Quand Tarik Hayward a investi le campus de l’UNIL, il a intégré l’imprévu dans sa démarche artistique. Lauréat du Prix Casimir Reymond lors de la première Triennale organisée à l’Université de Lausanne, il a utilisé l’intervalle entre l’exposition collective initiée en 2013 et son intervention solitaire, inaugurée en juin 2015, pour travailler non pas en atelier mais sur le campus lui-même.
A la manière des paysans américains des années 20, il a moulé des briques à partir d’une mixture artisanale d’eau, de papier usagé et de liant. Envisageant son œuvre comme un processus à la fois clandestin et «voyant», susceptible d’inquiéter les passants, l’artiste conceptuel a dû s’adapter aux conditions climatiques et aux interactions impromptues avec les habitants du campus.
Quand la Direction de l’UNIL a lancé la Triennale, elle a accepté le principe potentiellement perturbateur d’un regard artistique porté sur un environnement habituellement très maîtrisé. Nous avons voulu que le résultat de cette vision singulière puisse se déployer en résonance mais parfois aussi en dissonance, avec la communauté. Dès la première intervention collective, qui a rassemblé vingt artistes dans un dialogue inédit avec des lieux préalablement choisis par notre commissaire d’exposition, l’idée d’un questionnement de nos habitudes s’est imposée pour offrir aux collaborateurs, aux étudiants et aux visiteurs un ensemble de regards inattendus sur le campus, un cheminement propre à troubler un instant leurs pensées, leurs occupations, leurs repères.
Après ce moment spectaculaire et diversifié, un temps de «jachère» a permis au lauréat de travailler pour proposer la troisième séquence de cette Triennale sous la forme d’une exposition monographique axée sur un processus de fabrication qui a marqué, de semaine en semaine, le campus et ses habitants. Cette démarche contredit l’idée d’une sculpture solidement implantée, close sur elle-même et livrée au moment de son achèvement. Exposer le processus, plutôt que l’objet fini, relève d’une démarche revendiquée par Tarik Hayward dans un esprit à la fois minimaliste et interventionniste, évoquant des crises passées, des choix de survie qu’il assume à son tour dans notre monde contemporain.
Interpellant un public ancré sur le site de Dorigny, l’artiste s’est en outre impliqué dans une série de conférences et de workshops avec les étudiants en Histoire de l’art de l’UNIL et de l’ECAL. Loin d’être un but en soi, l’inauguration de son œuvre sur l’esplanade du Château de Dorigny, en juin 2015, marquait la fin d’une intrigante aventure artistique, le dénouement d’une histoire à la fois singulière et collective étalée pendant deux riches années sur le campus de l’université.
Faut-il le rappeler ? La recherche scientifique s’effectue elle aussi en décalage avec la réalité déjà connue ; cette prise de distance génère de nouvelles perspectives et se heurte parfois à l’incompréhension. Ce risque est également assumé par les artistes, d’une manière encore plus franche et directe, dans la mesure où leurs œuvres exposées peuvent plaire ou non, séduire de prime abord ou s’imposer de manière plus mystérieuse, subir un rejet partiel, voire massif, temporaire ou durable. Notre liberté d’apprécier ou non une œuvre artistique est précieuse comme l’est celle du scientifique ou de l’artiste qui cherchent à bouger les lignes, quitte à perturber nos croyances et nos certitudes. Dans le quotidien plombé par des évidences, marqué par des décisions à court terme et des contraintes qui semblent immuables, les chercheurs et les artistes peuvent montrer le chemin d’un autre monde possible.