La violence en cadence

Par Aline Kohler

Une critique du spectacle :
Valse aux cyprès / de Julien Mages / collectif Division / Théâtre de L’Arsenic / du 26 novembre au 5 décembre 2013

© Victor Hunziker

La nouvelle création de Julien Mages et le Collectif Division, Valse aux Cyprès, se joue jusqu’au 5 décembre 2013 à l’Arsenic à Lausanne. La pièce, une tragi-comédie contemporaine, amène sur scène la violence sous diverses formes et les tourments de notre société contradictoirement individualiste et conformiste. Le thème, extrême, des massacres de masse ne laisse personne indifférent. Et Julien Mages, avec sa volonté de voir l’art comme « miroir social », réussit une belle prouesse avec ses mots et sa mise en scène efficaces.

Dès le début du spectacle, un son électronique, bitonal et régulier, se fait entendre. Le tempo est lancé. Sur scène, par terre, des interrupteurs. La lumière et la musique surgissent à chaque fois qu’un comédien les presse sans ménagement. Les deux éléments rejoignent alors aussitôt le rythme et accompagnent parfaitement le jeu.

Les premiers échanges entre les personnages restent vagues, mais les dialogues et monologues qui s’enchaînent ensuite presque sans répit construisent sur scène un univers de violence et de souffrance humaines. Une fois amorcé, le texte de Julien Mages est composé de longues phrases à virgules à faire perdre le souffle aux interprètes. Les comédiens déclament souvent leur texte dans un rythme effréné, mettant à rude épreuve leurs facultés d’élocution. Une idée scénique séduisante, mais dont l’effet ne se déploie pas encore entièrement, ne parvenant ainsi pas tout à fait à tenir en haleine le public sur la durée.

Ces tirades en cascade, Julien Mages les a voulues entrecoupées de répétitions de mots et même de dialogues. Elles sont aussi parsemées de listes en tous genres, ce qui rythme d’autant plus la pièce. Le public se retrouve entraîné dans cette cadence, sans toutefois – et cela pro<cède d’un choix dramaturgique de l’auteur – se laisser subjuguer par l’histoire. Les personnages, dans leurs courses de malheur et de philosophie, sont parfois interrompus en plein vol, coupés, moqués ou ignorés par les autres. Le spectateur garde ainsi à chaque fois une distance vis-à-vis du récit fictif. Il est toujours ramené à la réalité et forcé de mettre en perspective l’histoire racontée.

Julien Mages évite aussi les effets d’identification du public avec les personnages, qui restent sans noms. A la fin de la pièce, on se souvient davantage des comédiens qui ont interprété les textes que des personnages. Au lieu de s’identifier avec les personnages sur scène, le public a son propre rôle dans Valse aux Cyprès. Il y est défini comme « une masse ». Il fait partie de la société malade décrite et critiquée dans la pièce. Mais ce rôle ne permet que de mieux solliciter les spectateurs et leur faire prendre conscience de la place qu’ils occupent dans le monde actuel.

Le rythme soutenu des textes aide également à renforcer le statut du spectateur engagé. Pour ne pas perdre le fil, le public est presque forcé à prendre part à la pièce. L’effet désiré, transformer un public passif en un public actif, est atteint. Et même si l’écriture exige un certain degré d’attention de la part du public, toute personne présente dans la salle est à même de tout saisir, et même avec plaisir.

Le rythme de la pièce s’essouffle par moment, mais grâce au choix d’approche du thème des massacres de masse, aussi grave et extrême soit-il, le public rentre chez lui en ayant en tête une problématique réelle de notre société actuelle. Un pari réussi pour le Collectif Division qui espère « parler d’aujourd’hui, [s’]adresser à [ses] contemporains avec [ses] textes, [ses] questionnements et [ses] idées, autour de l’écriture de Julien Mages. Fomenter la révolte, le débat, la division, les prises de positions, s’exercer à regarder la société et dire ce que nous y voyons : l’art comme miroir. »

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