans un théâtre, mais la présence d’un comédien ne suffit pas au silence. Tu vas expérimenter par ta corporalité, à quel point une entrée de comédien sur scène est acméïque et comme ton ethos en prend un coup face à l’aréaction générale du public, qui pourtant est venu ce soir jusqu’ici pour te voir jouer, à ta coprésence, rendue banale par l’anéantissement d’un point P qui aurait sûrement cristallisé le fracas de ton entrée.

Toi, malin, tu vas jouer avec cet anti-évènement, puisque tu ne vas rien faire pour empêcher ton anti-charisme d’opérer. Tu ne vas pas te nimber de lumière, elle aussi va jouer le dédain avec toi, tu ne vas pas occuper le centre du plateau, tu ne vas pas forcer le contact avec les gens du premier rang. Et tu vas voir, je sais que pour l’instant tu n’y crois pas encore, mais tu verras sur le moment, les gens, et ce malgré la présence dont tu feras acte, les spectateurs n’arrêteront leurs triviales – ou vitales hein, cela dit, ne jugeons pas hâtivement, d’autant que la nature de ces babillages ne change rien à l’affaire – leurs donc plus ou moins triviales sinon existentielles discussions qu’une fois les spots éteints.

Ta performance, alors qu’elle aura pour toi déjà commencé depuis bien 10 minutes, ne commencera dans l’esprit du spectateur qu’au moment du noir.

Ce moment où, et même durant lequel ton scénographe te bénit d’offrir à son travail une si belle exclusivité. Pendant plusieurs secondes, les yeux paresseux du public, qu’il clignera nonchalamment, passivement habitué à se retrouver plongé dans l’obscurité au cours des créations contemporaines de l’Arsenic, ne percevront que la douce luminescence du tube/aquarium étrange et pénétrant en fond de scène. Puis les Pierres de Rosette en polymère solide, transparent, que tu auras dressées en équilibre attireront l’œil qui doucement étendra sa pupille.

Tu n’es pas sans savoir non plus  que l’apparente automisation et la cinétique intimiste conférée au polygone médusal qui flotte de bas en haut à l’avant-scène va provoquer, chez les plus sensibles spectateurs, des tendances à l’animisme, et il ne serait pas étonnant que l’avancée pulsatile de ce polygone des profondeurs soit tout autant, si ce n’est plus, scrutée que le sur-titrage flegmatique sur le mur côté jardin, qui est pourtant un des ressorts comiques de ta pièce, réservé au public bilingue il faut bien se le dire, drôle parce qu’il dit, il actualise, avec un certain laisser-aller, ce que tu fais et énonce sur scène, avec la promesse initiale de traduire efficacement ton texte en anglais, et puis progressivement faillit à cette intention qu’on lui a volontairement attaché dans l’esprit du public qui se laisse, de prime abord, tenter par l’explication d’un ajout d’une dimension internationale qu’apporterait ce surtitrage à ta pièce.

Quand la lumière reviendra, parce qu’il faudra bien faire revenir de la lumière sur ton plateau sinon tu risques de sombrer dans le soporifisme, dans la semi-pénombre tu vas parler, tu vas énoncer, et tu te proposeras de proposer, puisque c’est bien là la visée ton discours artistique, au public qui viendra ce soir te voir jouer cette création que tu as composée spécialement pour un public comme celui-là même qui sera présent dans le noir, un futur composé d’inspirations dystopiques, pseudoscientifiques et cybernétiques, futur que tu as partiellement inventé puisqu’il n’a pas le loisir d’être déjà tout à fait envisagé ce qui est un processus que tu réitères puisque c’est cette même façon d’opérer qui t’as valu, lors de ta précédente mise en scène, d’être titré « futurologue loufoque », futur dont tu esquisses les contours principaux par le truchement d’une fable qui, et c’est plus porteur ainsi, tu le penses encore, a pour protagoniste ton toi du futur, ce qui a pour effet de situer ton hypothèse proleptique dans un étrange intermédiaire entre autofiction et biographie projective. Ce que je dis je te le dis vite, mais c’est pour que tu actualises bien dans ta pensée, que tu mettes d’ores et déjà en avant dans ta tête, que, somme toute,  tu conscientises les enjeux, les tentants et les aboutissants de ce que tu es en train de porter à la scène.