Au-delà des rouages, le temps de l’émerveillement

Par Thibault Hugentobler

Une critique sur le spectacle :
Mécanique V / D’après Georges Feydeau / Conception par Julie Cloux et Matteo Zimmermann / Théâtre Saint-Gervais / du 8 au 17 mars 2019 / Plus d’infos

© Kleio

La Fédération Spontiste s’attaque au genre du vaudeville en adaptant pour sa nouvelle création Mais n’te promène donc pas toute nue ! de Georges Feydeau. La pièce, jouée intégralement, est encadrée par un dispositif qui interroge ses pratiques et dynamiques dramaturgiques. L’œuvre de Feydeau sert donc ici de base expérimentale, d’objet à disséquer pour révéler les artifices du théâtre.

Dès l’entrée du public, à la seule vue de la scène, l’intention de la Fédération Spontiste apparaît limpide. Tout cadre fictionnel est abandonné, toute illusion est refusée : le plateau se présente comme un espace fonctionnel dédié au jeu théâtral. Le décor est à peine construit ou en chantier, voire inachevé, et laisse les coulisses se dévoiler derrière et sur un écran qui accueille une projection en direct des allers et venues des comédien·ne·s. Il y a donc ici dévoilement de la structure même de la matrice théâtrale qui ne génère plus d’illusion, comme nous l’attendrions, qui est en rupture totale avec sa fonction traditionnelle. Au centre de la scène subsiste tout de même un espace qui accueillera le vaudeville, comme une arène, comme une table de dissection au milieu d’un laboratoire dramaturgique.

Même si les quatre comédien·ne·s interprètent d’abord Mais n’te promène donc pas toute nue avec une énergie et une précision époustouflantes, le spectacle tend au fil de son exécution vers une expérimentation. C’est le thème central du vaudeville qui prime ici, plus que la fable : le dévoilement, le dénudement, l’exposition de ce qui doit ou devrait rester caché.

La seconde partie du spectacle donne à voir – et à entendre – une pluralité d’effets techniques stimulant sensiblement la perception du public. Celui-ci est exposé à des variations sonores et lumineuses qui altèrent son ressenti quant à ce qu’il se passe sur la scène. Entre un bleu froid artificiel et un rouge inquiétant, les comédien·ne·s déconstruisent l’espace du vaudeville. L’un se déshabille, l’autre marche, inquiet ; l’un est pensif, abandonné, seul sur un canapé, l’autre souffre de la chaleur – réelle ? – comme Clarisse qui se plaint de la canicule dans Mais n’te promène donc pas toute nue ; l’un explore les angles de vue à l’aide d’une caméra, l’autre réarrange le décor ; l’une tapote de manière compulsive sur une table avant de chanceler puis de sombrer dans l’obscurité.

Comme le suggère le titre du spectacle, se distingue une tentative d’exposer une mécanique, de vaudeville certes, mais aussi du théâtre dans son entier. La pluralité des effets et des artifices est exposée sans forcément trouver une signification singulière. Ainsi, l’articulation du vaudeville, comme forme théâtrale extrêmement réglée, avec une logique de mise à plat des pratiques et des dynamiques dramat(urg)iques entre en conflit avec le besoin carnassier que nous pourrions avoir d’interpréter un geste et de lui donner un sens. A l’image de Clarisse, la Fédération Spontiste dévoile, dénude, révèle un en-dessous, sans que cela constitue un problème dramaturgique, de même que cela ne constituait pas, chez Feydeau, un problème moral. Il ne s’agit donc plus de questionner mais de contempler, d’étudier avec dilettantisme le mécanisme qui régirait tout spectacle. Penser une mécanique, la conscientiser et l’admirer pour ce qu’elle est. Tout comme nous penserions un corps, dans sa beauté nue, sans que ceci ne menace jamais la bienséance réelle ou fantasmée.