En attendant…

Par Amalia Dévaud

Une critique sur le spectacle :
Self-Help / Texte et et mise en scène de Tomas Gonzalez, Rébecca Balestra et Igor Cardellini / Théâtre de l’Usine (Genève) / du 3 au 9 mai 2018 / Plus d’infos

© Cyril Porchet

Avec cette quatrième création, la compagnie K7 Productions met en cause l’une des injonctions véhiculées actuellement par la culture de masse : celle du bonheur. S’inspirant du paradoxe d’un fait divers américain – le suicide d’un couple de coachs spécialisé en développement personnel –  les deux comédiens donnent à voir l’absurdité et l’hypocrisie d’un tel discours.

L’espace scénique est volontairement dépouillé de tout ce qui ne renvoie pas à lui-même, l’unique élément de décor se composant d’une boîte hexagonale aux parois faites de miroirs. À l’instar des personnages sur scène, les spectateurs prennent place face à leur propre reflet. Tomas (Tomas Gonzalez) et Rébecca (Rébecca Balestra) ressemblent étrangement au duo formé par Vladimir et Estragon, auquel ils font d’ailleurs allusion au début du spectacle. Tout comme chez Beckett, ils attendent que quelque chose émerge de leur image, de ce « vide » apparent. Mais quoi ? « Godot ! » s’amuse Rébecca, faisant éclater de rire le public.

« C’est beau cet espace, hein ? » commente Rébecca, tandis que Tomas répond énigmatiquement « l’horizon est mon objet ». L’esthétique du projet repose sur une forme de discontinuité. La scénographie balaie tout repère historique et temporel, et les propos des personnages présentent des incohérences structurelles. L’accent mis sur le vide, sur l’absence de signification, souligne l’irrationnalité des préceptes méthodologiques prônés par le couple de coachs (John Litting et Lynne Rosen) , qui se révèlent en filigrane et sont censés aider découvrir son « vrai soi ». Entre autres perles de drôlerie : « sortir de sa zone de confort, c’est très important, c’est sûr. Mais n’y aurait-il pas une autre possibilité, celle de s’habituer au changement et de faire du changement…sa zone de confort ?! ».

L’objet du spectacle se révèle multiple : à un premier niveau, il s’agit de la retranscription d’une émission radio créée et présentée par John Litting et Lynne Rosen (The Pursuit of Hapiness), centrée sur le développement personnel. Mais ces conseils sont maintenus ici à distance, transposés dans un dispositif théâtral parodique : Tomas se meut en professeur de théâtre aux injonctions loufoques, tandis que Rébecca devient une élève ahurie. À travers, semble-t-il, l’exercice du carré des émotions, Tomas enjoint Rébecca à devenir autre, à imaginer les potentialités que recèle son « soi », jusqu’à lui demander – poussant la logique au bord de l’absurde – de s’imiter elle-même. Cette analogie directe entre le coaching en développement personnel (self-help) et la pratique du jeu d’acteur fait véritablement la force comique du spectacle car elle donne directement à voir l’absurdité des exercices demandés. Elle permet également d’interroger, de façon plus générale, le statut et le rôle de coach. Ce métadiscours permet à la fois de révéler la comédie jouée par ceux qui prétendent connaître la recette du bonheur, et de s’amuser des pratiques mêmes de la formation des comédiens, sous la houlette de  leurs gourous.