La loi de McMurphy, un souffle de liberté

par Cecilia Galindo

Nid de coucou / d’après Ken Kesey / par le Footsbarn Theatre / du 11 au 12 juin 2015 / Théâtre du Jorat / plus d’infos

© Jean-Pierre Estournet
© Jean-Pierre Estournet

Pour deux jours, Randle McMurphy vient semer le trouble au Théâtre du Jorat, transformé pour l’occasion en hôpital psychiatrique. L’idée peut sembler glaçante, mais les personnages de Nid de coucou, incarnés par les comédiens de la troupe franco-anglaise du Footsbarn Theatre, ont su apporter un peu de joie et de chaleur dans cette atmosphère stérilisée. Convaincant et touchant.

« Medication time ! », scande Ratched, l’infirmière en chef rigide et manipulatrice de l’hôpital. Ce refrain ponctue les journées routinières des patients, qui n’osent s’opposer à Ratched. L’imposante femme épie chacun de leurs mouvements, jusqu’à leur respiration. Breathe in. Ils jouent aux cartes pour passer le temps, jusqu’à la prochaine séance de thérapie de groupe. Breathe out. Mais l’ordre établi est ébranlé lorsque McMurphy, ancien détenu et nouveau venu, tente d’imposer sa propre loi, celle de ne pas suivre les règles.

En choisissant de mettre en scène Vol au-dessus d’un nid de coucou, roman de Ken Kesey, la troupe du Footsbarn Theatre quitte ses habitudes : reconnue pour ses adaptations de pièces classiques, notamment celles de Shakespeare (on pourra d’ailleurs découvrir en tournée leur dernière création, The Incomplete Works, un spectacle-cabaret autour des personnages shakespeariens, notamment à Avignon au mois d’août), l’équipe s’attaque à une œuvre plus moderne, qui a marqué le monde du cinéma grâce à la version de Milos Forman.

Nid de coucou, dans la version qu’en propose le Footsbarn, c’est avant tout un univers en marge, presque irréel, où l’esprit du carnaval parvient à s’insérer : la nurse peu sympathique, affublée d’une immense tête faite de carton mâché à certains moments du spectacle, en est un exemple. Le public découvre alors un hall d’hôpital où les patients sont des marionnettes, au propre pour les uns et au figuré pour les autres, les membres du personnel des figures maléfiques masquées, rappelant la commedia dell’arte, et l’espace peut devenir un terrain sans limites. Par des projections vidéo sur une toile translucide amovible, qui permet de quitter quelques instants la lourde réalité de l’hôpital, les spectateurs accèdent tantôt aux pensées des personnages, tantôt à leur virée à l’extérieur de cette « prison des malades », pour une partie de pêche. L’extérieur finit d’ailleurs par s’inviter réellement sur la scène, pour le plus grand plaisir du public : c’est en effet une barque menée par une troupe joyeuse et colorée qui apparaît sur le plateau ! Les comédiens chantent, jouent de la musique – musique live qui est omniprésente durant le spectacle ? et renvoient une image légère, bien loin des murs blancs et tristes du centre psychiatrique. Un instant de bonheur avant la fin tragique.

Pour cette création qui vogue entre le français et l’anglais, un seul bémol : le manque de clarté du discours en anglais du personnage central, incarné par l’excellent Paddy Fletcher. Si sa diction, rapide et peu articulée, correspond bien au rôle, les non-anglophones ne parviendront pas à saisir toutes les répliques et provocations de McMurphy et devront se contenter du langage physique.

Breathe in. Le spectacle est, malgré cela, et malgré le sujet difficile, une vraie bouffée d’air frais insufflée par l’équipe attachante du Footsbarn Theatre, qui mêle agréablement clowneries et tension dramatique. Breathe out. Et l’on retient son souffle durant la scène finale, chargée d’émotions.