Interview de Alberto Bondolfi, professeur d’éthique à la Faculté de théologie et des religions de l’UNIL
Alberto Bondolfi, professeur d’éthique à la Faculté de théologie et des religions de l’UNIL, critique la modification de la loi suisse, intervenue en janvier 2001.
Le don de sperme n’est plus un geste anodin. La loi sur la procréation médicalement assistée, votée en 1998 et entrée en application le 1er janvier 2001, autorise en effet l’enfant, à l’âge de 16 ans, à connaître l’identité du donneur.
Cette disposition est un handicap pour les banques de sperme qui ont du mal à recruter des volontaires. Mais elle a aussi des implications sur le couple qui a recours à une insémination, et sur les enfants qui en sont issus. Alberto Bondolfi, professeur d’éthique à la Faculté de théologie et des religions de l’UNIL, n’est pas favorable à cette rupture de l’anonymat du donneur.
Aux termes de la loi, l’enfant issu d’une insémination avec don de sperme aura accès au nom du donneur et il pourra lui téléphoner, mais pas plus?
Rien de moins, rien de plus. Le donneur n’aura aucun devoir vis-à-vis de l’enfant. Mais pour lui, le geste fait seize ans plus tôt acquiert une portée beaucoup plus importante. Auparavant, il pouvait se permettre de l’oublier. Maintenant, c’est impossible, car il se pourrait que, seize ans plus tard, quelqu’un lui téléphone. Je tiens toutefois à préciser que toutes les remarques que nous pouvons faire à ce sujet sont spéculatives. Nous n’avons aucune expérience en la matière puisque, la loi étant entrée en application au début 2001, le problème ne se posera qu’en 2017 ou 2018.
A en croire le responsable de la banque de sperme du CHUV, Dominique de Ziegler, cette réglementation change la motivation des donneurs. Ces derniers ne sont plus des étudiants ayant besoin d’argent, mais «des hommes qui veulent le bien de l’humanité», ce qu’il trouve «suspect». Qu’en pensez-vous?
J’approuve, de façon intuitive, cette remarque. Vouloir recevoir un petit pécule lorsque l’on fait un don me semble une motivation assez banale, et moins ambiguë que d’autres, prétendues altruistes. Car vous engagez beaucoup moins votre psychisme quand vous faites ce geste tout en sachant qu’il est garanti par l’anonymat.
En tant que spécialiste de l’éthique, vous seriez donc partisan de réintroduire cet anonymat?
Si je devais conseiller un couple, je ne lui recommanderais pas le recours à l’insémination avec donneur, car cette pratique a des implications psychologiques qui ne sont pas négligeables. En tant que conseiller du gouvernement ou du parlement – je suis membre de la commission d’éthique – je suis bien plus prudent. Je considère que l’anonymat est préférable. C’est un moindre mal, car il a des coûts psychologiques beaucoup plus bas et fait moins de dégâts. Car il faut tenir compte d’un autre élément: s’il est difficile de recruter des volontaires officiels il y a de nombreux hommes qui offrent leur sperme ou le vendent au marché noir. L’insémination est une technique tellement facile à mettre en œuvre que l’on n’a pas besoin du système médical. D’ailleurs, dans ce domaine, on peut se demander si l’on ne pourrait pas se passer de la médecine. Celle-ci permet surtout de garantir que le sperme est exempt de virus ou de maladies graves.
Cela dit, cette réglementation a été élaborée pour le bien de l’enfant. Pensez-vous qu’elle atteint cet objectif ?
On peut se poser la question. Personnellement, j’en doute.
Dominique de Ziegler estime que cette loi, qui prône la transparence, aura l’effet contraire car les parents auront tendance à cacher à leur enfant qu’il est issu d’un don du sperme. Etes-vous d’accord avec lui?
Oui. J’étais déjà convaincu que, du point de vue pédagogique, il était préférable de ne pas informer l’enfant, pour son bien. Mais il est clair qu’avec cette loi, les parents risquent de ne pas révéler ce secret à l’enfant.Ce paragraphe risque donc de rester lettre morte.
Reste que, si le don de sperme est autorisé, la loi interdit le don d’ovule. N’est-ce pas une discrimination entre les hommes et les femmes?
Je n’ai pas compris pourquoi cet interdit avait été introduit dans la législation. Evidemment, le don d’ovule implique une plus grande mise en danger de la santé de la femme. Mais du point de vue juridique, cet argument est très faible par rapport au principe constitutionnel qui établit l’égalité des sexes. Il aurait donc été préférable non pas d’interdire ce don d’ovule, mais de prévoir des conditions-cadres de diligence. Il resterait alors à discuter de la question de rétribution des donneurs. Le «sacrifice» que fait une femme est supérieur à celui d’un homme. Il faudrait donc rémunérer plus fortement les femmes, à moins que l’on aille vers la gratuité pour tout le monde. Quoi qu’il en soit, en autorisant le don d’ovules, on éviterait que des femmes suisses aillent chercher des donneurs en Espagne.
Vous êtes donc partisan d’une révision de la loi sur la procréation médicalement assistée?
Oui, mais les défis vont bien au-delà des questions que nous venons d’aborder. Il faut tenir compte des implications de la génétique, mais aussi du fait que les femmes veulent enfanter toujours plus tard; il faut donc analyser les causes sociales de la stérilité. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas se mettre au travail. Il faut toutefois agir de façon sereine, en dépassant les mentalités fixées à l’avance et les clivages politiques, et ne pas en faire une deuxième guerre de religion dans notre pays. Nous devons avoir une solidarité critique envers les couples stériles. Ceux-ci n’ont pas à réclamer que tous leurs vœux soient exaucés, mais ils sont en difficulté et peuvent malgré tout légitimement demander que leur problème soit pris en charge.
Propos recueillis par Elisabeth Gordon