Du 25 au 27 mai, l’UNIL ouvre ses portes au public pour une sixième édition des Mystères. Les scientifiques y aborderont, entre autres, le thème de la monnaie et des faux-monnayeurs. Rencontre à l’Institut de police scientifique avec le professeur Christophe Champod et le doctorant Martin Fürbach, deux experts en sciences forensiques.
La fausse monnaie n’est pas le domaine de la criminalité dont les experts parlent le plus volontiers. D’abord pour des raisons de sécurité monétaire (« pour ne pas renseigner les faussaires »), mais encore en matière de condamnations (« pour ne pas encourager les vocations »). « Moins on communique sur le phénomène, moins il se développe », résume le professeur Christophe Champod, de l’Institut de police scientifique de l’UNIL.
Cela rend d’autant plus intéressant le rendez-vous donné par les chercheurs lausannois, qui accueilleront le grand public à la fin mai, dans le cadre des Mystères de l’UNIL 2011, pour évoquer les questions relatives au faux monnayage, un délit que les Etats ont, durant longtemps, sanctionné de très lourdes peines.
On a ébouillanté des faussaires
Au Moyen Age, ce crime de lèse-majesté était puni par l’ébouillantage, et, si les peines sont plus clémentes de nos jours, de nombreux pays qualifient encore ce délit de « crime contre la nation ». En Suisse, la traque du faussaire Farinet, abattu en 1880, rappelle toute l’intransigeance des autorités à ce sujet.
Une intransigeance que le professeur Christophe Champod, de l’Institut de police scientifique de Lausanne, explique volontiers: « La stabilité économique d’un pays repose en partie sur la confiance dans sa monnaie, une fonction régalienne de l’Etat. S’y attaquer revient à s’en prendre à sa sécurité ».
Une arme utilisée par Hitler
C’est ainsi que la fausse monnaie peut devenir une arme de guerre que l’on utilise dans l’objectif de provoquer une brutale dévaluation chez l’ennemi. « En 1942, rappelle le professeur Champod, l’Allemagne nazie avait tenté d’inonder l’Angleterre de fausses livres sterling ».
L’opération « Bernhard », c’était son nom, a été lancée dans le plus grand secret depuis le camp de Sachsenhausen. Elle a fait l’objet de l’excellent film « Les Faussaires » (2007), où l’on voit des prisonniers juifs forcés de fabriquer des copies de billets anglais pour le compte d’Adolf Hitler.
Ces superdollars sont des faux venus de Corée!
De nos jours, c’est le dollar américain qui est devenu une cible de choix pour les faussaires, à la fois par la quantité de devises en circulation dans le monde entier et à cause du symbole que représente le billet vert.
« Les Etats-Unis ont découvert l’existence d’une grande quantité de copies presque parfaites de dollar, que l’on a appelées superdollars », rappelle Martin Fürbach, doctorant en sciences forensiques (sciences et techniques appliquées à l’investigation criminelle) à l’UNIL. Ces contrefaçons ont été identifiées en 2005, et leur fabrication a été attribuée à la Corée du Nord contre laquelle Washington a engagé des représailles.
La photocopie facilite le travail des faussaires
Loin de ces enjeux stratégiques, la figure du faux-monnayeur vénal incarne encore la généralité du genre. A l’ère de la photocopieuse et de l’imprimante à jet d’encre, « le travail des faussaires est facilité, c’est clair, note Martin Fürbach. Leur nombre est en augmentation mais la qualité de leur travail est nettement en baisse et il est en général très facile de distinguer une copie ».
A consulter les rapports de l’Office fédéral de la police, la Suisse aurait peu à craindre des faussaires, « des individus ou de petits groupes qui produisent de la fausse monnaie à petite échelle (…). Les billets de banque authentiques comportent assez de caractéristiques de sécurité pour qu’il soit possible de détecter les faux sans instrument ».
4000 faux billets sont saisis chaque année en Suisse
Les sommes confisquées pour la période 2008-2009 s’élevaient à 570’000 francs, un montant dérisoire face aux 40 milliards de francs en circulation. « A l’heure où nous parlons, poursuit Martin Fürbach, on estime à 4000 le nombre de faux billets saisis par année en Suisse. Cela représente un ratio de 10 copies pour un million de vrais billets, contre 50 dans la zone euro, 100 pour le dollar et 300 pour la livre britannique ». Ce sont là les données des banques nationales ou centrales, précisent nos experts.
Pour protéger les billets, la Suisse est championne
La Banque nationale suisse (BNS), qui participe à l’exposition « Les Mystères de l’UNIL », ne craint guère de collaborer. « Car le franc suisse est une vitrine technologique. 90% des mesures de sécurité des billets de banque dans le monde sont brevetées en Suisse », rappelle Christophe Champod.
Deux des trois leaders suisses de cette niche high-tech sont même établis dans le canton de Vaud: KBA Giori, spécialiste dans la fabrique de presses à billets et SICPA, qui domine le marché mondial des encres sécurisées.
Un billet de banque n’est pas plat!
« L’une de ces encres est utilisée abondamment aujourd’hui sur les nouveaux dollars américains lancés en 2010 et 2011 », rappelle Christophe Champod. Cette encre, présente depuis de nombreuses années sur les coupures suisses, dont la couleur varie selon l’incidence de la lumière est appelée OVI (Optical Variable Ink). C’est un brevet suisse.» De même que l’impression en relief, appelée « en taille douce » ou « intaglio », sensible au toucher. « Au macroscope que nous utiliserons pour les Mystères, le public verra qu’un billet de banque à la loupe n’est pas plat. C’est très spectaculaire ».
Autres techniques suisses de pointe, la microperforation au laser utilisée pour les chiffres ou le Kinegram®. « Il est pratiquement impossible à reproduire, c’est vraiment de l’horlogerie », conclut Christophe Champod.
En Suisse, les faux-monnayeurs sont des particuliers
Toutes ces technologies expliquent, selon Martin Fürbach, que la Suisse est moins touchée par le faux monnayage pratiqué par le crime organisé qui, sous nos latitudes, s’attaque d’abord à l’euro, qui est constitué d’une plus grande masse de billets, et surtout, qui est imprimé dans une vingtaine de lieux à travers l’Europe. « La Suisse a pour avantage de faire imprimer tous ses billets au même endroit, chez Orell Füssli, à Zurich ». En chiffres, sur les 500’000 faux euros saisis chaque année, 80% sont imprimés par des organisations criminelles contre 20% par des particuliers. En Suisse, ce rapport s’inverse.
La plupart des faux sont des billets de 50 et de 100 francs. « Copier 10 francs, ça n’en vaut pas la peine et les billets de 1000 s’écoulent mal », explique Christophe Champod.
Le Farinet alémanique
Un Farinet alémanique, Hans-Jörg Mühlematter, en a fait les frais. En 1976, ce surdoué de l’imprimerie, traqué par le patron de l’Office central pour la répression du faux monnayage de l’époque, Roger Décaillet, a d’abord reproduit des billets de 100 francs avec une précision diabolique.
Dans un scénario semblable à celui de « Arrête-moi si tu peux » (un film avec Leonardo DiCaprio et Tom Hanks, sorti en 2002), Roger Décaillet découvre à la fin 1997 une nouvelle série de faux billets de 1000 francs, si précis qu’ils portent la signature de l’auteur, aussitôt arrêté pour la deuxième fois pour une saisie record: 6 millions de faux francs en billets de 1000. Le projet était d’autant plus vain qu’en avril 1998, la BNS lançait son nouveau billet de 1000 francs…
Le faussaire du dimanche risque le flagrant délit
« En Suisse, tous les faux sont transmis au KILA, un service spécialisé de la police fédérale, à Berne, et les services de police internationaux communiquent sur une base de données commune en la matière », rappellent les experts de l’UNIL.
Malgré cela, la majorité des faussaires ne sont pas attrapés. D’une part, parce que les quantités produites par les particuliers sont négligeables et de mauvaise qualité, mais aussi parce qu’ils sont difficiles à pister. Il faut une grande quantité de faux billets et une certaine systématique propre au crime organisé, pour que l’enquêteur ait une chance de remonter la piste. Le risque du faussaire du dimanche, c’est le flagrant délit qui conduira à son imprimante et ses petits défauts qui le trahiront.
La justice est de plus en plus clémente
« Pendant longtemps, il fallait être imprimeur pour fabriquer de faux billets, rappelle Christophe Champod, l’usage professionnel d’une imprimante Offset était déjà un indice d’une préméditation criminelle. Aujourd’hui, votre enfant peut scanner et imprimer un billet pour s’amuser ».
Pour cette raison, les condamnations sont rares et la justice toujours plus clémente. « En République tchèque, explique Martin Fürbach, les peines pour contrefaçon allaient de 2 à 15 ans de prison. Mais, en 2010, une directive européenne a forcé les Etats membres à harmoniser les peines, ce qui a amené des sanctions plus douces. L’argument des juges est qu’il est très facile de copier des billets de nos jours et qu’on ne peut infliger une peine de 2 ans minimum à chaque coupable ».
Que faire avec un faux billet?
Et que se passe-t-il si un citoyen rapporte aux autorités un faux billet qui est tombé en sa possession? Il ne sera pas dédommagé pour la somme concernée. Le billet sera simplement retiré de la circulation et envoyé au KILA. Mieux vaut donc se méfier. Car, pour éviter cette mésaventure, l’usager a des atouts qui lui permettront de reconnaître facilement un vrai billet: le toucher en relief de l’impression « en taille douce », l’alignement des impressions recto verso, le filigrane du papier ou encore la microperforation. Ajoutons à cette liste de moyens une visite aux Mystères de l’UNIL, entre le 25 et le 27 mai, où ces différences entre vrais et faux billets seront largement détaillées.
Michel Beuret