Tombée dans les livres comme Alice dans le terrier du lapin blanc, Martine Hennard Dutheil de la Rochère enseigne la littérature anglaise et comparée. Rencontre au «Chat Noir».
Ancienne assistante du professeur Neil Forsyth, Martine Hennard Dutheil a réalisé sa carrière à l’UNIL après un mémoire sur «les voix qui murmurent aux confins de l’existence» chez Beckett, un Master of Arts à l’Université du Sussex avec Homi Bhabha, et un doctorat sur la question de la fiction chez Salman Rushdie. Elle adhère à la vision prônée par Bhabha, qui s’efforce de dépasser les dichotomies «Est» et «Ouest» avec une conception ouverte de l’identité comme issue d’un processus de traduction permanente, sans la nostalgie des origines ethniques ou religieuses de la mouvance décoloniale dominante aujourd’hui.
L’œuvre de lecture, de traduction, de re-création et transmission met en question le fétichisme de la «source» pour cette amoureuse des livres, qui voit dans l’étude des langues anciennes et modernes la possibilité de révéler une histoire inédite des textes et des genres. Elle anime en ce moment un cours interdisciplinaire avec Maya Burger et Blain Auer. «Nous partons du Pañcatantra, récits rédigés en Inde dans les années 300 de notre ère. Il s’agit de l’une des matrices des contes des Mille et une Nuits et des fables de La Fontaine», esquisse-t-elle. Affublé de trois fils idiots, un prince confie leur éducation à un philosophe qui parvient à leur enseigner les subtilités de la guerre et de la paix à travers des fables animalières. Martine Hennard considère que toute la littérature, conçue comme un échange critique et créatif entre auteurs, lecteurs et traducteurs, a le pouvoir de nous outiller dans les circonstances de la vie.
Spécialiste d’Angela Carter, romancière célèbre pour ses audacieuses réécritures de contes dans The Bloody Chamber, Hennard Dutheil a révélé le rôle de la traduction comme source d’inspiration dans son œuvre. Fascinée par Baudelaire et le surréalisme (sujet du prochain livre de la chercheuse), Carter est décédée en 1992 après avoir puisé dans les classiques de la littérature, mais aussi le conte et la pornographie. Mariée à un chimiste, qu’elle quitte pour vivre au Japon sur la pente libre d’un sex positive feminism, Carter «s’est réinventée comme femme et auteure» selon sa formule de «mettre du vin nouveau dans les vieilles bouteilles», à rebours de la parabole biblique. Il y a un scandale Carter, attisé par son essai sur Sade postulant la pornographie au service des femmes: «Elle imagine Sade comme le premier auteur à avoir reconnu le désir féminin et se demande, à travers l’obéissante Justine punie et l’active Juliette, ce que les femmes peuvent apprendre d’une telle lecture pour se libérer des prescriptions sociales», résume la chercheuse.
A propos des Versets sataniques, elle explique que Rushdie a été condamné pour avoir montré que «l’origine d’un texte, fut-il le Coran réputé incréé, ne peut être que rêvée; il s’agit bien d’une œuvre de médiation, de traduction, et donc de transformation humaine. Il y a toujours fiction dans l’écriture, matière à nous préserver des fantasmes de pureté et de vérité».
S’il y a une morale dans le choix de ses sujets d’étude et d’enseignement, il faut la trouver du côté de l’émerveillement critique pour des livres sans «identité fixe», en dialogue avec d’autres textes, mots, médias, époques et cultures. Du côté de la vie ouverte à toutes sortes de différences qui ne s’opposent pas de manière frontale mais s’éprouvent dans l’échange et la quête exigeante de la liberté.
Un goût de l’enfance
La recette de la pâte à choux lue et relue dans un vieux livre de cuisine.
Un lieu associé à un souvenir gustatif
Un repas végétarien dans un monastère bouddhiste au Japon.
Qui à sa table et pour partager quoi?
Un «five o’ clock tea» avec le Chapelier fou.